- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 10 min
‘Misérables’, Une mise en scène brillante et originale signée William Mesguich
William Mesquich signe la mise en scène d’un spectacle de théâtre musical familial ‘Misérables’ pour lequel il s’est aventuré avec délectation dans les méandres de la pensée hugolienne. Représentée à guichets fermés à Avignon, au Théâtre du Balcon avec quatre magnifiques comédiens chanteurs musiciens, Estelle Andréa, Oscar Clark, Julien Clément et Magali Paliès, le spectacle, dont l’adaptation théâtrale est de Charlotte Escamez et la composition musicale d’Oscar Clark, mené de main de maitre, a ému, enchanté, captivé petits…. et grands !
Vu le 4 avril 2022 au Théâtre du Balcon - Avignon : "Misérables", spectacle inspiré de l'oeuvre Les Misérables de Victor Hugo. Mise en scène de William Mesguich. Avec : Estelle Andréa, Oscar Clark, Julien Clément et Magali Paliès
"Misérables" Mise en scène de William Mesguich
Un spectacle théâtral et musical
‘Dors, papa Dors’
De jolies voix, un texte à la fois tendre et fort, en grande partie de l’œuvre de Victor Hugo "Les Misérables", servi par des comédiens-musiciens chevronnés, des images magnifiques, en fond, pour planter un décor et s’y fondre, des costumes splendides, un drapeau rouge flottant sur la barricade tenu par un Marius rappelant les principes fondamentaux de la constitution, une douce Cosette agenouillée sur une croix de lumière sur la scène, chantant ‘Dors, papa, dors’, comme on berce un enfant. Et, dans la salle, un gamin, les yeux grands ouverts sur un morceau de vie, essuie à la dérobée une larme vagabonde. Ne la cache pas, petit, j’ai pleuré aussi !
Nous avons rencontré l’admirable comédien et metteur en scène William Mesguich qui nous parle de son spectacle ‘Misérables’ avec la passion qui le caractérise.
Interview de William Mesguich, comédien et metteur en scène
« Je souhaite que les spectacles que je fais soient relativement populaires, au sens noble du terme. »
Danielle Dufour Verna/Projecteur TV –Bonjour William Mesguich. Vous avez mis en scène ‘Misérables’ donné brillamment au Théâtre du Balcon en Avignon ces 3 et 4 avril 2022. Pourquoi ce choix ?
William Mesguich – Comme beaucoup de gens dans la vie en général, comme beaucoup de gens de théâtre, beaucoup de gens intéressés par la littérature en particulier, j’aime Victor Hugo. J’ai eu l’occasion de mettre en scène il y a quelques années Ruy Blas. J’ai aussi interprété, il y a quatre ans maintenant, Les derniers jours d’un condamné, plus de 100 fois, un seul en scène, un monologue de Victor Hugo autour de la peine de mort. Mon père a mis en scène par exemple Marie Tudor et j’aime infiniment la poésie de Victor Hugo depuis très longtemps. Je me suis dit, pourquoi ne pas repartir sur une aventure hugolienne, familiale, jeune public, mais qui peut intéresser toutes les générations parce que je pense que tout le monde est intéressé, bercé, par la littérature de Victor Hugo, par les mots de Victor Hugo, par la pensée hugolienne. Je me suis dit que Misérables pourrait plaire au plus grand nombre et, en même temps, atteindre le degré d’exigence que je souhaite pour parler aussi du rapport à la misère, discuter social, sociétal, économique, à l’héritage, ou pas, à la trahison, à la violence des rapports humains à travers cette société qui devient très dure. Je me suis dit que c’était un spectacle qui rassemblait beaucoup d’atouts pour tenter de s’aventurer dans les méandres de la pensée hugolienne. Comme c’est un spectacle au départ, familial, tout public, je n’avais pas l’intention de faire les Misérables qui dureraient deux heures, deux heures et demie. Il a fallu tailler dans le gras si j’ose dire pour trouver la ligne de ce qu’on voulait raconter. On s’est concentré principalement, et cela m’intéressait au plus haut point, sur le parcours de la jeune Cosette, qu’on a suivi. Bien sûr, c’est ce que raconte Victor Hugo dans les mille et quelques pages des Misérables, mais je voulais qu’on se concentre particulièrement sur cela. On a par exemple peu évoqué les barricades, un peu à un moment donné avec Marius…
DDV – Très belle image de Marius brandissant ce drapeau rouge.
« Une égalité liée à l’éducation »
William Mesguich – Oui, c’est une très belle image aussi quand ils sont derrière le rideau de fils. Je souhaitais qu’on raconte aussi qu’il fallait cette parole autour de la liberté, de la fraternité, de l’égalité, de l’école pour tous. C’était très important d’aller sur ce terrain-là pour scander aussi cette réflexion, une forme de revendication autour de l’égalité dans notre société, de quelque ordre qu’elle soit, mais notamment liée à l’éducation. On déroule le fil de l’histoire de cette jeune Cosette. Bien sûr, il y a aussi Valjean, il y a Thénardier, il y a Fantine, un peu. C’est une tentative vraiment, de suivre le parcours de cette jeune-fille qui démarre dans la misère, plus que de la difficulté puisqu’elle est abandonnée évidemment par Fantine pour des raisons extrêmement précises…
DDV –D’ailleurs très bien évoquées…
William Mesguich – On voit comment cette jeune-fille va se réparer grâce Jean Valjean et comment elle va s’accomplir en quelque sorte. Ça finit tristement puisque Jean Valjean meurt mais elle va se marier avec Marius. Elle va devenir une femme. Et à l’heure où les femmes étaient, non, sont toujours stigmatisées, il y a toujours cette violence je trouve à l’égard des femmes, ça me semble intéressant de mettre en lumière la réussite, je ne veux pas dire la résilience car tout le monde le dit sans arrêt, la capacité à se relever et à avancer dans la vie malgré les difficultés, malgré les contingences. Voilà, j’aime Victor Hugo, je me suis dit qu’il fallait replonger dans un classique tel que celui-là. Il fallait aussi qu’il y ait une dimension musicale, on a tout de suite imaginé avec les comédiens qu’il fallait que ce soit musical.
