- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 8 min
“Égalité” de Nawar Bulbul : Une discussion haletante entre Orient et Occident …
“Égalité”, le cri déchirant du metteur en scène, auteur et acteur franco-syrien Nawar Bulbul. Sortie de résidence d’artiste au Théâtre Toursky international de Marseille, “Égalité” est une pièce de théâtre qui dénonce haut et fort toute forme de tyrannie politique, religieuse et sociale, inspirée des archives sonores de Michel Seurat, sociologue français kidnappé et décédé en captivité au Liban en 1985. Une croisée des chemins entre Orient et Occident qui porte à la réflexion.
Sortie de résidence d'artiste au Théâtre Toursky, de la nouvelle création du metteur en scène franco-syrien Nawar Bulbul :"Égalité" : une splendide performance, pleine d’humour, qu’on prend plaisir à voir et qui ne se prive pas de secouer les consciences. Reportée pour cause de Covid, "Égalité" est inscrite au programme de la saison 2021 - 2022 du Théâtre international de Marseille.
"Égalité" : le chant de la Fraternité
Nawar Bulbul, auteur, metteur en scène et acteur
En hommage à Michel Seurat et à tous les prisonniers politiques de par le monde (chercheurs, penseurs, poètes, journalistes, artistes…), Nawar Bulbul, dans cette nouvelle création, nous emmène au cœur des péripéties d’un demandeur d’asile hors du commun. L’aventure burlesque de Omar Abu Michel cycliste invétéré sillonnant la France telle qu’imaginée durant des années ouvre la porte à toutes les discussions entre un Occident idéalisé voire même fantasmé et un Orient meurtri, oublié, parfois dénoncé ou même dénigré...
« Le plus tragique, peut-être, est qu’il se trouve toujours de bonnes âmes en Occident pour juger le drame inévitable, la pratique des enlèvements est très instructive sur le plan des rapports qui lient ces obscures organisations de pistoleros libanais à la Syrie : la victime disparait sans que jamais les auteurs de l’enlèvement ne revendiquent leur acte ou soient identifiés. »
Une fontaine, un homme entre par le fond de la salle portant sac et bicyclette à l’épaule. Musiques, interférences radiophoniques, comme dans ces anciens postes de TSF où l’on cherchait à capter une station… Des bribes de conversation, de discours… Arabe et Français enchevêtrés… Ce qui pourrait ressembler à une fable -un homme épris de sa bicyclette qu’il a appelé Égalité- est en réalité une tragédie grecque rappelant Eschyle et son "Prométhée enchainé", un drame où les dieux mêmes se déchirent. La force du texte est décuplée par l’absurdité du sujet : un homme, amoureux d’une bicyclette, lui parle, lui répond, l’invective, la nettoie, la console. A elle, il ouvre son cœur et sa rancœur, se confie. Elle le comprend. Près d’elle, il cherche du réconfort, de la chaleur. Égalité s’humanise, elle qui veut à tout prix retrouver Michel car elle lui appartient. L’homme lui ment, par amour, par compassion. Peut-être se ment-il à lui-même ? Michel n’est plus mais sa voix off résonne comme un reproche aux éternels ‘oublieux ’ que nous sommes.
À bicyclette
« Omar, arrête de déconner, en France, ça ne marche pas comme ça. »
Omar Abu Michel, cycliste invétéré sillonnant la France telle qu’imaginée durant des années, ouvre la porte à toutes les discussions entre un Occident idéalisé voire même fantasmé et un Orient meurtri, oublié, parfois dénoncé ou même dénigré...
La pièce commence par une altercation saugrenue entre un agent de la préfecture et Omar Abu Michel. Dans le dédale des démarches administratives auprès des institutions françaises, Omar Abu Michel comme n’importe quel demandeur d’asile confronte ses rêves, fantasmes et idéaux aux réalités institutionnelles de la France. Au travers d’un dialogue hypothétique et en compagnie d’Égalité sa bien-aimée, Omar Abu Michel nous conte la vie imposée selon les canons de la société, l’idylle brisée, la violence familiale, sociale et politique, l’absence forcée, le dénuement et l’interdit dans un monde livré à la folie dictatoriale. Cette fiction dénonce avec un humour décapant, de l’ingéniosité et une grande sensibilité l’omniprésence de l’injustice.
« Allah Akbar ! Chez nous c’est comme quand on dit chez vous : Oh putain de journée de merde ! »
Un cri déchirant
"Égalité", c’est un cri déchirant qui alterne le Français et l’Arabe, une langue, l’Arabe, qui, peut-être plus que toute autre, traduit l’angoisse, la détresse, l’amour, la poésie avec force, presque avec rage. C’est le cri du cœur des peuples opprimés, le cri de ceux habitués à courber le dos, un cri de révolte qui entre dans la chair jusqu’au frisson. Il fallait ces deux langues qui se chevauchent. Des voix off, un employé, Omar, Égalité, tous les personnages s’animent sous nos yeux : ce n’est surtout pas un monologue auquel on assiste.
