- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 12 min
« Le Poète et le Guerrier » Victor Hugo – Garibaldi. Deux humanités partagées
Le poète et le guerrier, Victor Hugo et Guiseppe Garbaldi . Une pièce de théâtre puissante vue au théâtre du Balcon en Avignon, écrite par l’auteur italien Alberto Basseti. Une passerelle poétique et historique entre la France et l’Italie, unies par l’amitié et l’humanisme.
Le Théâtre du Balcon en Avignon est coutumier des spectacles de très haute qualité. Dans le cadre de la Bella Italia, semaine italienne en Avignon, il n’a pas dérogé à la règle en donnant, ce 18 octobre 2020, « Le poète et le Guerrier » Victor Hugo - Garibaldi, du dramaturge et metteur en scène italien, Alberto Bassetti. C’est une salve d’applaudissements qui a clôturé ce moment remarquable, saluant dans un même élan les comédiens, l’auteur, et le metteur-en-scène.
« Le Poète et le Guerrier » Victor Hugo – Guiseppe Garibaldi
Un Symbole du lien entre France et Italie.
Emblème du lien indéfectible entre la France et l’Italie, entre les hommes, entre les nations, ce sujet terriblement actuel met en exergue l’amitié entre Hugo et Garibaldi de la manière la plus théâtrale possible : amusante, intrigante, parfois même émouvante tout en restant fidèle aux sources historiques, aux écrits, aux lettres et ce, même dans leurs aspects les plus comiques et les plus paradoxaux.
Salvatore Caltabiano et Guillaume Lanson, formidables comédiens
Salvatore Caltabiano (Garibaldi) et Guillaume Lanson (Hugo), deux comédiens aguerris, réussissent là, en lecture seule, une véritable gageure. Avec quelques gestes, l’épée surgit, la malle s’ouvre, les barbes s’ajustent, les feuilles de l’olivier chatoient. Tous deux suscitent l’imaginaire et réussissent à créer le décor, immense, le sable sous les pieds, le corps d’Anita dans les bras de Garibaldi, celui de Léopoldine dans les pensées d’Hugo... On reconnait la patte du grand metteur-en-scène, Serge Barbuscia, ajoutant deux paroles à la fin du texte, en forme d’hommage appuyé à Samuel Paty, enseignant sauvagement assassiné la veille pour avoir défendu la liberté d’expression : ‘Tout ça… pour ça’ que Guillaume Lanson (Hugo) répètera deux fois. Du grand art !
Alors que les comédiens entrent en scène, ils miment les paroles d’une voix off : « Quasiment une piste de cirque ; entrent deux hommes. Un premier avec un nez rouge, des vêtements étranges. Il ressemble un peu au clown Auguste, nous l’appellerons A. Il regarde autour de lui, comme perdu, égaré, comme s’il cherchait quelque chose et, ne le trouvant pas, regarde le public. Entre un autre homme à l’allure sérieuse. Il fait penser au clown blanc. On l’appellera B. Il avance avec dignité, observe le public à son tour. À fouille une malle et en extrait une épée. Il menace B. -Tu veux me tuer ? –Oui –Si tu me tues moi demain je te casse la gueule –Moi en attendant je te tue –Mais tu ne peux pas. Il faut d’abord me demander si j’ai une dernière volonté. On fait comme ça avec les condamnés à mort c’est un droit fondamental. –Bon quelle est ta dernière volonté ? –Je veux regarder une dernière fois dans la malle.
Il sort de la malle une barbe blanche qu’il pose sur son visage d’un air triomphant. Il rit –Maintenant tu ne peux plus me tuer parce que tu ne peux pas me tuer, je suis immortel. Tu ne me reconnais pas, mais fais un effort, réfléchis.
Tu ne peux pas me tuer, nous étions des grands amis. Mais non, je suis Italien, tu es Français. Nous étions quand même de grands amis ; On a même organisé un congrès à Genève… pour fonder les Etats-Unis d’Europe, un seul parlement, une seule monnaie, une seule armée, un pour tous, tous pour un, plus de frontière, plus de douane. -A propos de frontière, mon cher Gaulois, tu m’as piqué Nice… »
Le poète et le Guerrier, rencontre avec Alberto Bassetti, auteur
Danielle Dufour-Verna –Projecteur TV - Pourquoi avoir nommé les deux personnages A et B et pourquoi une scène qui s’apparente à un cirque ?
