- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 7 min
Marseille : Ionesco et le Théâtre de la Huchette pour un succès éclatant au Théâtre Toursky
Le théâtre international Axel Toursky a marqué d’une pierre blanche ce vendredi 12 janvier 2024 avec la représentation de ‘La Cantatrice Chauve’ suivi de ‘La Leçon’ par les magnifiques interprètes du Théâtre de la Huchette acclamés par un public nombreux et enthousiaste.
Vu ce 12 janvier dans le cadre de la saison 2023-2024 du théâtre Toursky à Marseille.
Eugène Ionesco, Nicolas Bataille, Marcel Cuvelier, Théâtre de la Huchette pour deux pièces mythiques : La Cantatrice Chauve et La Leçon. Nous avons rencontré Nathalie Bigorre, remarquable interprète de la bonne et de la gouvernante dans les deux pièces de Ionesco.
La Cantatrice Chauve et La Leçon par le Théâtre de la Huchette au Théâtre Toursky à Marseille
À Paris, La Cantatrice Chauve et La Leçon sont donnés en continu depuis 1957 au théâtre de la Huchette.
Le Théâtre de l’absurde
Le théâtre d’Eugène Ionesco, qualifié d’absurde, est un Théâtre du démasquage qui, par le biais de l'hyperbole et de la parodie, révèle progressivement l'essence la plus authentique de certains phénomènes et leur modus vivendi.
‘La cantatrice chauve’, une critique acerbe de la société moderne
Avec ‘La Cantatrice Chauve’ Ionesco démontre l’incapacité moderne des êtres humains à avoir des relations entre eux.
"C'est la pièce la plus insolemment intelligente que puissent voir tous ceux qui aiment le théâtre, la sagesse, la tragédie et la farce " rapporte " Le Figaro " en 1952, reconnaissant la valeur de cette anti-comédie, pièce phare d'un auteur qui pratique l'humour à froid, composée de saynètes désopilantes qui culminent dans un final retentissant. Auteur d'un théâtre d'avant-garde, ou plutôt d'un " spectacle-provocation ", Ionesco débarrasse la pièce des oripeaux de la tradition, tout en conservant sa structure archétypale : prologue, action, épilogue.
C'est le pompier, avec ses anecdotes loufoques et ses blagues à double sens, qui comble, bien que transitoirement, les lacunes comportementales de M. et Mme Smith, qui tentent vainement de donner un sens à leur vie, et de M. et Mme Martin, qui sont si confus et désorientés dans leur appropriation relationnelle qu'ils ont besoin de stimuli externes.
Mary, la bonne des Smith, un personnage secondaire essentiel
Mary, la bonne des Smith, est un personnage secondaire, tout comme le pompier, mais dans l'économie de la pièce, c'est ce binôme qui met l'accent sur les relations et déclenche l'hostilité et la nervosité ; un comportement qui est également accentué par les coups forts de l'horloge.
La Leçon
Si l'écriture de La Cantatrice chauve trouve son origine dans un manuel d'anglais, pour La Leçon, c'est le livre d'arithmétique de la fille et la caricature du professeur de philologie qui suggèrent au dramaturge une nouvelle pièce. Les deux pièces se greffent sur des extravagances et des anomalies, dans ‘La Leçon’ le dialogue des personnages se déroule sur un double registre et les deux disciplines d'étude deviennent un véhicule de lubricité et de manies qui trouvent leur aboutissement dans le délire érotique et les pulsions meurtrières.
Maria, la gouvernante du professeur
Le personnage mystérieux de Maria, la gouvernante, est chargé de préparer et de ponctuer les différents moments de l'action, de prodiguer des conseils et des avertissements, ainsi que d'accorder le pardon. Personnage essentiel également dans cette pièce, elle marque le tempo de l’action, faisant monter la pression à chacune de ses apparitions.
Nathalie Bigorre, remarquable interprète de la bonne et de la gouvernante dans les deux pièces mytiques de Ionesco, la Cantatrice Chauve et La Leçon
Nathalie Bigorre, comédienne
Nathalie Bigorre a commencé à jouer en 1978. On a pu l’applaudir notamment dans ‘Le roi se meurt’ avec l’immense et regretté Michel Bouquet ainsi que dernièrement dans ‘La mécanique des émotions’, en tournée dans toute la France. Elle a rejoint la compagnie du Théâtre de la Huchette en 2019.