Nawar Bulbul livre une performance hors du commun
Énorme, phénoménale, ainsi peut-on qualifier la performance de l’acteur qui tient le public en haleine de bout en bout. Nawar Bulbul nous a habitués à ce talent hors du commun dans ses créations précédentes. Dans celle-ci, où la vérité éclate au visage, une création à la fois dure, à la fois tendre et si intimiste, Nawar joue avec une intensité décuplée, avec ses tripes. Chacun de ses mots, chacun de ses gestes s’adresse à chacun de nous avec l’espoir qu’il raisonne en nous comme un chant de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Et, puisque les idées font plus vite leur chemin quand on les partage avec le rire, c’est le chemin que Nawar Bulbul emprunte. Et il le fait si bien !
Un élan artistique sans limite
Nawar Bulbul, qualifie lui-même son élan artistique de "sans limite"
Dès 2019, il se lance dans l’aventure de « Égalité », un texte qu’il écrit, met en scène et joue. Artiste associé à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans, il découvre les archives sonores de Michel Seurat, sociologue français kidnappé et décédé en captivité au Liban en 1985. L’écoute de ces archives lui inspire un nouveau seul-en-scène où une fois de plus il dénonce haut et fort toute forme de tyrannie politique, religieuse et sociale. En résidence dans différents lieux, Nawar travaille les moindres détails de sa nouvelle création. Toujours dans la même veine d’un théâtre libre et itinérant, accompagné d’un décor minimaliste il focalise son attention sur la construction fine des personnages qu’il incarne. Maniant l’humour noir avec justesse, il sait se rire de tout et même du pire.
Nawar Bulbul, biographie d'un metteur en scène et acteur célèbre
Nawar Bulbul est un metteur en scène et acteur célèbre dans son pays natal, qui par son engagement effréné pour la liberté et l’égalité a choisi l’exil après avoir participé à plusieurs manifestations pacifiques en Syrie.. Son exil d’artiste commence en France en 2013 où il crée Wala Shi (Rien), une adaptation de Jeux de Massacre de Eugène Ionesco. Puis durant quatre ans de vie en Jordanie (2013-2017), il poursuit son combat pour la liberté auprès de jeunes réfugiés syriens en Jordanie. Dans le Camp de Zaatari, il met en scène 120 enfants du camp réunis autour d’une adaptation du Roi Lear et de Hamlet de Shakespeare (Shakespeare in Zaatari). Il fait le choix de présenter la pièce dans le camp le 27 mars 2014 puis dans l’amphithéâtre romain de Amman. En 2015, toujours à l’occasion de cette date symbolique de la journée internationale du théâtre, il présente un Roméo et Juliette via Skype avec des enfants syriens réfugiés en Jordanie et d’autres assiégés dans un quartier de Homs en Syrie (sa ville natale). En 2016, grâce au soutien de l’Institut Français de Jordanie, de l’Union Européenne et de Shubbak Festival, il crée Love Boat, l’aventure fictive d’une troupe de théâtre syrienne sur la route de l’exil en Europe où dans chaque pays d’accueil, les acteurs représentent une scène du théâtre classique du pays d’escale. En 2016, il prépare son retour en France où il va pouvoir travailler sans tabou. En 2018, il crée Mawlana « un conte initiatique damascain entre éducation rigoriste et rêves de liberté ». En juillet 2019, il réalise un de ces rêves d’artiste : participer au festival d’Avignon.
« Les migrants avaient droit à une des vertus fondamentales de notre pays, le droit d’asile… Nous étions tous multicolores et polychromes, ils étaient nos hôtes. Il était interdit d’interdire. Nous étions libres, cent pour cent libre. Libre. Alors le bon peuple a eu la trouille, une trouille bleue et il s’est réfugié dans des valeurs de plus en plus conservatrices… La liberté, leur liberté éventuelle entrevue leur foutait la trouille… Certes ce monde est immonde, cette terre se terre mais l’homme y résiste… Jamais se soumettre mais se "surmettre" !»
A la croisée de l’Orient et de l’Occident, "Égalité" est à la croisée de nos chemins… et de nos réflexions.
Texte, mise en scène et acteur : Nawar Bulbul
Extraits textuels : Michel Seurat, L’État de Barbarie, Paris, PUF, éd° 2012. Julien Blaine, « The big trouille Made in France » in Julien Blaine, 1968/2018 = ½ siècle & Julien Blaine = ¾ de siècle, à la galerie Jean-François Meyer, Mai 2018.
Création sonore et musicale : Arnaud Leroy
Création lumière : Bassou Ouchikh
Décor : Pierre Guerry
Traduction, sur-titrage et production artistique : Vanessa Guéno
Production : La Compagnie La Scène Manassa
Co-production, création et résidence : Le Toursky (Marseille)