- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 14 min
‘Camus-Casarès, Une géographie amoureuse’. Chef-d’œuvre en devenir
Rencontre avec Jean-Marie Galey, acteur et metteur en scène. Il incarne Albert Camus aux côtés de sa compagne et comédienne Teresa Ovidio, qui elle se glisse dans la peau de Maria Casarès, dans la pièce de théâtre “Camus, Casarès, une géographie amoureuse”. Une “carte du tendre” où l’on trouve tracée la carte topographique et allégorique des différentes étapes de la vie amoureuse.
"Camus-Casarès, Une géographie amoureuse" une pièce de théâtre inspirée de la correspondance d'Albert Camus et Maria Casarès, entre 1944 et 1959.
« Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes reconnus, nous nous sommes abandonnés l’un à l’autre… » Maria Casarès
Jean-Marie Galey, comédien et metteur en scène, génial touche-à-tout
"Camus-Casarès, Une géographie amoureuse", amour et passion au théâtre. Une pièce réalisée par Jean-Marie Galley
Actuellement en promotion, malgré un emploi du temps chargé, de sa nouvelle réalisation ‘Camus-Casarès, une géographie amoureuse’, nous avons rencontré Jean-Marie Galey.
Danielle Dufour-Verna- Projecteur TV – Jean-Marie Galey, qui êtes-vous ? Parlez-nous de votre parcours.
J.M Galey - Je suis Jean-Marie Galey. Je suis acteur depuis fort longtemps. J’ai une formation classique mais j’ai joué beaucoup. J’ai commencé très jeune, en 1974 exactement. J’ai commencé avec les sœurs Huppert, Isabelle et Caroline. Nous étions tous jeunes. On avait une petite compagnie à l’époque et on avait beaucoup de succès. Ensuite j’ai joué au théâtre de la commune d’Aubervilliers où j’ai rencontré Gabriel Garran qui est le créateur du théâtre de la commune. J’ai été élève à l’école de la rue Blanche, qui s’appelait à l’époque Centre dramatique de la rue Blanche et aujourd’hui l’ENSAT, École Nationale Supérieure de Théâtre qui est à Lyon et qui était à Paris à l’époque. Puis j’ai joué avec Marcel Maréchal à Marseille. On a inauguré la Criée aux poissons. On m’a fait venir de Paris, je l’ai rencontré et il m’a engagé pour jouer le rôle en alter égo avec lui et Bernard Ballet dans la Moschetta de Ruzante. Puis, avec lui encore, j’ai joué le Cardinal de Richelieu dans les Trois Mousquetaires. J’ai ensuite fait partie de la troupe de la Salamandre animée par Gildas Bourdet, une grande troupe des années 80/86, puis au Théâtre de la Ville pendant 4 ans avec un metteur-en-scène à la mode de l’époque, Lucian Pintilie, metteur-en-scène roumain très célèbre à ce moment-là. Par la suite, j’ai joué un peu partout, dans des compagnies diverses. J’ai fait beaucoup de choses, énormément même. Par exemple, j’ai eu beaucoup de succès en jouant Mitterrand en 1991, sous la direction de Didier Bezace, dans ‘Marguerite et le Président’ que Marguerite Duras avait écrit avec François Mitterand. Par la suite j’ai joué une pièce qui s’appelle Ay Carmela ! Sur la guerre d'Espagne, qui a connu un immense succès. On l’a joué mille fois par la suite, à guichet fermé au Festival d'Avignon pendant quatre années, et dans toute l'Europe. Nous l’avons créée en 1994 au Théâtre Toursky. C’est comme cela que j’ai connu Richard Martin. Puis, en 97, je suis entré au "Français" et y suis resté jusqu’en 2002. J’en suis sorti car j’ai trouvé là une atmosphère pesante. Après avoir fait un procès à la Comédie Française, j’ai écrit un livre, chez Belfond ‘comédie française, roman’ en bas de casse, c’est-à-dire sans majuscule, qu’on peut toujours se procurer. Il est en vente sur internet.
DDV – Vous êtes un électron libre…
Jean-Marie Galey – Oui c’est exactement ça. Ensuite j’ai joué beaucoup avec des maisons importantes : la Maison des Métallos à Paris où nous avons été pendant trois ans artistes associés avec Maurice Bénichou. Nous avons travaillé sur l'auteur australien Daniel Keene où j’ai tenu le rôle du Père dans Littoral de Wajdi Mouawad, Molière 2005 du meilleur auteur.
