- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 12 min
« L’Art d’être grand-père » – Jean-Claude Drouot est Victor Hugo
Le Vendredi 25 mars 2022, dans ce beau village de Visan, Jean-Claude Drouot reprend la parole de Victor Hugo : « L’Art d’être grand-père », pour le Centre Dramatique des Villages du Haut Vaucluse. Homme de théâtre, acteur à la carrière fabuleuse, Jean-Claude Drouot reste, vis-à-vis du public et de lui-même, ce jeune homme sincère, avec des valeurs, qu’il incarne dans l’esprit populaire avec ‘Thierry la Fronde’, une série à succès diffusée par l’alors ORTF, de 1963 à 1966.
À voir, le 25 mars 2022 à Visan : « L’Art d’être grand-père » - Jean-Claude Drouot - Dans le cadre de la saison 2021/2022 du Centre Dramatique des Villages en Haut Vaucluse.
Solitude ! silence ! oh ! le désert me tente.
L'âme s'apaise là, sévèrement contente;
Là d'on ne sait quelle ombre on se sent l'éclaireur. Je vais dans les forêts chercher la vague horreur ;
La sauvage épaisseur des branches me procure
Une sorte de joie et d'épouvante obscure ;
Et j'y trouve un oubli presque égal au tombeau.
…..
Donc je vais au désert, mais sans quitter le monde…
L'exilé satisfait - Victor Hugo – L’Art d’être grand-père - Extrait -
Jean-Claude Drouot, de Thierry Lafronde (1963 1966) à "L'art d'être grand père" aujourd’hui
Rencontre avec un homme de théâtre
Quand on demande à l’immense acteur qu’est Jean-Claude Drouot de se présenter, il se définit d’abord, avec quatre enfants, sept petits-enfants, trois arrières petits-enfants, comme le patriarche d’une vraie tribu. Mais un patriarche solitaire, avec cette épreuve qu’est la disparition de son épouse il y a quatre ans. Si la famille compte beaucoup pour lui, le théâtre fait partie de sa vie. Jouer lui est nécessaire pour transmettre, partager, aimer.
Danielle Dufour Verna/Projecteur TV – Vous reprenez ‘L’art d’être grand-père’ de Victor Hugo pour le Centre dramatique Des Villages du Haut Vaucluse.
Jean-Claude Drouot – Oui, je suis dans la peau de Victor Hugo. Je me demandais, quel est le terme le plus approprié pour le sentiment que j’ai du métier, de ma réalité humaine, poétique. Ce mot c’est libération. Jouer, c’est une libération. On se libère de quelque chose qu’on a avalé, dans laquelle on s’est complètement immergé. C’est le cas avec Victor Hugo.
DDV – Et avec Jaurès que vous avez interprété brillamment?
Jean-Claude Drouot – Oui, Jaurès, bien sûr ! J’ai quelques rendez-vous qui, pour moi, sont essentiels. Notamment Jaurès a été un rendez-vous. Il m’a été confié sans que je l’attende. Ce sont, j’allais dire, cadeau, mieux que des cadeaux.
DDV –Est-ce qu’ils correspondent, Jaurès aussi bien qu’Hugo, à un sentiment d’humanité ?
« Le moment de théâtre, c’est un acte procréateur. »
Jean-Claude Drouot – Ils ne se confondent pas. Jaurès aimait beaucoup Hugo. Mais quant à dire qu’ils se ressemblent, ils sont très différents. Jaurès est un homme –ce qui est formidable quand on est le porte-parole de ses convictions- d’une sincérité, d’une honnêteté absolue. C’est un homme de convictions. Je ne dis pas que Victor Hugo manquait de conviction, mais c’est une personnalité vraiment plus complexe que celle de Jaurès. Victor Hugo parle de lui-même en disant être dans un sentiment de flux et de reflux, la thèse et l’antithèse, constamment. C’est le cas dans toutes ses images poétiques. Jouer, s’emparer, il est souhaitable que ce soit l’auteur qui s’empare de nous, c’est le sentiment que j’ai. Quand je dis ‘libération’, c’est un soulagement de jouer. C’est confier à d’autres, en l’occurrence un public, des gens qui écoutent et qui eux-mêmes réagissent par rapport à ce qu’ils entendent. Cela, c’est l’acte du théâtre que je préfère à toutes les autres réalités d’acteur. Ce moment-là est toujours exceptionnel parce qu’il est unique. Il est lié à l’éphémère de la représentation. Le lendemain, le même parcours, subtilement, je ne dis pas que c’est totalement différent, sera différent. C’est un moment unique. La discipline du théâtre c’est, au jour le jour, à la fois d’entretenir cette pression intérieure dont on a la charge et de l’offrir, de le partager avec le public. Ce moment-là, c’est ce que j’appelle la nécessaire libération. C’est un soulagement, après. Ce moment, c’est comme un accouchement. C’est un acte procréateur. Ce n’est même pas symbolique, c’est très physique.
DDV –Vous êtes ici dans la peau du grand-père. Comment avez-vous fait le choix des poésies ?
