- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 5 min
Thierry Malandain, militant de la beauté
Le festival Vaison-Danses 2022 s’est clôturé avec la dernière production de Thierry Malandain : « La Pastorale ». Le chorégraphe connait bien le théâtre antique de Vaison-la-Romaine pour y avoir fait représenter un hommage aux Ballets russes en 2003, « Roméo et Juliette » en 2011, « Cendrillon » en 2016, « Noé » en 2017.
"La Pastorale" de Thierry Malandain, pour clôturer le festival Vaison Danses édition 2022. Ballet pour 22 danseurs sur une musique de la 6ème Symphonie de Ludwig van Beethoven
"La Pastorale" - Thierry Malandain, sur une musique de Beethoven
Sur une musique de Beethoven, 20 danseurs, hommes et femmes, dansent sans interruption pendant plus d’une heure et quart. Dans l’exécution des pas et dans le port des costumes, le chorégraphe a tenu à ce qu’il n’y ait aucune différence entre les sexes. Le décor se résume à un assemblage de barres qui forment une série de cubes qui peut signifier l’enfermement, l’uniformité et la proximité des occupants de l’espace comme dans un HLM. L’assemblage prend deux positions dans le cours du spectacle : levé ou baissé. Cette froide et austère description de la situation pourrait laisser croire à une forme de minimalisme qui pourrait devenir rapidement lassante pour le spectateur. Et c’est tout l’inverse qui se passe. C’est très beau et on ne s’ennuie pas une seconde.
« La Pastorale » une commande de l’opéra de Bonn et du théâtre national de Chaillot
Comme une grande partie de ses ballets, « La Pastorale » de Thierry Malandain est une commande. Une commande de l’opéra de Bonn et du théâtre national de Chaillot à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven en décembre 1770. Comme le dit le chorégraphe réaliste, les commandes sont plutôt une aubaine pour les artistes : « on ne peut rien faire sans contrainte ; il est rarissime qu’un artiste bénéficie de tous les moyens dont il rêve, et en définitive les commandes obligent à explorer des territoires sur lesquels il ne se serait pas spontanément engagé ».
Sur une musique de Beethoven
À l’origine, il souhaitait prendre la 7e symphonie, celle que Richard Wagner qualifiait d’« apothéose de la danse » à cause de sa rythmique. Mais elle avait déjà fait l’objet d’une chorégraphie remarquée de l’Allemand Uwe Scholz (1958-2004) qui est un des rares créateurs à avoir mis en danse des symphonies musicales. En définitive, ce sont trois partitions de Beethoven que Malandain a retenues pour construire son ballet : d’abord les Ruines d’Athènes (une œuvre de commande de 1811), puis la 6e symphonie (créée en 1808), « plutôt expression de la sensation que peinture » qui traduit les impressions que l’homme goûte à la campagne », et la cantate op.112 (1815) écrite sur deux poèmes de Goethe et sous-titrée « mer calme et heureux voyage ». Ce qui correspond aux trois actes qui structurent l’histoire de cette Pastorale.
L'histoire de "La Pastorale" vue par Thierry Malandain
Acte I
Dans la première partie qui dure près d’une demi-heure, le réel est figuré par un agencement de barres qui forment des sortes de cages servant d’appuis et de contraintes aux danseurs. Un individu isolé accompagné d’hommes et de femmes habillés d’une même longue robe noire boutonnée dans le dos semble souffrir et se débattre jusqu’à ce qu’il reçoive des marques de sympathie d’un couple qui l’entoure.
Acte II
Débarrassé de sa robe noire, il s’écroule, mort sans doute. L’assemblage de barres disparaît dans les cintres et, dans un fondu enchaîné, le monde s’éclaircit comme dans un rêve. Le décor n’est plus que celui des arbres naturels de Vaison, qui prennent des couleurs diverses grâce à la magie de la technique lumière. Les danseurs et les danseuses ont changé d’uniforme et revêtu une sorte de tunique blanche unisexe qui évoque l’Antiquité.
Thierry Malandain voit dans cette deuxième partie la symbolisation de la Beauté, d’une beauté qui peut sauver le monde. Et la beauté, que ce soit à la Renaissance, au 17e siècle, au premier Empire, à la fin du 19e, ou dans les années 20-30, s’est référée à l’idéal antique. On retrouve le sens de la pastorale comme genre littéraire qui dépeint un univers idyllique où bergers et bergères filent le parfait un amour dans le cadre serein de la campagne des temps anciens.
La danse se déploie en de multiples formations, en géométries diverses et variées, rappelant les frises et les fresques que le monde antique nous a laissées. Un escargot traverse la scène, incongru parce qu’on a oublié que sa coquille en spirale symbolise le parcours de la vie.
Acte III
Enfin dans une dernière partie, l’orage gronde, deux hommes en longue robe noire réapparaissent, des ombres se reconstituent, l’homme couché se réveille et, courbé, reprend sa déambulation autour de la scène à petits pas pressés. Lentement les barres redescendent sur scène. Entouré de toute la troupe, en collant de couleur chair, comme dénudé, il reprend une danse libérée tandis que, pour la deuxième fois les cages remontent dans les cintres.
La danse a ce privilège de nous mettre d’accord sur la beauté de la gestuelle, des positions et de la dynamique des groupements, mais en même temps de laisser libre cours à notre imagination pour donner ou pas un sens aux sensations qu’on éprouve comme à l’histoire qu’on veut y voir. Et si le chorégraphe avait pensé à Beethoven lui-même, enfermé par sa surdité et libéré par et dans la musique ?