- Auteur Philippe Dejardin
- Temps de lecture 8 min
Gaspard Proust ou « À la recherche du public perdu »
Le “nouveau spectacle” de Gaspard Proust, acteur et humoriste slovéno-suisse, aurait dû se jouer à guichets fermés pour deux soirées (20 et 21 janvier) à l’Anthéa Antipolis, théâtre d’Antibes. Mais les mesures sanitaires qui plombent la culture ne l’ont pas permis. Il a été diffusé en direct, uniquement aux abonné(e)s ayant réservé, et devant une cinquantaine de privilégié(e)s dont un heureux correspondant de notre équipe.
"Nouveau spectacle", le bien nommé nouveau spectacle de Gaspard Proust, a été représenté et diffusé en direct depuis l'anthéa, Antipolis Théâtre d'Antibes ce jeudi 21 janvier à 20h30, devant une cinquantaine de privilégié(e)s, et retransmis en direct à ceux qui avaient pris leurs billets...
« Tant que le théâtre ne pourra pas rouvrir, on fera cela » Daniel Benoin
Le streaming n’est pas la solution idéale pour le spectacle vivant enfermé dans son univers mais, avec certains artistes, c’est la dose d’oxygène qui permet de respirer pour les structures adaptées à ce type de situation. Daniel Benoin, le directeur d’Anthéa à Antibes n’est pas homme à rester les bras croisés devant l’adversité ou à se lamenter sur le sort de la culture et du spectacle vivant qu’il défend depuis des décennies. Il est déjà intervenu dans les médias pour faire part de sa colère sourde devant les atermoiements de nos gouvernants. Avec son équipe, il avait tout organisé, veillé au moindre détail pour respecter à la lettre près les consignes sanitaires, soucieux au plus haut point de la santé du public, des artistes et de ses équipes.
Prêt pour la réouverture des salles évoquée pour les fêtes de fin d’année puis repoussée au début janvier et qui semble promise aux calendes grecques…
Avec l’accord du maire, il a décidé de diffuser en direct certains spectacles (*), mais uniquement pour les abonné(e)s ayant réservé . “ Tant que le théâtre ne pourra pas rouvrir, on fera cela” nous a-t-il confié.
Quand un mail "Invitation professionnelle au spectacle de Gaspard Proust" est arrivé dans ma boite je n’osais y croire… Une soirée privée réservée aux professionnels du spectacle vivant et aux médias précisait le mail en indiquant toutes les précautions à prendre et les consignes à respecter.
Muni de l’invitation et de ma lettre de mission, j’ai pris la direction d’Antibes et du théâtre Anthéa.
Avec ce contexte si particulier de soirée privée, l’accès se fait trente minutes avant l’heure du spectacle et par l’entrée des artistes avec les précautions sanitaires en vigueur !
Dans cette salle Audiberti qui peut accueillir mille deux cent personnes, nous étions une cinquantaine, rentrées au compte goutte, avec espacement respecté et placement sécurisé !! Professionnels du spectacle vivant, partenaires du théâtre, quelques élus dont le maire et journalistes spécialisé(e)s. A ce moment, je prends pleinement conscience du privilège d’être dans ce groupe pour ProjecteurTV.com.
Le spectacle va être diffusé en direct - par streaming - aux abonné(e)s ayant réservé, grâce à un lien et un code d’accès personnalisé. Pour ce spectacle de Gaspard Proust, deux mille sept cent avaient réservé dès le mois de juin !!!
"C’est le seul moyen de garder le lien avec le public" selon Daniel Benoin
Pour cette diffusion, trois caméras sur pieds ont été installées au centre de la salle et suffisamment en hauteur plus une sur un rail de travelling d’une dizaine de mètres, au bord de la scène, pour les plans en contre-plongée. Cette dernière est pilotée à quelques mètres de distance et le cameraman me confiera en avoir fait un large usage.
« L’essentiel du spectacle, c’est la bienveillance » Gaspard Proust
À l’heure précise, les lumières s’éteignent, on s’attend à l’entrée de l’artiste, prêt à l’applaudir pour lui souhaiter la bienvenue et le remercier d’être venu… Rien et toujours ce silence qui devient pesant et qui dure, dure…
Puis le public entend la voix de Gaspard, il va sortir sur la scène… Non, sa voix reste en coulisses, dans le style d’une voix off. Nous pourrions penser qu’il ne sait pas que son micro est déjà ouvert car il semble s’adresser à son manager en se moquant du public qui attend son entrée. Les vannes à notre intention fusent déjà, les minutes s’égrennent et toujours pas d’artiste sur la scène
"Il y en a sûrement un certain nombre qui sont partis et qui se sont dits , il se moque de nous" entend-on.