DDV – Vous êtes né à Paris ?
Jean-Marie Galey – Non, je suis né à Angoulême.
DDV – De parents férus de théâtre ou pas du tout ?
Jean-Marie Galey – Pas vraiment, même pas du tout, non. C’étaient des gens, des petits bourgeois normaux. Mon père était Inspecteur des Domaines d’Etat. J’ai des oncles qui étaient des peintres de qualité, qui ont fait les Beaux-Arts de Paris. En fait, initialement, on est originaire de Biarritz, du pays basque. Mon père avait été nommé à Angoulême ; je suis né là, comme un passage.
DDV- Pour vous existe le théâtre, et…
Jean-Marie Galey – la particularité c’est que j’ai fait beaucoup de choses à côté du théâtre. C’est cela ma particularité. Par exemple, quand j’avais 17 ans, je suis rentré au journal Pilote, un journal des années 70. J’étais chroniqueur au journal Pilote. Ensuite, dans les années 80, toujours en parallèle avec le théâtre parce que j’aime bien me promener, j’ai dirigé les radios libres. J’étais président d’une fréquence qui s’appelait ‘La radio des arts et du spectacle’. J’ai négocié avec la haute autorité de l’audiovisuel avec Stéphane Hessel qui à l’époque représentait le gouvernement. Je peins comme mes oncles et j’ai déjà exposé à Paris. Je fais des tas de choses en fait. Par ailleurs, j’ai créé une compagnie avec ma compagne Teresa Ovidio et on est en train de faire actuellement ‘Camus-Casarès’. En parallèle à ma vie d’acteur au théâtre, je joue aussi à la télévision.
DDV – Vous nous en dîtes un mot ?
Jean-Marie Galey–un petit mot au passage. C’est tout autre chose cela. Je pense qu’il y a très peu de gens qui le font. Moi je le fais. C’est d’être à la fois dans un feuilleton populaire vu par un certain nombre de Français qui ne vont jamais au théâtre, aucun doute et qui, aussi, ne sont jamais venus me voir jouer. S’ils sont venus par hasard me voir jouer, ils sont partis au bout de vingt minutes parce que ce n’est vraiment pas le théâtre qu’ils comprennent ou qu’ils aiment. Mais je trouve cela formidable. Pour tout vous dire, cette population là que je rencontre dans la rue et qui m’aborde sans arrêt, cette population-là est extrêmement touchante. J’arrive à la fin de ‘Plus Belle la Vie’. J’y ai passé cinq années et je viens de terminer hier à Marseille. J’ai passé cinq années très heureuses dans un contexte vraiment très différent. J’ai toujours vécu dans un contexte de recherche au théâtre et d’approfondissement. C’est une expérience que j’aurai vécu avec un immense plaisir sans jamais cracher dedans. Quand je choisis quelque chose, je le choisis vraiment, avec cœur et amour.
DDV – Donc votre actualité pour le théâtre c’est Camus-Casarès…
Jean-Marie Galey – Oui, on l’a appelé ‘Camus-Casarès, une géographie amoureuse’. Ça n’est pas les lettres exactement mais c’est une géographie autour des lettres, ce qui fait que c’est un spectacle complet qui raconte en fait la vie de Camus et de Casarès. On savait, connaissant Catherine Camus, qu’on ne pouvait pas envisager de créer une fiction autour de Albert Camus et Maria Casarès. On s’est donc servi de leurs propres vies avec leurs propres mots pour écrire quelque chose qui les racontait. Ça contient donc les lettres et d’autres choses. On s’appuie aussi, en particulier, sur des documents sonores d’époque qui sont un élément essentiel de notre travail.
DDV – Avez-vous travaillé pendant le confinement dû au Covid ?
