- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 11 min
Carmen, comme un hymne au féminisme, à l’Opéra de Marseille
Avec Jean-Louis Grinda en maitre d’œuvre opératique.
Un flop ! « De la part des critiques, ce ne fut qu’un chœur pour crier haro », confirme Gustave Charpentier à propos de la première.’’
© Christian Dresse
Adorée du public, Carmen, de Georges Bizet, est de retour sur la scène de l’Opéra de Marseille après dix ans d’absence. Avec Jean-Louis Grinda à la mise en scène, cette Carmen ne peut qu’enthousiasmer le public. Un mois après sa Périchole à l’Odéon, c’est la grande mezzo-soprano Héloïse Mas qui se mesure à la belle Andalouse. Amadi Lagha, ténor à la grande voix de lirico spinto est Don José.
Carmen revient à l'Opéra de Marseille
Jean-Louis Grinda, metteur en scène exigeant et passionné
« Quand je mets en scène un opéra je suis profondément attaché à l’œuvre »
Chevalier des Arts et des Lettres, Chevalier de l’Ordre de Léopold, Officier de l’Ordre du Mérite Culturel de Monaco, Jean-Louis Grinda est un directeur artistique et metteur en scène talentueux et reconnu. Jean-Louis Grinda débute comme secrétaire artistique à l’Opéra d’Avignon et aux Chorégies d’Orange. En 1985, le ministère de la Culture le choisit comme directeur de production pour une tournée nationale de La Bohème.
Il est nommé directeur adjoint du Grand Théâtre de Reims en septembre 1985, puis directeur l'année suivante. En août 1996, il devient directeur de l'Opéra royal de Wallonie à Liège, où il fait ses débuts de metteur en scène avec Singin’ in the Rain. En juin 2007, il quitte la cité wallonne pour prendre la tête de l'Opéra de Monte-Carlo. Il décide finalement de quitter l'Opéra de Monte-Carlo à la fin 2022 pour se concentrer sur ses projets de mises en scène notamment. Depuis 2016, il est directeur artistique des Chorégies d'Orange en succédant à Raymond Duffaut, en poste depuis 1982.
Nous avons rencontré Jean-Louis Grinda pour cette Carmen qu’il a mise en scène, représentée sur plusieurs scènes d’opéra et adoubée par le public, à chaque fois. À noter, cette même Carmen est programmée aux Chorégies d'Orange 2023, le 8 juillet à 21H30, avec Marie-Nicole Lemieux en rôle titre.
Danielle Dufour-Verna/Marie-Céline.com – Vous avez mis en scène Carmen sur plusieurs scènes. Entre une représentation aux Chorégies d’Orange et la même représentation sur une scène d’opéra, que faut-il changer en termes de déplacement, de geste, de voix ?
Jean-Louis Grinda – La mise en scène évolue dans un espace plus grand, c’est tout. Chaque production de mes spectacles que j’ai reprises aux Chorégies, que ce soit Guillaume Tell, que ce soit Mefistofele ou encore Gioconda cette année, ce sont chaque fois des productions que j’ai agrandies, élargies, pour utiliser le plus possible le plateau d’Orange. C’est un travail que l’on fait sur place et qui se fait, de toute façon, presque naturellement. Il faut repenser le spectacle d’une autre façon.
DDV – Quand vous mettez en scène un opéra, n’éprouvez-vous pas un petit frisson en pensant à la génèse de cet opéra, à son histoire, à la première fois où il a été représenté ?
Jean-Louis Grinda – Ah, vous avez raison, c’est une très bonne question, oui, on est toujours face à l’histoire dans ces cas-là. On est vraiment face à des monuments. Carmen est un monument historique de première importance, qui a été un grand échec à la première. Oui, on peut être intimidé par une œuvre, tout-à-fait.
DDV –Vous êtes-vous posé la question de savoir si ça aurait plu à cette époque-là ?