« Ce rendez-vous-là s’est imposé à moi dans l’épreuve du chagrin de la disparition de ma femme il y a quatre ans »
Jean-Claude Drouot – Ce rendez-vous-là s’est imposé à moi dans l’épreuve du chagrin de la disparition de ma femme il y a quatre ans. Le rendez-vous avec ‘L’art d’être grand-père’, je n’y pensais pas avant, je n’en avais pas le désir, il m’est apparu comme évident. Quand Victor Hugo a écrit, ses deux petits-enfants, Jeanne et Georges, étaient sa bouée de survie. Sa femme, Adèle Hugo, était disparue en 1867. En 1871, inopinément, Charles, le papa des deux petits, Georges et Jeanne, meurt d’apoplexie. Il avait perdu sa première fille, Léopoldine, en 43. On est dans l’anéantissement de toute sa famille. Son autre fille, Adèle, revient démente. Elle est internée immédiatement jusqu’à sa disparition. Et son autre fils, François Victor Hugo, meurt également en 1873. L’Art d’être grand-père est la dernière œuvre éditée par Hugo en 1877. Pour le choix, j’ai été attentif à ce moment-là, de cette épreuve très précise, l’anéantissement de sa famille. Les petits-enfants, c’est une dimension, c’est une lumière tout-à-fait exceptionnelle dans l’œuvre d’Hugo. Il a comme découvert l’innocence des enfants. Il chante l’innocence avant qu’ils ne connaissent le mal, jusqu’à trois, quatre ans, la prise de conscience. Il insiste beaucoup dans plusieurs de ses poèmes sur cela, le regard de l’enfant qui est tout en étonnement. Ces deux enfants lui ont permis de continuer à voir la lumière. C’est un choix personnel de poèmes qui m’ont plus touché que d’autres. J’ai établi un parcours dont on me dit, presque à ma grande surprise, qu’il y a même une dimension politique dans ce que l’on entend dans les textes, une dimension politique qui vient secouer un peu notre moment présent.
DDV – On a besoin de le secouer ?
« Un regard neuf sur l’innocence de l’enfant. »
Jean-Claude Drouot – Plutôt oui ! On a surtout besoin de trouver des appuis. L’inquiétude est énorme dans l’esprit de chacun, liée évidemment à la situation sanitaire. Ce que je souhaite, en faisant entendre ce texte de Victor Hugo aux auditeurs –je préfère dire auditeur que spectateur. Ce n’est pas un spectacle. Le spectacle est dans la tête, il est intérieur. On voit des images, on voit le film de ce qu’il éprouve. Je suis le projectionniste de cela- j’espère que les gens auront, comme cela a été mon cas, un regard neuf sur l’innocence de l’enfant et sur l’importance de cette innocence. J’ai eu une émotion extraordinaire qui a été amplifié par ce travail avec Hugo, sur la vue des tout petits enfants. Quand j’en croise, je félicite d’abord, et je parle aux petits. J’ai un comportement, des réactions, que je n’avais pas avant.
DDV – Vous vous êtes nourri de ses textes ?
« Hugo est un homme océan. »
Jean-Claude Drouot – Hugo est un homme océan. Chez moi, j’ai tous les textes édités. Je m’en nourris constamment. Les deux premiers vers du premier poème sont ‘solitude’, ‘silence’ : « Oh ! Le désert me tente. L’âme s’apaise… » On voit combien l’âme est tourmentée. Il retourne à Guernesey, à son exil. Il a besoin de ce silence pour se rassembler, pour, devant les combats futurs, se réarmer le cœur et l’âme. Et les petits lui permettent cela, lui permettent de ne pas faire naufrage.
DDV –Quand on est toujours ‘Thierry la Fronde’ dans l’esprit du public alors que vous êtes un acteur chevronné à la carrière importante, n’est-ce-pas un peu frustrant que les gens vous parlent toujours de Thierry la Fronde?
Jean-Claude Drouot – Tout le temps ! Beaucoup de spectateurs qui sont venus m’écouter au théâtre du Lucernaire où j’ai présenté pendant deux mois les poèmes de Victor Hugo, bien sûr, m’en parlent. Je suis touché par le fait que la mémoire de ce personnage parle des valeurs. Quelqu’un me disait « Ce personnage m’a donné mes valeurs. » Alors, les valeurs de Thierry la Fronde, c’est la droiture, c’est la franchise. Thierry, c’était le jeune homme que j’étais, avec ma naïveté, mon innocence, ma sincérité. Non, ça ne m’attriste pas du tout qu’on m’en parle. Je suis très libre.
DDV – Vous avez un parcours extraordinaire.
Jean-Claude Drouot – Oui, je peux dire même que les réalisatrices sont plus nombreuses dans mon parcours, à commencer par Agnès Varda, mon premier film de cinéma, ‘Le bonheur’ d’Agnès Varda avec ma femme et nos deux premiers enfants. Après Agnès Varda je vais citer Nina Companeez et Josée Dayan avec lesquelles j’ai fait plusieurs films.