Alberto Bassetti – Oui. Ce sont deux bonnes questions et un sujet important à clarifier. A et B parce qu’ils ne sont pas vraiment Garibaldi et Hugo. Je ne sais pas qui ils sont, s’ils sont deux clochards, s’ils sont deux fous dans un asile ou s’ils sont deux clowns. On ne sait pas. Ils sont deux personnages qui sont principalement le théâtre. A, B, aucune importance si on s’appelle Albert ou François, A, B sont deux archétypes du théâtre, deux comédiens qui vont vraiment jouer le jeu du théâtre. C’est le théâtre qui va être joué simplement si on dit : « Voilà, je suis Garibaldi. Ah non ! Mais tu n’as pas la barbe ! Oui, je suis Garibaldi » et Victor Hugo « Tu es dieu ? –Non je suis un écrivain, j’ai la plume, je suis Victor Hugo » C’est tout cela, c’est vraiment le jeu pour être dans le théâtre. Pourquoi ai-je fait cela ? Parce que, quand j’ai commencé à écrire, sur une suggestion de Pierre Santini qui m’avait donné un article, juste une suggestion, surtout le fait que Hugo avait donné sa démission du Parlement quand Garibaldi avait été renvoyé. La droite avait dit ‘Ah non, Garibaldi n’est pas Français’. En effet, il avait combattu, il s’était battu avec les Français contre les Allemands. Il en avait tous les droits mais il a été renvoyé du Parlement par la droite. Hugo a dit, oui, ok alors moi aussi, je quitte le parlement. Ils étaient tous deux en grande amitié, plus qu’amitié, un grand respect, l’un pour l’autre.
Chacun disait « Tu es le meilleur, tu luttes pour la démocratie, pour la République, tu es un grand. » Mais tu ne peux pas faire du théâtre simplement en disant, tu es meilleur que moi, bravo. J’avais donc besoin de faire quelque chose qui me permette d’écrire vraiment, librement, sans didascalie, sans devenir un essai historique. Sinon, on parlait de la guerre, on parlait de la révolution, on parlait de la sédition des Mille…
DDV – Vous vouliez vraiment ressusciter l’ambiguïté de leur appartenance à ces deux pays…
Alberto Bassetti – Oui, parce que c’est ma vie, aussi. Je suis vraiment, dans cette période de la vie, vraiment, entre deux pays, entre la France et l’Italie. Depuis cinq ans, je vis la plupart du temps à Paris, plus à Paris qu’à Rome. Pour moi c’est important de comprendre ce que veut dire être entre deux pays. Nous sommes des pays cousins, frères, qui se connaissent très bien, qui ont la même culture mais qui ont deux langues différentes, deux pays différents. C’était pour moi une occasion formidable de pouvoir travailler sur les deux esprits comme symboles des deux pays dans lesquels je vis. En Italie, on trouve des rues, des monuments Garibaldi partout. J’ai même été surpris à Washington Square, à New York, de voir sur la place un monument à Giuseppe Garibaldi. À Paris, il y a les amis de Garibaldi etc. Je voulais travailler sur deux symboles de l’Italie et de la France car c’est passionnant, pour moi, de travailler sur cette amitié parfois méconnue entre ces deux symboles. Victor Hugo est vraiment le symbole de la France. Même Walt Disney s’est emparé de Quasimodo !
DDV –Vous êtes assez critique envers Garibaldi, n’hésitant pas à lui reprocher son allégeance au roi Victor Emmanuel II…
Alberto Bassetti – Oui, j’ai pris deux symboles, mais ma préférence va à l’écrivain, pas au soldat, mais à Hugo que j’ai toujours aimé. Garibaldi a un peu d’ambiguïté. C’était un grand personnage qui a eu le courage de vivre en combattant mais ce n’était pas un vrai intellectuel.
DDV –Votre Garibaldi a parfois une connotation comique, voire burlesque
Alberto Bassetti – Ça c’est pour le théâtre. Dans une véritable représentation, il y a des moments de rire. On a tout inséré : les interviews, le moment où ils vont planter l’olivier de la paix. Ils montent sur un escalier parce que l’olivier a besoin de hauteur. Il ne peut pas être au niveau de la mer. Ils font des choses que l’on fait dans un cirque. Mais tout est important, même les reproches que je fais à Garibaldi d’avoir cédé au roi est quelque chose qu’Hugo aimait. Mais c’est vrai que la situation à ce moment-là était très difficile en Italie, presque impossible. Avec Mazzini, il avait fait la conquête de Rome. Si on n’avait pas eu les Français, on aurait eu les Autrichiens. Même après l’expédition des Mille, Garibaldi voulait continuer vers Rome et c’est là que le roi de Savoie est venu pour bloquer. On parle un peu dans la pièce du fait que sur les montagnes d’Aspromonte, les Bersaglieri, les soldats italiens, ont tiré sur Garibaldi. Ils l’ont touché au pied et a manqué le perdre. Il ne pouvait pas faire plus. En tout cas, il a cédé l’Etat italien au roi. Tout est vrai dans la pièce, rien n’est inventé. J’ai voulu parler de l’esprit pour communiquer l’amour entre les deux pays, la liaison. On cite aussi Giuseppe Verdi qui est né Joseph car, en 1813, Roncole près de Parme, était française. Garibaldi, notre héros italien national est né à Nice, française en 1807, qui ne redeviendra piémontaise qu’après 1814. Ce sont des liaisons auxquelles je tenais beaucoup.