DDV - C’était ma prochaine question, pourquoi musical ?
« C’est vraiment Magali qui a fait cela d’une manière formidable. »
William Mesguich – D’abord, ce sont deux chanteuses, Estelle Andréa et Magali Paliès, avec lesquelles je travaille beaucoup depuis quelques années. Au Festival d’Avignon, en 2016 ou 2017, on avait fait ‘Olympia ou la mécanique des sentiments’, un spectacle musical lyrique auquel participait Magali avec un autre chanteur et trois musiciens qui les accompagnaient. Depuis, on a déroulé quelques spectacles ensemble et on a fait montre d’une complicité, avec Magali notamment, qui joue Gavroche, qui a participé à la création des Misérables et qui a pris en charge la responsabilité, presque, du spectacle. Je n’étais qu’un maillon important de l’ensemble mais je ne menais pas absolument les opérations au niveau de la production. C’est vraiment Magali qui a fait cela d’une manière formidable. On a rebondi avec ‘Sur les pas de Léonard de Vinci’ qu’on a joué au Festival d’Avignon l’été dernier et qu’on reprend à Avignon l’été prochain, un spectacle qu’on a joué également à Paris, qui est en tournée, qui rencontre un grand succès. Il nous semblait important de continuer ces aventures-là. Il y aura peut-être un spectacle autour de Jules Verne dans un an ou deux. Les gens adorent Vinci. C’est tellement instructif, tellement ouvert sur l’invention, sur le partage, sur l’intelligence, sur la poésie de cette époque-là avec ce maitre italien.
Toujours musical, avec les quatre mêmes comédiens chanteurs et cette fois-ci c’est Estelle Andréa qui joue Cosette et Fantine dans Misérables qui a composé le texte et la musique. Moi, j’ai mis en scène, j’ai fait les lumières. On a voulu poursuivre ce chemin-là. Il y a eu beaucoup de choses de faites musicales, c’est vrai sur Victor Hugo, notamment des comédies musicales mais il y a eu aussi énormément de spectacles théâtre autour de Victor Hugo. Je me suis dit ‘tiens, si on faisait une chose un peu hybride’ qu’on appelle en quelque sorte le théâtre musical, avec 50% à peu près de musique, 50% de texte parlé. Ce n’est pas une comédie musicale, ce n’est pas un spectacle de théâtre, c’est ce qu’on appelle du théâtre musical. On joue beaucoup devant des jeunes, des scolaires, c’était bien pour eux qu’il y ait des musiciens en direct ; Oscar qui fait Marius qui joue de la guitare etc. Le spectacle est un peu plus complet que s’il n’était que théâtral.
DDV –Vous dîtes avoir voulu faire un spectacle familial et cibler les enfants, dans quel but, leur apprendre Hugo, leur dire ce qui manque cruellement à notre société actuelle ?
« Avancer sur le terrain d’une ouverture de la pensée. »
William Mesguich – Oui, en tous cas, avancer sur le terrain d’une ouverture, de la pensée, du regard qu’on peut porter comme cela sur les gens de cette société qui éclairent certainement notre société, notre regard à nous, contemporain, actuel, sur les agissements. D’abord la langue de Victor Hugo, adaptée bien sûr, une véritable adaptation théâtrale avec l’invention de dialogues. Elle a repris des choses qui existaient dans l’œuvre, elle a aussi transformé légèrement, c’est une véritable adaptation. Mais ça reste la pensée, les mots majoritairement, de Victor Hugo. Ça semblait intéressant que ce grand auteur vienne éclairer à l’aune de ce que nous vivons. Même s’il n’y a pas une désaffection pour les grands auteurs, on sait bien que les gamins, avec les écrans, tik tok et instagram, il y a une perte d’intérêt, de repaires aussi pour les plus grands auteurs, vraiment. Il me semble passionnant de pouvoir continuer à s’intéresser aux grands auteurs ainsi qu’aux auteurs modernes avec l’écriture contemporaine tout en continuant à creuser le sillon des grands auteurs classiques.
La seconde, pourquoi les enfants entre autre, c’est parce que demain, après-demain, il faut les convaincre, les séduire. Comme j’ai dit, les enfants sont plutôt intéressés par les écrans que par les grands textes, et plutôt par les portables que par le théâtre. Si on veut construire un public pour demain, pour après-demain, aller à la conquête de nouveaux spectateurs, il faut pouvoir cibler les plus jeunes, très vite, avec des spectacles exigeants qui racontent des choses profondes, essentielles, passionnantes, qui éclairent notre comportement et la façon dont on a envie de vivre au 21e siècle. ‘Sur les pas de Léonard de Vinci’, c’était mon 10e spectacle jeune public familial sur à peu près une centaine de mises en scène. Je mets un point d’honneur à m’aventurer du côté des plus jeunes, et on est toujours un peu jeune dans sa tête. Je souhaite que les spectacles que je fais soit relativement populaires, au sens noble du terme.