DDV – Quelle est votre préférence entre cinéma et théâtre ?
Jean-Claude Drouot – Je dirais que je suis d’abord Drouot Jean-Claude, homme de théâtre. J’aime beaucoup tourner et j’ai beaucoup tourné. Je dirais que l’épreuve du théâtre est presque une épreuve solitaire contrairement au cinéma. On va parler d’esprit d’équipe pour un tournage. Au théâtre, on va dire des camarades. Oui, je suis homme de théâtre. Je tourne actuellement pour Arte dans une série ‘Polar Park’ avec un rôle qui me plait beaucoup, je fais partie d’une confrérie de Bénédictins, le père Joseph. Il était temps que je rentre à la trappe.
DDV – Vous avez beaucoup joué Molière
« J’aime ses personnages de refus. »
Jean-Claude Drouot – J’ai joué le Misanthrope plus de 200 fois. Je peux me réclamer de Molière, de cette réalité-là, le misanthrope, homme de refus. Je pourrais dire la même chose pour Cyrano qui est un autre rôle que j’ai beaucoup joué. J’aime ses personnages de refus car ils sont dans leur propre exigence. Ce sont des êtres d’exigence. Le refus des conventions, le refus du manque de sincérité, d’hypocrisie etc. Ces personnages-là me parlent.
DDV – Qu’espérez-vous pour le futur, pour le monde ?
« Apaiser notre regard sur la vie… »
Jean-Claude Drouot – Comment conjurer la violence, l’anéantissement, cette exaspération, cette inquiétude. La nature elle-même, toutes les inquiétudes se multiplient. Essayer d’apaiser notre regard sur la vie, de calmer cette tempête, ces menaces de violence, d’anéantissement, de sauvagerie. Cette révolution-là est toujours individuelle. On peut essayer d’apporter, si on peut les trouver, si on peut dominer en nous cette violence, cette mauvaise humeur, on peut essayer d’apporter notre contribution individuelle pour espérer un peu plus d’harmonie dans les rapports entre les gens. Je crois que c’est la responsabilité de chacun d’essayer de traverser les épreuves de la vie qui sont communes à chacun de nous. Ma responsabilité d’homme de théâtre est de faire entendre des textes qui viennent rassurer, donner des ouvertures, de la lumière. Nos alliés sont les poètes. Si on parle d’acte de théâtre, il faut avoir le sentiment que l’on adresse et que l’on transmet. On parle de nous comme de passeurs de textes. On fait traverser une rivière, on envoie, on confie à l’auditeur, au spectateur, une vision, notre vision, des visions d’un auteur. Il faut espérer que cela permette de stimuler en lui ce qu’il y a de plus positif.
DDV – Avant ma dernière question, voulez-vous ajouter quelque chose à cette interview ?
« Je n’ai pas du tout envie de décevoir ceux qui ont gardé la mémoire de Thierry la Fronde. »
Jean-Claude Drouot – Quand on parle librement ainsi, et d’ailleurs je vous en remercie, on sort ce qu’on a dans les poches. Oui, ajouter que j’aurais l’impression de tricher, avec moi-même et avec les autres, si j’étais en train d’exploiter une certaine notoriété. Cela ne m’intéresse pas du tout. La notoriété, le fait d’être plus ou moins identifié par le public est une réalité mais également une responsabilité. Je n’ai pas du tout envie de décevoir ceux qui ont gardé la mémoire de Thierry la Fronde dont on parlait justement. Cela oui, c’est important pour moi.
DDV –Jean-Claude Drouot, pour vous, le bonheur, c’est quoi ?
Jean-Claude Drouot – Quand on posait la même question à Agnès Varda, elle disait « Les petites photographies ». Ce n’est pas le cas maintenant car on fonctionne avec les portables, les petites photographies du dimanche, où les familles et les amis sont réunis. Ils sont groupés et voilà. Cheese, et tout le monde sourit. Dans ces photos des années 60 que l’on connait bien « clic, clac, merci Kodak », c’est sourire. Quel est l’histoire de tous ces gens-là ? Ils sourient, ils ont l’air heureux. Est-ce qu’ils le sont ? Qu’est-ce que ça cache, qu’est-ce que ça raconte ? Le bonheur, un soulagement. C’est dire ah ! là c’est bien, c’est juste. Je me sens bien. Là tout seul je me sens bien. Je me sens bien avec toi. Je me sens bien avec vous. Se sentir bien. Voilà.
Informations pratiques spectacle "L'Art d'être grand-père" de Victor Hugo - Interprétation et mise en scène : Jean-Claude Drouot
Ven. 25 mars 2022 – 20h30
Espace Gérard Sautel – Visan
Route de Valréas
Réservation par téléphone au 06 74 49 21 63 ou cddv-vaucluse.com
Théâtre
Tout public dès 15 ans
Durée : 1h20
Tarifs :
Tarif plein : 30€
Tarif préférentiel : 25€
Tarif réduit + : 20€