Jean-Louis Grinda – C’est difficile à dire parce qu’aujourd’hui vous avez d’autres interprétations, même techniques, c’est-à-dire au niveau des lumières, au niveau des vidéos, etc. On fait des tas de choses différentes aujourd’hui. Est-ce que ça aurait plu ? J’essaie, pour ma part, de ne pas trahir, que ce soit pour Carmen ou le reste, de ne pas trahir l’esprit de l’œuvre. Finalement, un metteur en scène, qu’est-ce-que c’est ? Ce n’est pas seulement quelqu’un qui place des gens sur scène. Un metteur en scène c’est quelqu’un qui doit également exprimer un point de vue qu’il a sur une œuvre. J’essaie que ce point de vue qui m’est personnel ne trahisse pas, soit un éclairage supplémentaire. J’essaie effectivement de ne pas trahir la pensée du compositeur, ni de Prosper Mérimée d’ailleurs qui est à l’origine de la nouvelle.
DDV – Parlez-moi de ‘votre’ Carmen.
« Don José a des comportements violents, y compris avec les femmes, y compris avec Carmen. C’est ce que je veux montrer dans le spectacle. Don José, en fait, n’est pas une victime. La seule victime de cet opéra, c’est Carmen, c’est elle la victime. »
Jean-Louis Grinda – Je vais vous parler de ma Carmen et de Don José. Souvent, on imagine que Carmen est un peu une fille frivole, une espèce de garce qui veut la liberté, qui tombe amoureuse et qui laisse tomber ce pauvre Don José. C’est un crime passionnel à la fin. Je ne vois pas cela du tout de cette façon-là. Je pense que Carmen est une jeune femme, oui, certainement libre, gitane, pourquoi pas, mais c’est une jeune femme qui tombe amoureuse comme toutes les jeunes filles de dix-huit ans peuvent tomber amoureuses quinze jours ou un mois de quelqu’un. C’est une jeune fille qui flirte, voilà, et qui, un jour, va tomber sur l’homme de sa vie qui est Escamillo. Don José est un type violent. Parce que cette jeune fille va le quitter, il va croire qu’elle lui appartient, qu’il a droit de vie ou de mort sur elle et il la tue. Mais personne n’appartient à personne dans la vie, ça ne se passe pas comme cela. C’est Don José qui est pour moi le salaud de l’histoire. C’est vraiment lui. D’ailleurs, ce n’est pas précisé dans l’opéra, mais dans la nouvelle de Mérimée, pourquoi Don José a quitté sa mère et son village, parce qu’il s’est battu et il a tué quelqu’un. C’est un hyper violent en fait. Don José a des comportements violents, y compris avec les femmes, y compris avec Carmen. C’est ce que je veux montrer dans le spectacle. Don José en fait n’est pas une victime. La seule victime de cet opéra, c’est Carmen, c’est elle la victime.
DDV – Ce n’est pas aussi l’amour, quelque part, la victime ?
Jean-Louis Grinda – Non, je ne crois pas. Elle est tombée sur un salopard violent comme ça peut arriver dans la vie, qui croit que parce qu’il aime une femme cette femme doit lui obéir, ne pas avoir le droit de mener sa propre vie quand elle ne l’aime plus. Il n’accepte pas qu’on ne puisse plus l’aimer.
DDV – Faut-il que vous soyez attaché intrinsèquement, vitalement, à un opéra pour le mettre en scène ?
Jean-Louis Grinda – Oh, oui ! Vraiment, oui ! Tout à fait, absolument, c’est exactement cela. Quand je mets en scène un opéra je suis profondément attaché à l’œuvre, d’abord parce que je l’ai beaucoup travaillé et puis parce que je l’aime. Je ne pourrais pas mettre en scène un opéra que je n’aime pas.
DDV – Quand il vous arrive de voir cet opéra que vous avez mis en scène et que vous aimez, de voir avec un œil professionnel, cet opéra monté totalement différemment par quelqu’un d’autre, avez-vous l’impression d’une trahison ?
Jean-Louis Grinda – Pas du tout ! Au contraire, je suis très bon public. J’adore voir le travail de mes collègues et j’adore voir ceux qui font des choses très différentes de moi parce que, au contraire, c’est intéressant de voir un autre artiste qui présente quelque chose de très différent sur le même texte, sur le même matériel. C’est intéressant, c’est formidable. Moi, j’adore ça !
DDV - Travaillez-vous de concert avec le chef d’orchestre ? Est-ce qu’il donne son avis sur certains moments, certains gestes ?
