- Auteur Philippe Dejardin
- Temps de lecture 13 min
François Berléand et François-Xavier Demaison : Un duo de choc pour une psychanalyse peu ordinaire au sommet de l’État
Les deux acteurs François Berléand et François-Xavier Demaison sont à l’affiche de « Par le bout du nez », un nouveau spectacle écrit par Mathieu Delaporte et Alexandre de la Pattelière, adapté du texte « El Electo » de l’auteur espagnol Ramon Madaula. Bernard Murat assure la mise en scène de cette confrontation entre le nouveau président de la République et un psychanalyste… Un événement culturel retransmis sur les réseaux de l’anthéa, Antipolis Théâtre de la ville d’Antibes.
François Berléand et François-Xavier Demaison incarnent les personnages de « Par le bout du nez », le nouveau spectacle écrit par les auteurs du fameux « Le Prénom », Mathieu Delaporte & Alexandre de la Pattelière. L'histoire d'une confrontation entre le nouveau président de la République - atteint d’une soudaine et très perturbante démangeaison nasale à quelques heures de son discours inaugural et un psychanalyste appelé en dernier recours…
Ce spectacle, taillé sur mesure pour François-Xavier Demaison ravi d’avoir pu y faire participer son complice François Berléand, aurait dû leur permettre de se retrouver sur scène pour une longue tournée... La crise sanitaire en a décidé autrement mais ils sont venus le présenter en petit comité physique composé de professionnels et de journalistes - dont notre correspondant - et des milliers de personnes devant leur écran grâce au streaming proposé - une nouvelle fois - par anthéa, Antipolis Théâtre d’Antibes.
Après « Misia Sert, la reine de Paris » c’est le spectacle « Par le bout du nez » qui avait été choisi par Daniel Benoin et son équipe pour une nouvelle rencontre particulière avec ce public qui lui manque tant. Une nouvelle fois nous n’avons pas été déçu et conscients de l’énorme privilège qui nous a été offert par les responsables. Naturellement, tout le monde était masqué, l’est resté jusqu’à la fin et la sortie, à distance sanitaire prévue, avec les gestes barrières scrupuleusement respectés !
François Berléand et François-Xavier Demaison : qui va mener l’autre « Par le bout du nez » entre le psy et le Président ?
Imaginez une soudaine crise urticante nasale qui vient frapper le nouveau Président de la République (François-Xavier Demaison) à quelques heures de prononcer son discours d’investiture au point de lui provoquer des grimaces pour le moins handicapantes...
Panique dans les plus hautes sphère de l’État. Finalement on se retrouve avec un psychanalyste (François Berléand) dans le bureau présidentiel pour trouver une solution. Le temps presse !
C’est évident que la venue d’un psy n’est ni le choix du Chef de l’État ni de son goût et il lui fait bien comprendre. En premier c’est un oto-rhino qui lui a dit que le problème ne venait pas de là. Ensuite sa femme a conseillé un ostéopathe-acupuncteur que le Président qualifie de « magicien et escroc » avant que le chef de cabinet ne le dirige vers un psy, lui en l’occurrence .
Comme souvent quand un personnage important est malade, il entend imposer son avis au praticien, lui demander une pilule magique qui fasse vite de l’effet, étant donné que - bien entendu - il n’a pas le temps. Malheureusement pour lui, cette fois cela ne fonctionne pas car il en a face de lui un médecin spécialiste qui a non seulement du métier mais également du répondant. Il a été appelé pour un cas bien précis et il entend trouver pourquoi. Mais son interlocuteur ne veut pas parler, il veut un remède et vite.
"Ne pas parler, c’est déjà une façon de parler" lui rétorque le psy, qui poursuit "Pour quelqu’un qui n’avait rien à dire, vous avez du mal à vous taire."
"Votre problème ne vient pas de là [il montre le nez] mais de la là [il lui montre le cerveau]" commence le psy avant de lui demander comment cela est arrivé.
"La démangeaison est intervenue en me rasant" (Un nouveau clin d’œil à la réalité que nous avons connue d’un homme politique qui - en se rasant - pensait à la présidentielle) quand j’en profitais pour répéter mon discours. "J’ai ressenti des démangeaisons dans le nez au point de provoquer des grimaces de plus en plus importantes. Impossible de prononcer mon discours…" Et il joint le geste à la parole…
Au niveau des grimaces, vous pouvez être rassurés, François-Xavier Demaison sait faire et nous nous rappelons celles de Bitou le castor dans son premier spectacle et qui lui avaient non seulement valu son début de renommée mais encore des demandes incessantes de répéter cette grimace lors de chaque interview télévisée.
