Publié le 20/01/2018

Théâtre Toursky : Un Somptueux Dom Juan… et les Clowns

Théâtre Toursky Un Somptueux Dom Juan - Marseille

Présentée le 12 janvier 2018 dans la magnifique salle du Théâtre Axel Toursky -une salle (oh merci !) où les jambes ne sont pas comprimés sur le fauteuil du devant-, cette pièce de Molière a été servie par « la compagnie Miranda », dans une mise en scène d’Irina Brook à partir d’un premier travail de Mario Gonzales.

Dom Juan de Molière, un peu d'histoire avant le burlesque

Dom Juan, qui vit le jour sous la plume du dramaturge espagnol Tirso de Molina, fut maintes fois repris après Molière, donnant son nom à la pièce de Goldoni, à l’opéra de Mozart, à la nouvelle d’Hoffmann, au poème de Byron etc. C’est un véritable mythe littéraire dont les interprétations, aussi nombreuses, ou presque, que les pièces où apparaît ce héros, témoignent de la fécondité du mythe de Dom Juan. Dom Juan raconte les amours et la chute du héros éponyme. Jean Baptiste Poquelin, dit Molière, en fit une pièce que l’on peut qualifier de baroque, avec de nombreux éléments de farce, bien que certains –la mort, le destin- ainsi que l’issue en soient tragiques. Aucune surprise donc à découvrir des clowns dans cette pièce.
Dom Juan (ou le Festin de Pierre), tragi-comédie, a été écrit par Molière en 1665. Le 17e est un siècle très religieux avec une morale chrétienne très austère. La pièce sera d’ailleurs interdite. Paradoxalement, alors que Molière met en scène un héros libertin, avide de plaisirs et de libertinages, Dom Juan est avant tout un combat contre le fanatisme religieux qui triomphe au 17e siècle. Molière dénonce l’hypocrisie religieuse, se moquant des dévots qui ne sont parfois que des libertins déguisés prenant le masque de la religion. D’ailleurs, de nos jours, l’actualité révèle encore que sous couvert de la religion, certains se livrent aux pires perversions…

Par la Compagnie Miranda : « Le Grand Cirque De La Vie »

Avec cette version burlesque, actuelle, décalée et fidèlement adossée au texte original, sept clowns revisitent avec bonheur le Dom Juan de Molière. Ils vivent au présent, se jouent de tout, de la vie, de l’amour, de la mort, sans jamais rien prendre au sérieux. Ils incarnent le comique et le tragique. Qui mieux que des clowns pour apporter un éclairage inattendu et terriblement humain sur des personnages devenus mythiques ? Dans cette pièce sur la liberté et le tribut à payer pour la conserver, les clowns transforment le monde en cabaret burlesque dans lequel se révèlent la sincérité et la fragilité du séducteur Dom Juan qui incarne avec force l’angoisse de l’homme face à son destin.
Ne vivant qu’au présent, mus par des besoins de reconnaissance et d’amour immédiat, se jouant de tout sans rien prendre au sérieux, même la mort, les clowns nous rappellent à chaque instant qu’il faut jouer et si possible, jouer gros.
Quand l’ordre établi veut nous enfermer dans un conformisme déprimant, les clowns, eux, débordent, franchissent les limites, jouant avec les interdits, en font trop pour notre plus grand plaisir. L’art du clown est un travail qui repose sur la liberté, sur l’acceptation du ridicule.
Bien loin de susciter la farce gratuite ou le rire facile les clowns de ce « Dom Juan » sont proches des valets de commedia, repris par Molière. Ils apportent un éclairage inattendu sur ces personnages devenus mythiques.

Tous Clowns… Sauf un

Dom Juan séduit et défie, bafoue honneur et dévotion, ébranle l’ordre social, familial et religieux. Sous le burlesque l’homme est face à son destin. Quant à Done Elvire, elle devient si tragique et excessive dans son désir de reconnaissance que l’on rit pour ne pas pleurer avec elle. Chez Sganarelle, le clown est quasiment déjà écrit dans la partition. Le comédien y apporte son humanité en travaillant sur son propre ridicule. Derrière leur nez rouge, les clowns sont dans la démesure des sentiments, tragiquement drôles, malgré eux.
Un seul personnage ne chausse pas de nez : Dom Juan. Il tombe le masque et revendique son refus d’entrer « dans le grand cirque » de la vie. Il reste indomptable, refuse de se repentir. Ce Dom Juan, incarné par un époustouflant Thierry Surace, réussit en un tour de main à nous faire entrer dans sa rébellion et à prendre fait et cause pour lui. S’adressant au public, échappant le temps d’une tirade au personnage de séducteur sans vergogne, il pose gravement les questions essentielles de l’existence, dénonçant un système politique fallacieux.

« Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l’hypocrisie est un vice proviliégié, qui, de sa main, ferma la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine... » (Extrait de la scène 2 de l’acte V de Dom Juan-Molière)

Quelle modernité !

Dans cette mise en scène pleine de subtilités, Dom Juan et les Clowns, mélange de tragédie et de comédie, est bien une œuvre de dénonciation et de combat. Elle est plus que jamais d’actualité.

Dom Juan et les clowns est une magnifique réussite, une rencontre imprévue avec Molière - dont je gage qu’il aurait adoré la mise en scène-, avec le fourbe et cocasse Sganarelle et avec celui qui, jusqu’à son dernier souffle, défendra son droit d’aimer toutes les femmes.
Les spectateurs, emportés au cœur d’un ballet éclatant de costumes et séduits par le jeu talentueux des acteurs, se laissent ravir, galvaniser, électriser, submerger par le plaisir ; des acteurs facétieux qui interagissent avec un public au comble du bonheur, dans l’hilarité générale.

Thierry Surace, grand par le talent

Acteur, metteur en scène, comédien et professeur d’Art dramatique, Thierry Surace est le Directeur artistique de la Compagnie Miranda de Nice. Son talent lui permet d’élaborer un univers foisonnant d’inventions, poétiques et baroques. Amoureux de la précision et du travail, l’acteur joue avec justesse et sobriété. Son investissement dans le rôle de Dom Juan est total, tant physique qu’émotionnel. De son propre aveu, le comédien aurait adoré le rôle de Sganarelle, mais il excelle dans ce Dom Juan hors normes, donnant au personnage une amplitude scénique étourdissante et une modernité exceptionnelle. Sous les traits grimés de l’artiste, le Dom Juan de Thierry Surace bafoue doublement l’hypocrisie et revendique encore plus fortement notre droit à tous : la liberté.

Jérôme Schoof, parfait Sganarelle

Acteur de la Compagnie Miranda dès sa création, Jérôme Schoof, artiste interprète, auteur, metteur en scène, plante un Sganarelle attachant, valet fidèle et homme d’esprit. Le professionnalisme et l’habitude de la scène confèrent à ce comédien l’habileté, l’ingéniosité et la profondeur indispensables à la complexité de son personnage. Un Sganarelle inoubliable !

Sylvia Scantamburlo, une Done Elvire proche de la Commedia dell’Arte

Sylvia Scantamburlo donne pleinement à son Elvire, tour à tour, la fragilité, la force, le courroux, la piété qui la caractérisent. Comédienne et chanteuse au sein de la compagnie Miranda, Sylvia a travaillé sur une trentaine de pièces d’auteurs classiques et contemporains.

Elodie Robardet, Eva Rami, Jessica Astier, Christophe Servas, Florent Chauvet, Frédéric Rubio

Ces comédiens fabuleux incarnent chacun deux personnages. Fantastique, leur aptitude à passer d’un personnage à l’autre, différents dans leur approche physique et psychologique, laisse pantois ; compétence et finesse de jeu en prime.

La Compagnie Miranda

On sent dans cette troupe une synergie que l’on trouve rarement ailleurs.
Chacun, singulier dans son rôle, donne cependant l’impression de n’exister que par rapport à l’autre, de se nourrir de l’autre. Il y a chez chacun d’eux, et chez tous à la fois, un respect du partenaire, un amour du texte, de la scène, une folie réfléchie de l’ensemble, qui fait que l’on soude les comédiens à la troupe. Nombrilistes les comédiens ? Pas eux ! De ces saltimbanques, de cette équipe, sourd une impression de « bonheur de jouer ensemble » qui se répand dans la salle; la culture bien sûr, mais aussi l’intelligence et l’amitié. C’est du théâtre qui n’a d’absurde que le nom qu’on lui prête tant les mots, les gestes, le sens, les sentiments, rejaillissent sur le public qui s’en rassasie, applaudissant à tout rompre. Du grand Théâtre !

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