Finalement il rentre sur scène sous nos applaudissements tout en continuant à se moquer "Rappelons qu’il joue aussi pour le millier de personnes qui est devant son écran."
Chevelure opulente et en désordre, pas rasé. Surprise, il a changé de costume de scène. Oublié celui de ville, sans cravate mais avec chemise blanche ou pull à col roulé. Place à une sorte de tracht, le costume traditionnel du Tyrol mais nous sommes avec celui de Slovénie, le pays natal de Gaspard. Il nous confie qu’avec "un peu de chance" il aurait pu se retrouver avec Mélania Trump, qui serait du même village que celui de sa mère sans manquer d’envoyer un scud vers l’ex-locataire de la Maison Blanche.
A partir du moment où il est rentré sur scène, il ne va pas s’arrêter… Après plusieurs rafales de pics et punchlines de gros calibres comme celles pour évoquer les "âmes bien pensantes" à l’instar Julie Gayet "la Marilyn Monroe de Bioccop" ou Michel Onfray "le Nietzsche de la ménagère gilet jaune" ou bien Woody Allen "L’Olivier Duhamel du spectacle" il semble s’excuser mais rebondit sur une nouvelle salve... Chacun en prend pour son grade à des degrés divers. Quand il évoque le comportement des parisiens en fonction du quartier. "Un sac à main en cadeau pour la bourgeoise, c’est la sardine pour l’otarie. Le 16e c’est Marineland à sec" Clin d’œil local, Antibes n’est qu’à quelques kilomètres du parc aquatique de Biot.
Dans un autre registre, il vise encore juste lorsqu’il fait le constat : "Faire la Gay Pride dans le Marais, c’est comme une messe dans une église, c’est complètement inutile pour marquer les esprits. Non, il faut la faire à la Courneuve, ça aurait de la gueule" Et il se met à prendre l’accent de banlieue et ses expressions pour simuler cette hypothèse… Il a déclaré que son spectacle évoluait aussi en fonction de l’actualité et il tient parole quand il annonce "Le Covid c’est le bon moment pour prendre un viager…"
Durant son passage sur scène qui dure 1h30 (mais on ne voit pas du tout le temps passer) il a sorti "la sulfateuse", "défouraillé" tous azimuts, personne n’a été épargné ni lui-même par son humour caustique, acide, destructeur mais terriblement efficace. Il va loin, très loin, trop disent certaines personnes qui se répandent ensuite sur les réseaux sociaux dont Twitter. Il reconnaît volontiers que son spectacle ne peut pas plaire à tout le monde. Alors quand la production lui demande de s’excuser auprès d’une internaute choquée, il lui répond après avoir consulté son profil… Et là cela fait encore plus mal pour elle en 240 signes! C’est la "mise à mort". Pas certain qu’elle y revienne et gare aux téméraires qui le feront sans véritables munitions.
Même s’il confie que "l’essentiel du spectacle c’est la bienveillance" et qu’il n’est pas vulgaire, "non c’est de la sociologie". Comment le millier de personnes derrière l’écran a-t-il réagi après ce spectacle si particulier, nous le savons pas.
Une chose est certaine, nous avons vraiment apprécié de le voir en présentiel, il y avait tellement longtemps que cela n’était pas arrivé que nous lui avons réservé trois séries d’applaudissements.
Pour tous nos décideurs qui jugent les lieux culturels non essentiels et les maintiennent fermés, je les invite à méditer cette citation de Gao Xingijan, écrivain, poète et scénariste franco-chinois, accessoirement Prix Nobel de Littérature en 2000 :
"La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité" !
Suite des spectacles retransmis au Théâtre d'Antibes
(*) Le premier spectacle diffusé en streaming a été « Une vie » de Guy de Maupassant par Clémentine Célarié le 09 janvier. Le prochain spectacle pour les abonné(e)s ayant réservé avant le confinement sera diffusé le 06 février à 20h30. Il s’agira de « Misia Sert – Reine de Paris » avec Julie Depardieu (comédienne) accompagnée par Juliette Hurel (flûte) et Hélène Couvert (piano). Les personnes concernées recevront un mail avec un lien et un code d’accès unique.
Cependant, et pour bien marquer la différence entre le spectacle vivant et sa retransmission, les spectateurs concernés pourront aussi demander un avoir ou un remboursement de leurs billets. N’oubliez pas que vous avez la possibilité de soutenir financièrement le théâtre en renonçant au remboursement de votre billet.
Photo à la Une : Gaspard Proust © Pascalito