- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 4 min
“Lévon Minassian invite Juan Carmona” au Théâtre Toursky
Plus une place libre dans cette magnifique salle du Théâtre Toursky, ce samedi 10 février, pour accueillir une création unique : "De l’Arménie à l’Andalousie".
"De l’Arménie à l’Andalousie" Apothéose musicale au Théâtre Toursky
Sur scène vont se succéder deux heures durant quinze artistes que, seul, le génie musical conjugué de Lévon Minassian et de ces saltimbanques a pu réunir. Ce soir, le Solano, ce vent qui enflamme Grenade et donne le vertige, s’est mêlé au doux zépur qui souffle à la tombée de la nuit sur le Mont Ararat, pour une sorte de mélopée, le son de l’oud rayonnant dans les émirats arabo-andalous parvenu jusqu’aux plaines d’Erevan. Ce soir, le spectacle est singulier. C’est l’union musicale de deux grands virtuoses : Lévon Minassian, parmi les plus grands joueurs de doudouk au monde et Juan Carmona, fabuleuse guitare de la scène internationale, la source et le feu, la mélancolie et la joie, réunis pour parler de deux parcours, deux tragédies, deux exils. Surtout ne pas oublier. Faire vivre, subsister, le souvenir. Il y a dans l’atmosphère un « je ne sais quoi » qui vibre d’émotion contenue.
Ce soir plus que jamais, le concert est exceptionnel.
L’affiche rouge
« Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants »…
Adieu la peine et le plaisir
Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan… »
Ils se nommaient Elek, Fontano ou encore Rajman et Manoukian. Ils sont morts fusillés"sans haine pour le peuple allemand".
Dans un silence absolu, Richard Martin s’avance. Il donne le la au concert de Lévon Minassian, la poésie d’Aragon en guise d’ouverture. Ovationné par le public, il ouvre ses bras fraternels aux artistes sur scène et, poète parmi les poètes, convie avec eux l’Arménie, la France, les peuples, à se donner la main pour raconter l’indicible, contrer l’oubli par l’amour.
Lévon et Roselyne Minassian
Lévon Minassian et sa sœur, Roselyne Minassian, grande mezzo soprano à la voix de velours, apprennent aux spectateurs le décès de leur « maman adorée », survenu l’après-midi même. Ils joueront en son hommage et en l’hommage de toutes les mamans disparues. Le Doudouk de Lévon se fait plus tendre, doux, caressant ; souvent grave, mélancolique, comme une plainte. Plus que jamais, le musicien enchante le public. Il est sur scène et il est ailleurs...comme pour ce « Clair de Lune » où son âme s’envole :
- « Dans la nuit j’erre par les rues de mon village. Les gens qui me voient pourraient croire que je n’ai ni famille, ni demeure. Je pense seulement à la vie, au temps qui passe… »
Sa maîtrise, sa dextérité, sa délicatesse sont doublés de tristesse retenue, le cœur, l’amour, au bord des lèvres. Lévon Minassian est un virtuose. Il ne joue pas des morceaux du folklore arménien, il ‘est’ musique ; il ‘est’ douleur, tristesse, il est bonté. Il est la voix de son peuple. Et ce sont les iris, les colchiques, les orchidées, les pervenches, les fleurs d’abricotier qui diffluent leurs couleurs et leurs parfums sur la salle.
- « Je deviendrais rocher, je me ferais vague de l’océan, je pourrais devenir les larmes de tes yeux, pourvu que tu m’aimes, pourvu que l’amour ne meure jamais… »
Ce soir, Lévon et Roselyne ont bouleversé leur programme. Cette chanson est pour leur mère.
La voix de Gouzes Linim Roselyne Minassian s’élève, chaude, belle, forte. Elle se fait mélodie, lamentation, complainte. Des mots aux sonorités lointaines, des mots d’ailleurs, tellement beaux qu’ils en deviennent nôtres. C’est la voix de leur peuple, mais, ce soir, Roselyne et Levon sont la voix de leur « Mayrik », la voix d’Elise. Le sourire de leur maman flotte sur les spectateurs qui retiennent leur souffle ; magique !