« C’est le chef d’orchestre qui donne le tempo permanent de tout le spectacle. »
Jean-Louis Grinda – Obligatoirement, parce que le chef d’orchestre est celui qui fait vivre le spectacle une fois que les répétitions sont terminées. Le spectacle est entre les mains du chef d’orchestre. Dans Carmen, la Traviata ou la Bohème, c’est le chef d’orchestre qui donne le tempo permanent de tout le spectacle. S’il ralentit ou qu’il accélère une chose, ça ne raconte pas forcément la même chose. C’est lui qui tient la maison en main. Ce qui veut dire que le travail de mise en scène est obligatoirement avec lui. On travaille de complicité. On doit travailler ensemble. Si je demande un mouvement à un artiste qui gêne un départ musical par exemple, le chef d’orchestre va me le dire.
DDV – C’est un travail qui doit être en harmonie.
Jean-Louis Grinda –Oui, c’est un travail qui se fait en harmonie. S’il n’est pas en harmonie, ça va être très difficile.
DDV – En parlant de chef d’orchestre, vous savez sans-doute qu’à la saison prochaine, un nouveau chef d’orchestre, Michele Spotti, est nommé à l’opéra de Marseille. Est-ce-que vous le connaissez ?
Jean-Louis Grinda – Je ne ai vu qu’une fois Michele Spotti à la générale de Guillaume Tell ici. Il avait très bien dirigé d’ailleurs.
DDV – Pouvez-vous me parler de vos prochains projets à court terme ?
Jean-Louis Grinda – J’ai plein de choses. Je fais Le Turc en Italie à l'Opéra d'Avignon. J’enchaine avec Traviata à l’Opéra de Monte-Carlo au mois de mars. Puis je reprends Carmen en Espagne à Valladolid en avril mai puis je fais en mai-juin, Mefistofele à Toulouse, Carmen en juillet à Orange et en août Lucia au Festival en plein air de Macerata.
DDV – Ma dernière question, Jean-Louis Grinda, quelle est votre propre conception du bonheur ?
« Le bonheur, c’est rendre les gens heureux autour de moi. »
Jean-Louis Grinda – Vous me posez là une question inattendue. Le bonheur, c’est de rendre heureux les gens autour de moi. Comme j’ai une famille avec quatre enfants auxquels je suis très attaché comme vous pouvez l’imaginer, j’essaie de rendre heureux les gens autour de moi.
DDV –Vous rendez déjà le public, heureux.
Jean-Louis Grinda – ça commence par là.
Informations pratiques Carmen à l'Opéra de Marseille
Opéra de Marseille - Les Jeudi 16.02.2023 - 20h00, Samedi 18.02.2023 - 20h00, Mardi 21.02.2023 - 20h00, Jeudi 23.02.2023 - 20h00, Dimanche 26.02.2023 - 14h30
CARMEN - OPÉRA EN 4 ACTES
Livret de Henri MEILHAC et Ludovic HALÉVY d’après le roman de Prosper MÉRIMÉE
Création à Paris, Opéra-Comique, le 3 mars 1875
Dernière représentation à l’Opéra de Marseille, le 12 octobre 2012
COPRODUCTION Opéra de Marseille / Théâtre du Capitole de Toulouse / Opéra de Monte-Carlo
Direction musicale Victorien VANOOSTEN et Clelia CAFIERO (le 26/02)
Mise en scène Jean-Louis GRINDA
Décors Rudy SABOUNGHI
Costumes Rudy SABOUNGHI et Françoise RAYBAUD PACE
Lumières Laurent CASTAINGT
Chorégraphie Eugénie ANDRIN
Carmen Héloïse MAS
Micaëla Alexandra MARCELLIER
Frasquita Charlotte DESPAUX
Mercédès Marie KALININE
Don José Amadi LAGHA
Escamillo Jean-François LAPOINTE
Moralès Jean-Gabriel SAINT MARTIN
Zuniga Gilen GOICOECHEA
Le Dancaïre Olivier GRAND
Le Remendado Marc LARCHER
Lilas Pastia Frank T’HÉZAN
Une marchande Christine TUMBARELLO
Un bohémien Tomasz HAJOK
Danseuse Irene OLVERA
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Maîtrise des Bouches-du-Rhône