- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 6 min
Les folies de « Monsieur de Merzouki »
Folia, pièce dansée de Mourad Merzouki, a été choisie par Pierre François Heuclin, le directeur artistique du festival Vaison-Danses, comme deuxième spectacle de l’édition 2022. Le chorégraphe avait joué de malchance : en 2019, son spectacle Boxe Boxe Brasil avait été annulé à cause de très mauvaises conditions météorologiques et Folia, tête d’affiche du festival 2020 avait été reporté en raison du Covid. Mais cette fois a été la bonne …
Enfin ! Ce samedi 16 juillet, on a pu voir l'époustouflant spectacle de danse "Folia de Mourad Merzouki" lors de sa tournée 2022, programmé au Festival Vaison Danses ! Direction artistique Pierre-François Heuclin.
Folia, Le spectacle de Mourad Merzouki !
Folia, musique, danse, décors ...
Au son de la musique baroque
Folia, sur la grande scène du théâtre antique de Vaison-la Romaine, débute dans un décor interstellaire où des hommes et des femmes dans la grisaille de leur tenue dansent avec des ballons qui figurent des planètes, au son d'une guitare baroque. L'instrumentiste, en habit Grand Siècle, se trouve à l'intérieur d'une sphère ouverte qui fait penser à un curieux fruit en tranches. En fond de scène, un petit orchestre de chambre avec clavecin et cordes, dont tous les musiciens et la chanteuse sont en costume baroque de velours pourpre, accompagne la scène dans une atmosphère enfumée. Étrange. On sent bien que ce sont deux univers qui se rencontrent et que le chorégraphe, au-delà d’une esthétique fascinante, veut nous dire quelque chose qui nous échappe encore. Tout ce qui devrait être normalement séparé se côtoie et finalement se mélange au point que la soprano en robe longue entre dans la danse, et que les musiciens finissent par jouer de leur instrument en chantant. On ne sait comment, on ne sait pourquoi cette musique au rythme lancinant de la tarentelle à laquelle se mêlent quelques harmonies électroniques nous prend de manière aussi puissante. Plus tard dans le déroulement du spectacle, on ne sait trop quel sens donner à cette poupée géante et enluminée dans laquelle s’est introduite la soprano, mais on sait que cette démesure nous dit quelque chose qui nous touche. Au final, la séquence étourdissante du derviche tourneur sur des rythmes baroques nous oblige à revoir sérieusement nos habitudes mentales !
Folia, un spectacle, un vrai pari
"Je fais des spectacles sans vraiment raconter des histoires ..." Mourad Merzouki
« Je fais des spectacles sans vraiment raconter des histoires. Dans Folia, c'est une succession d'images et j'aime l'idée que chaque spectateur se raconte sa propre histoire. Ce n'est pas évident d'expliquer la thématique d'un spectacle. Folia est une pièce, commandée aux Nuits de Fourvière à Lyon. Le défi consistait à réunir des mondes totalement opposés ou en tout cas qu'on imagine éloignés comme la musique baroque, la danse hip-hop, la danse classique. L'idée était de faire dialoguer ces mondes distants, d'imaginer un dialogue entre toutes ces énergies, tous ces parcours, toutes ces histoires. Là est le point de départ. Et c'est ce qui caractérise d'une certaine manière mon travail depuis de nombreuses années.
À chaque fois j'essaie de mettre en avant cette danse hip-hop née dans la rue que j'ai pratiquée autrefois, et j’ai toujours rêvé que cette danse puisse un jour monter sur scène et être partagée avec le plus grand nombre. Chaque fois je mélange cette danse avec de la musique classique, les nouvelles technologies, la danse contemporaine, etc. Et dans Folia, c’est un peu tout ça. C'est à la fois la rencontre des genres et en même temps un clin d'œil à ce que l'on vit, ce que l'on traverse depuis quelques années maintenant. Il y a beaucoup de questions qui sont là, sur la planète, sur le réchauffement…
Donc on est parti de cette musique Folia, la folie, et la folie on y met tout ce qu'on veut, la folie des hommes... C'est compliqué. Ce n'est pas un spectacle qui raconte une histoire, mais ce sont des choses qui me traversent l'esprit et que je partage avec le public. J'ai presque envie de vous poser la question : vous, qu'est-ce que vous avez vu à travers Folia ? » Ce spectacle est un vrai pari, explique Mourad Merzouki.
Mourad Merzouki et Franck-Emmanuel Comte, une rencontre entre des cultures différentes
Pour monter Folia, cette rencontre entre des cultures différentes s’est réellement concrétisée entre le chorégraphe ancien rappeur, Franck-Emmanuel Comte qui dirige les musiciens du Concert de l’Hostel Dieu, spécialistes du baroque et Heather Newhouse, jeune cantatrice canadienne originaire de la Saskatchewan, aussi à l’aise dans le baroque que dans la musique contemporaine.
« On n’a pas le même parcours, la même histoire ; mais le fait d'avoir osé passer du temps dans un studio, d'avoir cherché ensemble, nous a conduit à trouver plein de points communs. Il a suffi de pousser la porte pour régler un spectacle, pour construire des choses ensemble. Et c'est cela qui m'anime tous les jours.
Le premier jour où Heather est arrivée au studio, je me suis dit "qu'est-ce que je vais faire avec une cantatrice", "comment je vais la faire bouger..." En plus de ça elle arrivait avec des chaussures à talons ! Elle m'a dit : "qu'est-ce que je fais ?" Je lui ai répondu : "enlève tes chaussures à talons". Elle l'a fait et elle a totalement joué le jeu avec les danseurs. Ce qui m'importe dans ce spectacle, c'est d'essayer de chercher des combinaisons où les danseurs sortent de leur zone de confort, où l'équipe a cette polyvalence, cette volonté de prendre des risques, de sortir de ses habitudes. »
Biographie du danseur et chorégraphe Mourad Merzouki, en quelques notes ...
Au fait, Mourad, quel était votre parcours avant de tomber dans la marmite de la chorégraphie ?
"Je n'ai pas fait le Conservatoire. J'ai été très curieux. Petit à petit, j'ai été voir des spectacles de danse"
« Mon père m'inscrit à l'âge de 7 ans dans une école d'arts martiaux, je fais du karaté, de la boxe. Cette même école pratique le cirque, j'étais acrobate et on a fait des spectacles où l'on mélange les arts martiaux et le cirque. Ensuite arrive le hip-hop dans les années 80. On regarde la télé. On voit Sydney, on voit l’émission H.I.P.H.O.P. et on tombe dans cette énergie. Il y avait beaucoup de similitudes avec le cirque et on avait un rêve avec les copains. On était quatre, Kader Attou, Éric Mézino, Chaouki Saïd et moi. En 1989, on crée un premier groupe qui s'appelle Accrorap. Ensuite, en 1995, on quitte Accrorap pour créer la compagnie Käfig avec toujours ce désir de mélange. C'était un rêve de gosse. Je n'ai pas fait le Conservatoire. J'ai été très curieux. Petit à petit, j'ai été voir des spectacles de danse. J'ai compris qu'il y avait des chorégraphes avec des interprètes, qu’il y avait des costumes, de la lumière. J'ai mis pour la première fois les pieds dans un théâtre quand j'avais 18 ans. J'avais du temps à rattraper. »
Photo à la Une : Folia, Mourad Merzouki ©AA