"Ça vous grattouille ou ça vous chatouille?" Louis Jouvet
Lorsque le psy demande au président ce qu’il ressent au niveau du nez "Ça vous démange comment, ça vous chatouille ?" Les auteurs ne pouvaient pas éviter d’évoquer la célèbre phrase de Louis Jouvet "Ça vous grattouille ou ça vous chatouille?" (1) que réfute tout de suite le Président tout en la prononçant…
La tension commence à monter mais le praticien enclenche le mécanisme de l’analyse. Classique et physiologique au début, elle devient plus subtile quand on attaque le psychologique.
"Le nez ça vous fait penser à quoi ? Pourquoi voulez-vous être président ? Parlez-moi de votre enfance."
A chaque question qui vient rapidement, la réponse fuse et on a vraiment l’impression de se retrouver dans un match de tennis de table, ou plutôt une démonstration de virtuosité, teintée de vannes ou de gags, à l’image de celle mondialement célèbre de Jacques Secrétin face à Vincent Purkart. (2)
Mais le mal n’a pas encore été éradiqué , la cause n’ayant pas été dévoilée même si le psy a déterminé qu’il s’agissait d’un "tic spasmodique".Terme médical qui débouche sur des jeux de mots en ique mais aussi sur une crise de nerfs.
D’autant que le psy ne supporte pas que son patient réponde à un grand patron du CAC 40 sur sa ligne fixe et à sa femme sur son portable. Il s’aperçoit que ce grand personnage se fait "tout petit" au téléphone… Mais il va user d’un subterfuge - peu orthodoxe - pour lui faire dévoiler un début de sensibilité…
Il sent que - comme très souvent dans la réalité - ce symptôme provient d’un traumatisme venu de l’enfance et que le Président ne veut pas aborder alors que le temps presse… Il laisse pourtant échapper que c’est la couleur « gris » qui résume son enfance dans la charcuterie familiale Mauléon à Troyes… (Tiens cela fait penser à un ex-présidentiable qui a une relation très étroite avec cette ville).
En s’appuyant sur un texte conçu telle une mécanique de précision horlogère, François Berléand arrive à lui faire admettre qu’il doit "tuer le père" puis la mère avant de leur pardonner puis de les aimer à nouveau… Un processus qui n’aurait pas désavouer tout vrai professionnel de la psychiatrie…
Pour arriver, il faut matérialiser cette action et c’est là qu’intervient la scène du papier où le président a inscrit le prénom de son père, feuille qu’il transforme en confettis avant de les piétiner rageusement… Comme demandé. Une scène qui nous surprend , nous fait rire et qu’il renouvelle avec sa mère, ses frères « des connards » et qu’il aurait bien poursuivi avec le reste de la famille… C’est aussi cela le ressort du comique de répétition.
Ce soir là nous avons rit sans aucune retenue, tellement heureux de pouvoir le faire, de témoigner notre soutien à ces artistes et nul doute que les milliers d’internautes en ont fait de même devant leur écran tout en regrettant cette absence imposée.
François-Xavier Demaison, le premier choix pour être le Président !
Rencontre entre les internautes et les acteurs de la pièce François Berléand et François-Xavier Demaison
Tout comme pour le précédent spectacle, Daniel Benoin et son équipe avaient prévu d’interagir avec les milliers d’internautes qui étaient devant leur écran pour suivre ce spectacle diffusé en streaming sur le site du Théâtre anthéa. Une nouvelle fois par le remarquable réalisateur niçois Antoine Vialatte et son équipe. Pour cela, il avait disposé deux caméras en hauteur et au milieu de l’immense salle Audiberti (1200 places), deux sur les côtés et une sur un rail de travelling pour toute la longueur de la scène.
Avant de répondre aux questions, les deux comédiens ont tenu à remercier Daniel Benoin pour cette invitation, saluer leur metteur en scène Bernard Murat et les co-auteurs pour ce texte qu’ils ont pris un plaisir non dissimulé à nous transmettre. Ils n’ont pas manqué de le faire aussi pour les internautes et à notre destination.
Internautes : Qu’est-ce qui a donné l’envie à chacun de vous de jouer cette pièce ?
François-Xavier Demaison : En fait Mathieu et Alexandre avaient pensé à moi en l’adaptant. J’étais leur premier choix, c’est toujours agréable. Ensuite, je suis allé voir mon camarade François, avec qui j’avais très très envie de jouer. On s’était rencontré sur une pièce, il y a 15 ans, de Michel Colas et François a accepté. En fait le texte est très drôle, si ce n’avait pas été le cas je pense qu’il n’aurait pas accepté...
François Berléand : Moi j’avais très envie de jouer un psychiatre-psychanalyste. En plus, au cinéma dans un film de Cédric Klapish j’ai fait un psy. Dans la vie, j’ai fait une analyse, pas très longue mais un peu… Je trouvais cela très intéressant car les dialogues étaient très respectueux d’une analyse. Certes la séance est très rapide, une heure et demie, même Freud n’y serait pas arrivé. Au niveau de la trace ça tenait le coup. En plus je savais que c’était François-Xavier, que j’allais m’amuser avec lui. C’est un comédien avec qui on s’amuse sur un plateau, il a l’œil, tout. Et quand on a confiance en son partenaire c’est formidable. Moi j’ai une confiance absolue. J’ai eu un tout petit trou ce soir, il m’a sauvé...