Bonjour Nathalie Bigorre. Pour entrer directement dans le propos, je voudrais parler de ‘La Leçon’. Il y a, en musique, le leitmotiv, un thème destiné à rappeler une idée, un sentiment, un état. La gouvernante n’est-elle pas le leitmotiv de la pièce, celle qui fait monter la pression ? Au fur et à mesure de l’avancée de la pièce, on se dit : il va arriver quelque chose…
Nathalie Bigorre – Ce que vous dites est très intéressant et si vous l’avez ressenti comme cela, je pense que c’est juste. Je ne l’avais jamais envisagé de cette manière. Pour moi, c’est un personnage qui arrive dès le départ pour essayer de calmer le professeur, de le mettre en garde, d’arriver comme une espèce de pythie qui prévoit, parce qu’elle le sait, la catastrophe finale, mais qui, justement, pour l’éviter et pour protéger, et le professeur et l’élève, met tout en place pour que les choses se passent bien ; et qui est entrainée, malgré elle, par le professeur qui lui ne peut pas se contenir.
La gouvernante est un personnage qui relance l’action, qui rappelle qu’un drame peut se jouer dans ce théâtre de l’absurde, donc un rôle crucial, un personnage clé.
Nathalie Bigorre –Je pense en tout cas que bien que ce rôle, évidemment, soit un petit rôle par rapport aux deux autres rôles, c’est pour moi un personnage essentiel à ce qui se passe. C’est un personnage ambigu, qui essaie de protéger cet homme et l’élève, et c’est quand-même elle qui, en même temps, tient le professeur.
Un peu la mère pour un tueur en série…
Nathalie Bigorre – La mère ou l’épouse, un peu comme les époux Fourniret. On peut imaginer des couples comme ça, monstrueux, où l’un agit, a le couteau, mais il y a derrière une présence très active. C’est un couple.
Et le rôle dans La Cantatrice Chauve ?
Nathalie Bigorre – Ce que fait dire Ionesco de la bonne par les autres montre que c’est un personnage très méprisé. Ce n’est qu’une bonne. A partir de ce mépris, qu’elle peut ressentir par les maitres, elle en conçoit une espèce de force intérieure qui fait que, mine de rien, elle dirige tout ce petit monde. Ce que j’adore chez Ionesco, c’est que ce sont des bonnes qui ne sont pas des bonnes.
Ce sont des bonnes au caractère plus fort que celui de leurs maitres. Le baiser avec le pompier serait surprenant autrement…
Nathalie Bigorre – Absolument ! Elle s’autorise quelque chose… Et le poème qu’elle dit a quasiment la résonnance d’un cri tragique.
Nathalie, pourquoi le Théâtre ?
« Envie de dire les mots des autres… »
Nathalie Bigorre – J’ai toujours beaucoup lu, depuis mon enfance. J’adore la littérature. Je suis folle de cela, je ne passe pas mon temps à acheter des fringues, seulement des bouquins. L’envie des mots qui me bouleversent, qui me motivent, et il y a des auteurs qui disent des choses tellement formidables que j’ai eu envie de dire les mots des autres, vraiment, c’est un désir profond. Quand les comédiens ont la chance de tomber sur Ionesco, c’est le bonheur absolu !
Jouer au Théâtre Toursky, à nouveau, c’est prenant ?
« Le Toursky est un très beau théâtre avec un public exceptionnel. »
Nathalie Bigorre – Oui, j’aime beaucoup ce théâtre. C’est un peu émouvant parce que j’ai connu Richard Martin, évidemment. Il nous avait accueilli dans ‘Le roi se meurt’. Je l’ai vu jouer à plusieurs reprises avec Pierre Forest. J’étais émue d’être là. J’ai pensé à Richard tout le temps. C’est un très beau théâtre et le public est un public exceptionnel, vraiment. Ce sont des gens apparemment qui goûtent le plaisir d’être là et qui ont envie de découvrir. Pour nous, les comédiens, ça a été un très beau moment, un moment de partage. Je souhaite vraiment que ce théâtre continue à vivre.