- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 6 min
“Fleurs de Soleil”, Thierry Lhermitte passeur engagé est ‘Simon Wiesenthal’
Peut-on tout pardonner ? C’est cette question que Thierry Lhermitte pose lors de son spectacle au Théâtre Toursky à Marseille, devant une salle archi-comble. Thierry Lhermitte une heure durant, est Simon Wiesenthal.
Thierry Lhermitte, en tournée dans toute la France, s'est arrêté au Toursky à Marseille le 7 octobre dernier pour ouvrir la saison 2022-2023 du théâtre. Loin des rôles qu’il a l’habitude d’endosser, Thierry Lhermitte, en passeur engagé remarquable et salutaire, a donné vie à Simon Wiesenthal. Les spectateurs qui, venus applaudir le comédien, sont restés près d’une heure durant le souffle suspendu aux paroles de l’acteur. Et quelles paroles ! Puisqu’il ne s’agissait ni plus ni moins que de l’adaptation par Daniel Cohen et Antony Mory du livre de Simon Wiesenthal, Les Fleurs de soleil.
Fleurs de Soleil - Thierry Lhermitte
Peut-on tout pardonner ?
Témoignage d'un SS par vidéo en début de la pièce
« Après 20 ans d’emprisonnement, je ne pourrai jamais me pardonner mon soutien irréfléchi mais sans scrupules à un régime qui a assassiné de manière systématique des groupes entiers d’individus. Sur le plan moral, ma faute ne sera pas expiée de mon vivant. Devriez-vous me pardonner monsieur, si je ne puis me pardonner moi-même ? Vous avez fait preuve de bonté à mon égard et je vous en suis reconnaissant. Vous ne m’avez rien reproché. J’ai regardé dans vos yeux, des yeux qui étaient le miroir de tous ces gens assassinés, des yeux qui avaient été les témoins de la misère et de l’agonie infligée à vos semblables. Et pourtant ces yeux n’étaient pas remplis de haine, ils étaient restés humains et tolérants. Vous m’avez aidé. Chaque être humain doit porter son fardeau, personne ne peut l’ôter à quelqu’un d’autre, mais le mien depuis ce jour où nous nous sommes rencontrés, est devenu plus léger. »
Thierry Lhermitte est Simon Wiesenthal
Un 'passeur engagé' remarquable et salutaire
Un encadrement de porte, lumière crue sur la scène au décor spartiate. Une chaise, Thierry Lhermitte entre ; il porte une chemise et un pantalon, simplement, et se positionne au milieu de la scène, face au public, une musique légère, du piano :
« Je m’appelle Simon Wiesenthal. Je suis né le 31 décembre 1908, à Boutchatch, en Ukraine. Je suis mort le 20 septembre 2005 à Vienne, en Autriche. Vous avez peut-être déjà entendu parler de moi. On m’appelait ‘Le chasseur de nazis’….. J’ai été déporté dans plusieurs camps de travail et de concentration. Aujourd’hui, nous sommes en juin 1942…. Tout à l’heure va se produire un évènement qui va m’interroger et même m’obséder tout au long de ma vie car je ne suis pas sûr d’avoir bien agi. A la fin de mon récit, vous aurez peut-être une réponse pour moi. »
Fleurs de Soleil, une pièce de théâtre qui interroge
Sobriété, intensité, émotion, et surtout remise en question, sont des termes qui résument cette pièce à la mise en scène parfaite, particulièrement étudiée. Le sujet est grave, tendu, profond. Non pas par rapport aux lieux de l’action, un camp de concentration nazi, mais par rapport à une interrogation philosophique qui remue chacun de nous et nous pose question : faut-il, oui ou non, pardonner l’impardonnable ?
Thierry Lhermitte seul en scène
Thierry Lhermitte est seul sur scène et pourtant absolument pas. Il raconte les camps. Il fait vivre, par son récit, ses copains de baraquements et surtout Karl, ce SS blessé, à la tête entièrement bandée d’où n’émergent que les yeux, le nez et la bouche et pour lequel on est venu le chercher. Cet homme, cet assassin, quête son pardon.
« Je vous parle en tant que soldat, Monsieur Wiesenthal. Nous sommes conditionnés, l’entrainement, les décorations militaires, les cérémonies, tout cela vise à atténuer l’aversion profonde qu’un homme ressent lorsqu’il s’agit d’ôter la vie d’un autre homme… »
« Comme vous, Monsieur Wiesenthal, j’ai eu devant moi des êtres qui m’ont dit tout le mal qu’ils ont pu faire. Moi aussi, à chaque fois, j’ai cherché la frontière qui peut les séparer des autres. J’ai connu des hommes banalement normaux qui un jour ont basculé du côté des meurtriers ou des violeurs. Croyez-moi, il est tragiquement facile de se retrouver de cet autre côté de l’humanité… »
« Pour moi, je peux pardonner, mais pour les autres, je demande justice. »
A intervalles réguliers, des vidéos de personnalités émaillent la représentation. Elles donnent leur avis sur ‘le pardon’, cassant ainsi par la voix et la lumière, l’ambiance lourde, obscure, terrible, poignante, du récit de Wiesenthal.
« Vous vous demandez si vous avez bien agi ? Mais, Monsieur Wiesenthal, ce n’est pas à vous de vous poser dans question et pas maintenant. Tant que le meurtre n’a pas été expié, le meurtrier ne peut être pardonné, ni par vous ni par le juge. Toute société, je dis bien toute, repose sur certains principes moraux parmi lesquels l’expiation du crime capital se place au premier rang. L’amnistie pour les criminels impunis équivaut à une complicité avec le crime. Elle n’incite pas au pardon. Elle le rend plus difficile. L’expiation et le pardon répondent à deux principes qui se sont constamment opposés dans l’histoire des hommes : la justice et l’amour. A certains moments, c’était la justice qui représentait l’idéal, à d’autres, c’était l’amour.
L’humanité restera ce qu’elle est, perspective réellement effrayante si les principes de l’amour et de la justice continuent à se dissocier au lieu de se compléter. Le pardon sans justice est une faiblesse qui se complaît en elle-même. La justice sans le pardon est l’illusion de la force. Pour moi je peux pardonner, mais pour les autres je demande justice. C’est la première condition d’un pardon moralement possible, d’un pardon à condition de justice. Quand on y réfléchit bien, le pardon est d’ailleurs plus proche de la vengeance que de la justice. Oui, monsieur Wiesenthal. La justice veut séparer les protagonistes, rétablir la paix sociale. Les affaires qu’elle traite ont un délai de prescription. Le pardon quant à lui se moque des prescriptions et des amnisties. La mémoire qu’il interroge survit à tous les procès. Le pardon ne se laisse pas déposséder par un tiers alors que la justice interdit à chacun de se faire justice en personne car elle introduit justement un tiers, tout un écran de représentations et de règles protectrices. Le pardon ici est toujours immoral. Ne cherchez plus, on ne pourra pas trouver de réponse à la question : avez-vous eu raison ou tort de ne pas pardonner. »
Fleurs de Soleil, notre avis
Une pièce bien ficelée, bien menée, qui fait réfléchir, qui interroge, et qui, par-dessus tout, rappelle que ce qui est arrivé peut arriver à nouveau. Sans-doute bien plus qu’une interrogation, un devoir de mémoire !