- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 5 min
Möbius, de la compagnie XY : quand l’art du cirque se fait danse
Après le classique de la danse moderne qu’incarne le Ballet Béjart, Pierre-François Heuclin, directeur artistique du festival Vaison-Danses, a choisi d’inviter la Compagnie XY, un collectif de cirque contemporain, pour la représentation de « Möbius », leur cinquième spectacle, créé en 2019.
Vu à Vaison Danses le 15 juillet 2023 au théâtre antique de Vaison-la-Romaine, le spectacle Möbius de la compagnie de danse XY.
Décidément le théâtre antique ne désemplit pas pour ce début de Festival Vaison-Danses 2023 dirigé par l’ancien danseur et conseiller à l’Opéra de Paris, Pierre-François Heuclin. En scène, dix-neuf artistes, qui sont des « acrobates » spécialistes du porté et de la voltige, ont fait appel à un chorégraphe – Rachid Ouramdane, directeur du théâtre national de Chaillot de la Danse – pour mettre en scène leur travail, et à des compositeurs de musique électronique – Jonathan Fitoussi et Clemens Hourrière – pour le mettre en rythme.
Möbius, de la compagnie XY au festival Vaison Danses 2023
La petite histoire du cirque
À l’évidence, le cirque et la danse ont des généalogies différentes. Le cirque, né au 18e siècle par la volonté de l’anglais Philip Astley a commencé par mettre en piste des chevaux, avant de proposer des numéros périlleux et des séquences clownesques. Traditionnellement, c’est à un public populaire et familial que le cirque s’adresse, au point que pour populariser la musique classique, Jules Pasdeloup avait organisé dans les années 1870 ses « concerts populaires » au cirque d’hiver !
La petite histoire de la danse
De son côté la danse, dont on ne date pas le commencement qui est sans doute préhistorique, a été à la fois une manifestation cultuelle et festive qui a trouvé dans les salles de spectacles spécialisées une expression esthétique raffinée auprès d’un public capable de payer chèrement sa place.
Le cirque et la danse : même famille ?
En même temps, les deux « disciplines » ont en commun d’être toutes deux des arts du corps ; et c’est ce qui a conduit Pierre-François Heuclin comme son prédécesseur Philippe Noël a inclure régulièrement dans leur programmation un spectacle de cirque contemporain. Les fidèles de Vaison-Danses se rappellent Cyrk 13 mis en piste par Philippe Decouflé en 2002, le poétique Cirque Invisible de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée en 2010, les bambous du Nouveau Cirque du Vietnam en 2011, Les 7 Doigts de la Main en 2013 et 2015, Beyond par la compagnie Circa en 2014, la première venue de la Compagnie XY en 2015 qui avait présenté Il n’est pas encore minuit, sans compter plus récemment The Elephant in The Room par le cirque Leroux et Speakeasy par la compagnie The RatPack.
Möbius, ou le ruban sans fin de la Compagnie XY
Pourquoi la compagnie XY a -t-elle nommé son spectacle Möbius ?
Peut-être parce qu’elle aime les références mathématiques … Peut-être parce que l’anneau de Möbius est une forme à une seule face que l’on peut parcourir indéfiniment. Un logo du recyclable, c’est-à-dire de ce qui ne cesse de se renouveler. Et il est vrai que si esthétiquement on a comparé ce ballet à la murmuration des étourneaux qui par myriades tracent dans le ciel des figures organisées à géométrie variable, on ressent aussi et surtout un mouvement perpétuel de contruction–déconstruction qui donne le vertige. Construction de ces colonnes acrobatiques de trois ou quatre personnes qui se défont sans fin dans des déséquilibres surprenants, fluides et harmonieux et dont les mots ont de la difficulté à rendre compte.
La compagnie XY, collectif d'acrobates ....
Une confiance absolue en l’autre
Ce travail sur les formes et les rythmes relève de l’esthétique du ballet, mais ce qui est aussi extrêmement sensible, c’est tout ce qu’il implique comme relation à l’autre. Pour le public, en face de telles performances risquées, la grande question est celle de la peur : celle qu’il éprouve pour les acrobates en se mettant à leur place, mais celle aussi qu’il peut supposer chez les acrobates eux-mêmes dans l’exercice de leur métier.
À cette question « est-ce que vous avez peur ? » posée par une petite fille lors du bord de scène final, un porteur répond : « Oui. Mais on a une grande confiance dans les partenaires. Mais c’est différent selon qu’on est porteur ou voltigeur. Personnellement, en tant que porteur, je dis toujours que ma voltigeuse a plus confiance en moi que moi en elle ».
Et la concentration ?
À l’évidence, l’acrobatie, surtout pratiquée à plusieurs, nécessite une forte concentration. Une des voltigeuses de la troupe pense que le travail d’attention et de focalisation est propre à chacun : « Il y a des acrobates qui ont besoin de se mettre en condition avant de monter sur scène, d’autres, comme moi, ont une capacité de concentration très limitée. Je ne peux pas me permettre de me concentrer avant le lever de rideau, car alors je n’aurai plus assez de concentration pour le spectacle. Cela dit, on a toujours conscience du risque, mais pour ma part, il suffit de me concentrer une milliseconde avant ». Un autre artiste poursuit : « La concentration est très importante dans l’acrobatie, mais on essaie aussi de lâcher prise et on fait confiance aux collègues, ce qui permet d’être fluide dans nos mouvements ».
Un moment esthétique d’un rare engagement
Cette soirée estivale de Vaison-Danses, précédée par un préambule très élaboré des élèves du cirque Badaboum dirigé par Mimoun El Youssfi, a été un moment esthétique d’un rare engagement et l’on attend déjà avec curiosité ce que sera la programmation 2024.