DDV –Quels sont vos projets actuellement ?
Alberto Bassetti –On m’a commandé une pièce sur le confinement. Au début, cela ne me tentait pas vraiment car je n’aime pas trop écrire sur l’immédiat. Mais par la suite, j’ai trouvé une manière fantaisiste : deux hommes qui se rencontrent. On ne sait pas immédiatement qui ils sont. J’ai eu une idée qui m’a plu. C’est une pièce qui sera jouée à Naples, au Théâtre Galleria Toledo. J’espère également que ‘Le Poète et le Guerrier’ soit rapidement mise en scène. Le théâtre doit être joué. J’aime beaucoup écrire, j’aime beaucoup publier, mais le vrai théâtre, c’est le théâtre sur scène, sur le plateau.
DDV –Quelle est votre définition du bonheur ?
Alberto Bassetti – Une question difficile. Je pense que c’est d’avoir une conscience propre, pas sale et savoir qu’on fait ce qu’on veut. C’est ça le bonheur. On peut dire deux mille choses, la santé, la famille etc. mais vraiment c’est la conscience de vivre la vie qu’on voulait faire. Pour moi, c’est cela. J’ai fait beaucoup d’erreurs dans ma vie. Je n’ai pas eu assez confiance en moi-même mais en tout cas, je voulais faire du théâtre et je fais du théâtre. Réussir à être soi. Comme l’a dit Socrate « Connais-toi toi-même ».
Le poète et le Guerrier, le mot de avec Serge Barbuscia, metteur-en-scène
« On s’était rencontré avec Alberto Bassetti, il y a quelque temps. Il avait écrit un texte sur Pirandello. Je suis très ému aujourd’hui car c’est un jour terrible. Je voulais ne pas être là, je ne vous le cache pas. Je pensais aller à la manifestation. Je vous remercie d’être là. Je suis là aussi avec vous. Notre métier est fait de deux axes essentiels : résister et transmettre. C’est aussi ce que font les enseignants depuis très longtemps. Ils résistent dans une société qui se délite de plus en plus et continuent à transmettre, à transmettre des valeurs. Si vous voulez, nous pouvons prendre ensemble une minute pour penser à cet homme qui a subi une telle barbarie. C’est honteux. J’ai honte. J’ai honte pour l’humanité. On n’a pas de mot, sinon qu’il faut que ça s’arrête. Il faut sauvegarder ce qui est pour nous essentiel, la liberté d’expression. Pensons à Samuel Paty.
Ce soir j’ai deux acteurs que j’adore : Salvatore Caltabiano et Guillaume Lanson. Ils ont fait le maximum pour que le texte vienne jusqu’à vous. Ce n’est pas un texte facile en lecture. Là il fallait faire un effort particulier. »
Le poète et le Guerrier, une pièce de théâtre puissante
Avec cette pièce, Alberto Bassetti rend l’humanité à deux grands hommes. Ce ne sont plus des noms illustres à retenir, à honorer, mais deux hommes, qui, à un moment donné, dans ce théâtre du monde, ont réfléchi, ont acté leur position, quelles qu’en soient les conséquences. A et B, ce peut être moi, ce peut être toi. Cet anonymat rend possible sa propre projection dans le personnage. En plus du plaisir partagé, des moments d’humour, de la découverte intime de l’amitié entre ces deux individualités qui se rejoignent dans un idéal fraternel, c’est à un moment de réflexion intense que nous sommes conviés sans le savoir. Quand le spectateur est surpris, qu’il s’interroge tout en savourant son plaisir, c’est cela le théâtre, c’est cela la culture.
En citant Socrate, ‘Connais-toi toi-même’, Alberto Bassetti épouse la signification que Socrate lui-même donne à ce précepte : « Sache qu’il y a en toi un principe d’excellence qui doit guider tes actions : la raison ». C’est, ajoutée à son génie, ce qui fait de Bassetti un grand auteur et un citoyen du monde dans toute l’acception du terme.