- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 5 min
« Du bonheur de donner » Une Ode à l’Humanité selon Brecht – Théâtre de la Criée Marseille
Du bonheur de donner …. Succès annoncé au Théâtre de La Criée, à Marseille où, en duo avec l’accordéoniste David Venitucci, Ariane Ascaride a donné à entendre les mots et l’humanité de Bertolt Brecht.
Du bonheur de donner – Ariane Ascaride et David Venitucci ©Karine Letellier
Vu au Théâtre de La Criée à Marseille, le 23 mars 2024, "Du bonheur de donner", les textes du poète Bertolt Brecht, interprétés par la comédienne Ariane Ascaride, en duo avec David Venitucci, à l'accordéon.
Du bonheur de donner ... Ariane Ascaride - David Venitucci
L'héritage de Bertolt Brecht, une source d'inspiration intemporelle
Un appel urgent à l’Humanité
C’est le poète et non le grand dramaturge qui a été invité sur scène pour parler, par leurs voix, de guerre, d’exil et de la condition des femmes, de résistance mais aussi de bienveillance et de bonté car « Le plus grand bonheur, c’est donner à ceux dont la vie est plus dure. Et, léger, de ses mains joyeuses, distribuer les beaux présents. »
Magnifiquement dérangeant
« N’écrivez pas que vous m’admirez, écrivez que j’ai été… dérangeante. »
« N’écrivez pas que vos m’admirez, écrivez que j’ai été… dérangeante ! » Ariane Ascaride termine le spectacle avec cette phrase, avant que le public du Théâtre de la Criée ne se déchaine dans un tonnerre d’applaudissements. Dérangeante, oui, elle le fut ce samedi 23 mars 2024, elle le fut. Avec « Du bonheur de donner », la comédienne s’adresse aux spectateurs, les invite à recevoir et à s’interroger car : « Il n’est pas plus grand bonheur sur terre que d’avoir le droit d’être heureux et de faire du bien ! »
Une humanité au bord des lèvres
Peut-être, sans-doute même, parce que « Nous vivons dans des temps bien étranges », Ariane Ascaride a choisi Brecht pour offrir au public son humanité de femme engagée, de citoyenne du monde, d’artiste. Terriblement et cruellement actuel, « Du bonheur de donner » sonne étrangement comme une mise en garde, un soubresaut, un appel à la Jaurès à un moment où le monde vacille parce qu’il a oublié que « Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas sont sûrs de perdre. » Réveillez-vous, nous dit Bertold Brecht, il est temps de croire que nous avons droit à la paix et au bonheur.
Ascaride, Brecht, Venitucci, une merveilleuse rencontre
Quelle merveilleuse rencontre que ce Bertold Brecht encore trop méconnu dans ce contexte poétique, avec la voix, le corps et le cœur d’une Ariane Ascaride véritablement ‘habitée’ et avec l’accordéon du magnifique David Venitucci. Les artistes ont choisi une mise en scène sobre; sur eux, un éclairage direct et franc. Sur un tabouret, Ariane Ascaride, cheveux courts à la garçon, vêtue de noir et regard vif, accueillant, déjà fraternel. A ses côtés, droit, David Venitucci, pantalon et chemise noirs, accordéon et sourire en bandoulière. Le décor est planté.
« Par hasard je suis épargné… »
Ici, les mots du poète exilé et la voix de la femme engagée se confondent, s’enchevêtrent, se croisent dans un appel, un murmure, un chant comme une complainte. La voix de l’artiste vogue sur l’émotion, qu’elle soit tumulte ou prière, qu’elle soit forte ou qu’elle soit misère, qu’elle soit colère, qu’elle soit tendresse, qu’elle ait l’accent du juste ou de celle qu’on blâme. Un arrêt, une respiration, le visage de la récitante regarde la salle alors que les mots effectuent dans l’espace cette ‘’courbe’’ pour parvenir aux oreilles des spectateurs. Ariane, la bienveillance de ce regard sur la salle, pendant que les sentiments les plus confus nous remuent… cette bienveillance qui met en garde… « ceux qui s’occupent de morale », parce que « Combien il est difficile d’être bon dans un monde qui ne l’est pas, d’être juste dans un monde injuste ! »
David Venitucci, accordéoniste virtuose et compositeur
Nécessaire, capital, indispensable, il intervient et se fait virtuose. Il est le compagnon du voyage. Il sublime l’instant. Il soutient, souligne, poursuit, argumente, surgit quand on ne l’attend pas, anticipe. Lui, c’est l’accordéon, une voix, une musique, un poème… Il est vague, il est mer, il est ciel, il est nature. Il est la main du naufragé avide qui s’accroche au bord de la barque. Il est la plainte de l’exil, le désarroi de la parturiente, seule, apeurée. Il est l’effroi de l’infanticide, la rage de celle qu’on a lavé dans le ruisseau. Il est lutte et injustice. Il sait aussi être papillon, printemps, parfum léger, joie, partage. Par quel filtre magique David Venitucci a-t’il réussi à faire, de son accordéon, s’envoler des colombes ?
Lorsque ce tête-à-tête improbable avec deux artistes et une salle comble se termine, au milieu des bravos et des acclamations, on a entendu des ‘merci’. C’était un soir au Théâtre National de la Criée, un soir couleur d’espoir.