François-Xavier Demaison : Un petit trou de 35 pages... (salve d’éclats de rires dans la salle)
Internautes : Vous vous êtes inspirés de quel président pour incarner votre personnage ?
François-Xavier Demaison : Physiquement je suis plus proche de Hollande que de Sarko, on ne va pas se mentir. Mais je suis un mélange de tous, Sarko, Hollande , Chirac, Macron peut-être… Tous ceux qui a un moment donné ont ressenti le vertige de cette fonction…
François Berléand : Oui, et d’autres hommes politiques.
Internautes : Alors, heureux de retrouver les planches ?
François Berléand : Très très heureux, car quand on a commencé à répéter en mai (2020), nous pensions ne jamais jouer la pièce. Quand Daniel Benoin nous a proposé de venir jouer, c’est un vrai cadeau qu’il nous a fait. En s’adressant à nous, même si vous n’étiez pas nombreux, vous étiez vraiment avec nous. On ne pourrait pas jouer s’il n’y avait pas de public, précise le comédien.
Internautes : Y a-t-il plus de stress à jouer sans la complicité des spectateurs ?
François Berléand : Justement, avec les gens qui étaient là ce soir, on a eu un retour.
François-Xavier Demaison : Je crois que l’on avait vendu 3 fois 1200 places.
Internautes : De quand date cette pièce ?
François Berléand : C’est une pièce espagnole qui a été adaptée un an après la création. A l’origine elle dure 55 minutes. L’auteur est venu, il parle parfaitement le français. Il est en train de travaille sur une adaptation de l’adaptation.
François-Xavier Demaison : L’auteur a vu l’adaptation de Mathieu et Alexandre et il s’est dit qu’il allait en faire une adaptation.C’est complètement fou !
François Berléand : En somme l’andouillette va devenir du chorizo. (éclats de rire)
Internautes : Comment avez-vous travaillé pour créer cette relation entre vos deux personnages ?
François-Xavier Demaison : Par l’action. C’est la relation d’un psy avec son patient, un patient qui ne croit pas du tout mais il est tellement malin qu’il arrive à me faire sortir de mes gonds, de la zone de confort. Il arrive à dénouer mes liens, les blocages de l’enfance.
François Berléand : Il y avait aussi une relation amicale entre nous avant. C’est plus simple quand on se connaît, on avait déjà travaillé ensemble. La pièce est très bien écrite. Il fallait trouver comme incarner un psy et un président de la République. Entre nous cela a été très rapide.
Quelles sont les véritables motivations qui poussent quelqu'un à être président de son pays, une responsabilité que la plupart des citoyens comme nous éviterions ? "Je soupçonne qu'en dehors de l'ambition de pouvoir ou du désir légitime d'améliorer le monde, il y a d'autres raisons que peut-être même le candidat lui-même ne connaît pas", précise l’auteur et comédien espagnol dans une interview au moment de la sortie de sa pièce en février 2017 pour Elperiodic.com de Valence.
Voilà un beau sujet de réflexion dans cette période si particulière à tous les points de vue et où la moindre fenêtre sur la culture est une formidable bouffée d’oxygène. Merci au Théâtre anthéa pour cette perfusion mais nous attendons avec impatience de pouvoir respirer sans assistance…
(1) Une phrase prononcée dans la pièce « Knock ou le triomphe de la médecine » écrite par Jules Romains et présentée pour la première fois le 15 décembre 1923 avec un mise en scène et décors de Louis Jouvet. Avec sa voix si reconnaissable , il sera la vedette de la dernière version du film pour le XXe siècle en 1951 après celles de 1925 et 1933. Il y a deux autres pour ce début de XXIe en 2002 avec Fabrice Lucchini & 2017 avec Omar Sy. Jouvet est inégalable à jamais.
(2) Vincent Purkart (1936-2015) Ce n’est pas son palmarès – même s’il fut deux fois champion de France en simple et une fois en double avec Claude Bergeret (1977) qui l’a rendu célèbre mais le « Show Secrétin-Purkart » qu’ils ont présenté jusqu’en 2006. Pour Jacques Secrétin (1949-2020), il fut le 1er français champion d’Europe en simple (1976) avant de venir le premier et seul Champion du monde du double mixte avec Claude Bergeret en 1977. Il détient aussi le record de titres nationaux avec 61 sacres!! Mais c’est avec son complice Vincent qu’il popularisera le tennis de table à travers ce show qu’ils ont présenté pendant 30 ans sur la planète avec près de 4000 représentations. On peut déplorer la quasi indifférence médiatique lors de son décès le 20 novembre 2020, le jour de la mort d’un certain Diego Maradona...
Photo à la Une : Par le bout du nez © Fabienne Rappenau