- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 9 min
Toulouse-Lautrec chez Maxim’s – Le peintre renaît au Festival de Lacoste
Toulouse-Lautrec chez Maxim’s, un spectacle où théâtre, musique, chant, tableaux racontent la vie extravagante de l’artiste peintre Henri Toulouse-Lautrec. Gérard Chambre, Véronique Fourcaud (qui est l’arrière petite nièce de Toulouse-Lautrec dans le spectacle comme dans la vie), et Fabrice Coccito ont ressuscité l’âme de l’artiste dans le tout nouveau théâtre couvert du Festival de Lacoste, inauguré à cette occasion là.
Toulouse-Lautrec chez Maxim's, de Paris à Lacoste, un 13 août 2020. La vie de l'artiste peintre au théâtre.
Chez les Cardin, l’Italie n’est jamais loin, jamais oubliée. C’est peut-être pour cela que ce Festival de Lacoste magnifie l’Art, celui du Lyrique, du Théâtre, et pour la première fois cette année, du Cinéma. Fils d’agriculteurs pauvres émigrés en France, Pierre Cardin est le dernier d’une fratrie de dix enfants. C’est un ‘œuvrier’ -terme inventé par le musicien Pierre Lubat- un ouvrier de l’art. Cet homme s’est fait lui-même. C’est un artisan qui a œuvré à l’art toute sa vie. Preuve en est cet extraordinaire Festival. Si les 98 printemps du Maitre commencent à peser sur les jambes, le regard est pétillant, les yeux vifs, le propos judicieux. Pierre Cardin n’a rien perdu de son empathie, de sa délicatesse, de son élégance et de son sourire ; un grand monsieur.
La présence de Pierre Cardin, accompagné du charismatique Rodrigo Basilicati, neveu et directeur artistique du Festival et celle d’Eve Ruggieri en ambassadrice de charme, ont marqué d’un éclat particulier la deuxième soirée de cette 20e édition du Festival Lacoste, créé par Pierre Cardin.
Situé à Lacoste, dans ce Luberon lumineux, un lieu de légende offre son écrin aux spectacles : les carrières du Château du Marquis de Sade. Après le succès de la première soirée d’ouverture du Festival d’Art Lyrique et de Théâtre consacrée à Andrea Bocelli, Toulouse Lautrec nous attendait dans le tout nouveau Petit Théâtre des Carrières, un endroit inoubliable, insolite, vecteur de rêve, de chimère.
Toulouse-Lautrec, peintre témoin de son temps
Né le 24 novembre 1864 à Albi, Henri de Toulouse-Lautrec commence à dessiner dès son enfance. Dès le début de son adolescence le jeune homme cesse brutalement de grandir en raison d'une maladie osseuse et de deux chutes de cheval qui le laissent difforme. Henri Toulouse-Lautrec commence alors à peindre et à dessiner, puis s'installe à Paris en 1882 pour parfaire sa connaissance de l'art. Il s'imprègne de l'impressionnisme et se lie d'amitié avec Edgar Degas et Vincent Van Gogh. Il fréquente les cabarets, notamment le Moulin Rouge, et les immortalise dans ses toiles ainsi que sur des affiches (Moulin rouge, La Goulue, 1891). Il peint également les théâtres, les cafés-concerts et les maisons closes (Au salon de la rue des Moulins, 1894) dont il saisit les personnages sur le vif. Il devient alors une figure emblématique des nuits parisiennes. L'alcoolisme et la syphilis viennent à bout de sa santé fragile en 1901, date à laquelle il se trouve paralysé. Il meurt le le 9 septembre de la même année au château de Malromé (France) à seulement 37 ans.
La présentation de Toulouse Lautrec par Ève Ruggieri
" Derrière les paillettes, il y a l’enfant malheureux, d’abord par le divorce de ses parents, puis par la moquerie de ses camarades. La seule manière pour le petit garçon de se défendre : la provocation. Arrivé nu à l’école, affublé d’ailes d’ange, une petite couronne sur la tête, il dit « Je suis un ange ». Sa mère Adèle, une aristocrate qui descend d’une très ancienne famille qui remonte aux comtes de Toulouse, adore son fils.
Elle le soutiendra tout au long de la difficile vie qu’aura Henri de Toulouse Lautrec. Toulouse-Lautrec arrive à 18 ans dans un Paris où l’opium, les drogues, la morphine sont monnaies courantes. Lui, habitué à la solitude du domicile familial, va découvrir Montmartre, le lieu où il faut être vu. Il assiste à l’ouverture des cabarets, croise des peintres, Degas, Van Gogh. Entre ces deux êtres, Van Gogh et Toulouse-Lautrec, l’amitié va naître. C’est cette famille d’artistes - les chanteurs, les chanteuses qui chantent des chansons populaires, les danseuses- qui va porter Toulouse-Lautrec et le faire avancer dans la peinture. Au Moulin-Rouge, dont l’ouverture a été fracassante, où les danseuses font le French cancan en montrant leurs derrières et en soulevant leurs jupons, il y a toujours à une table, un petit monsieur qui fait des croquis. Il va peindre, immortaliser tout ce monde-là. Il y a, dans la peinture de Toulouse-Lautrec, une approche de la
réalité, de sensibilité, et une recherche dans les couleurs, dans le trait. Entre rêve et réalité cauchemardesque, Van Gogh et Toulouse-Lautrec s’entraident, chacun à sa manière. Lorsque le moment viendra où Toulouse-Lautrec vendra un peu mieux ses œuvres, il va peindre son ami Van Gogh. Il y a une tendresse infinie dans le portrait et, dans le regard, le peintre a résumé la vie de son amie et la sienne. Quand Van Gogh mourra, à 37 ans, Toulouse Lautrec pleurera pendant deux jours et viendra accompagner son cercueil jusqu’à sa tombe. Toulouse Lautrec meurt à 37 ans également ; deux très courtes vies et une nuée de chefs-d’œuvre qui portent haut, en ce qui concerne Toulouse-Lautrec, la peinture française dans le monde entier et qui continuent, quand je regarde une toile et celle de Van Gogh aussi, à me mettre les larmes au bord des yeux.
Il fallait le talent de Gérard Chambre pour mettre tout cela en musique parce que, ce qu’on ne peut pas voir ici, c’est-à-dire la peinture, on la retrouve dans la musique, on la retrouve dans les chansons populaires. On chantait la misère, mais aussi le plaisir de vivre, les plaisirs défendus. C’est un monde à la fois de voyous et d’hommes du monde qui viennent s’encanailler dans cet univers qu’était le Moulin-Rouge.
Alors pourquoi Toulouse-Lautrec chez Maxim’s alors que nous sommes au Château du Marquis de Sade ? Eh bien parce que Monsieur Cardin a donné, avec sa générosité habituelle, l’autorisation à Gérard Chambre, de faire du théâtre chanté dans ce lieu haut-perché et un peu caché qu’est le bar anglais Chez Maxim’s avenue Royale où Marcel Proust rencontrait Cocteau. On applaudira Gérard Chambre, Fabrice Coccito, qui est à la fois au piano et qui incarne Toulouse-Lautrec et Véronique Foucaud à la voix superbe qui incarnera toutes les chanteuses, toutes ces femmes que Toulouse-Lautrec a rencontrées. »
Toulouse-Lautrec chez Maxim's, le Théâtre Musical de Gérard Chambre, une réussite
Sur scène, un piano droit et un bar à cocktail en bois de chêne sur lequel la lumière d’une lampe rococo donne l’ambiance ; Voici planté le décor du bar anglais de chez Maxim’s.
‘Insouciance, légèreté et joie de vivre, voici en trois mots ce qui pourrait le mieux caractériser cette période de répit entre deux guerres, de transition entre deux siècles. Au cœur de cette effervescence, la Butte-Montmartre fait figure de lieu emblématique. Dans les cabarets, on écoute les chansons anti-conformistes d’Aristide Bruand, chantre de la marginalité, des prostituées, des chômeurs, de tout un « petit peuple » jusqu’alors méprisé par les artistes. Les artistes-peintres y trouvent leur inspiration. Parmi eux, Toulouse-Lautrec, fidèle des lieux, immortalisera ces scènes baroques, colorées, à mi-chemin entre les divertissements les plus fous et le tragique de la vie du petit peuple dans des tableaux restés célèbres comme Le Chat Noir ou La Goulue’. (sources Moulin-Rouge)
Gérard Chambre, acteur, metteur en scène, chanteur et compositeur de talent
Gérard Chambre réussit ce pari fou de transporter le public dans cette fin 19e en un coup de baguette magique et quelques chansons. On entre de plain-pied dans cette l’atmosphère enjouée du cabaret, avec ses frasques, ses misères et ses clins d’œil. Ils sont trois : Véronique Fourcaud, la véritable arrière-petite-nièce de Toulouse Lautrec, un gentleman interlope, Gérard Chambre, qui hésite entre le faste et les éclats éblouissants des mondanités parisiennes et les sombres recoins de la Butte-Montmartre, et Toulouse-Lautrec, au piano, un regard limpide ancré en lui-même. Entre absinthe, folie et déchéance, les trois protagonistes se jettent ‘à corps perdu’ dans le spectacle et évoquent la vie extravagante de Toulouse-Lautrec en chantant et en jouant la comédie. En fond de scène, les tableaux et croquis du peintre défilent, l’esprit s’évade, happé par les comédiens.
Véronique Fourcaud, chanteuse à la voix chaude
« Elle fulmine contre le pianiste qui ne comprend rien, elle peste sur les textes, modifie les chansons… Après tout, c’est une diva. Bref, elle joue, elle chante et nous enchante, pendant plus d’une heure, avec brio, élégance et drôlerie sur comment plaire, séduire et charmer…. » Pierre Cardin
Véronique Fourcaud est une chanteuse lyrique et actrice de théâtre française. Arrière-petite-nièce de Toulouse-Lautrec, elle chante merveilleusement et fait revivre avec brio ces chansons de la belle époque. La gouaille dont elle enveloppe certains morceaux, son humour, sa voix ourlée, font partie des rouages essentiels de ce spectacle.
Fabrice Coccitto, époustouflant
On y croirait presque ! Avec un chapeau melon, ce pianiste, comédien chanteur, campe un Toulouse-Lautrec d’envergure. Ce n’était pourtant pas gagné en étant au piano. Fabrice Coccitto emporte la faveur du public qui l’ovationne à la fin de la représentation. Son piano est impeccable et son jeu de comédien, excellent.
A la fin du spectacle, les trois acolytes entrainent le public dans la reprise chantée d’un joyeux french-cancan.
Longuement applaudi, Toulouse-Lautrec chez Maxim’s, un moment de théâtre musical comme on les aime, du rythme, trois voix mélodieuses à souhait. Merci les artistes.