Jean-Marie Galey – On s’est servi de cette situation-là pour la magnifier, pour y trouver un équilibre. On avait la possibilité, nous, parce qu’on était un couple, de pouvoir travailler. Nous jouons habituellement dans des lieux cadrés, subventionnés, dans des théâtres officiels, privés ou publics car je ne fais pas la différence entre le public et le privé. Je trouve en général absurdes ces connotations acteur de théâtre public et acteur de théâtre privé ou compagnie de théâtre privé. Il n’y a que du bon et du mauvais théâtre, où que ce soit. Évidemment, dans ce qu’on appelle le théâtre privé, il y a souvent un angle différent. C’est-à-dire que c’est le producteur qui est plus important que le metteur-en-scène, c’est vrai. Mais en réalité, je peux aller de l’un à l’autre sans problème.
DDV – Cette pièce sera donnée au théâtre Toursky ?
« On a sillonné les routes »
Jean-Marie Galey – Oui, cela devrait se faire en 2021 ou 2022 sans aucun problème. Avant, nous jouerons en Avignon et c’est là où je voulais en venir, c’est que nous nous sommes aperçus –le projet initial étant de jouer directement en Avignon car là sont les acheteurs, en général pour les spectacles qui ont du succès, 350 qui viennent de la France entière en Avignon et cette année on n’a pas pu en bénéficier- que notre gros problème est de se trouver une année entière avec aucune possibilité de jouer. Alors on s’est posé la question et nous avons, en partie, résolu le problème d’une certaine manière en tous cas. C’est en allant directement au contact des municipalités ou des lieux divers qui pourraient nous accueillir. On a commencé, un peu comme on faisait autrefois avant que le théâtre français soit vraiment structuré, on a sillonné les routes. On a demandé à des amis. On a une amie documentaliste en Haute-Loire qui adore notre travail et Camus et Casarès et qui nous a permis d’y jouer. C’est là qu’on a créé le spectacle, à Le Chambon-sur-Lignon, là où Albert Camus avait écrit La Peste. Nous avons eu beaucoup de succès. Elle nous a permis aussi de jouer dans plusieurs endroits depuis la Haute-Loire, Saint-Etienne, Lyon.
Une autre amie nous a permis de jouer dans la Drôme du côté de Grignan. On a participé à un festival de cinéma au Cap d’Agde où on a joué la pièce à la fin du festival. En fait on a trouvé des dérivatifs, d’autres manières de présenter le spectacle et de le jouer. On s’est rendu compte, en allant directement au contact des populations et surtout des municipalités, qu’on pouvait avoir un angle d’attaque différent et ça a été un bien pour nous. Au lieu de se retrouver à jouer quelque part et à partir le lendemain, comme on fait toujours, on a passé plusieurs jours avec les gens qui nous accueillaient. C’est très profitable. On n’a pas énormément de dates, mais on en a un certain nombre avant Avignon et surtout on en a de programmées maintenant pour l’an prochain parce que là où nous nous sommes produits les programmes étaient souvent pleins mais on a pris date pour dans un an et on a déjà une vingtaine de dates qui sont programmées pour l’année prochaine. Nous devions faire aussi une très grande tournée en Asie du Sud-Est mais à l’arrêt pour l’instant.
DDV – Qu’espérez-vous pour le monde de demain, pour le futur, pour vous et en général ?
« Transformer cette histoire absolument ahurissante en quelque chose de bien, de positif. »
Jean-Marie Galey – Pour le futur, que ces évènements qui se passent actuellement nous permettent de retrouver un équilibre mais surtout de tirer la leçon de ce qui s’est passé pendant ces mois ou l’année qu’on va vivre, je ne sais pas, en tout cas d’en tirer la leçon. On s’est aperçu qu’en fait il y avait une sorte d’écrémage. Ces évènements ont permis de révéler beaucoup de choses enfouies chez les Français qui ne sont pas forcément agréables et peut-être de transformer cette histoire absolument ahurissante en quelque chose de bien, de positif. Le fait de revenir voir Richard Martin en est une par exemple, de participer à un débat sur la culture au sein de l’Université Populaire du Théâtre Toursky l’autre jour, a été formidable pour moi. J’ai renoué avec l’esprit dans lequel j’ai commencé à faire du théâtre, il y a vingt, trente ans. C’est-à-dire quelque chose qui soit un vrai espace de liberté. Ça c’est très important.
DDV – Et quelle est votre définition du bonheur ?
Jean-Marie Galey – Le bonheur c’est d’être là, présentement et d’être face à soi-même. C’est tout.
‘Camus-Casarès, une géographie amoureuse’
" Ce texte est une adaptation, destinée à la scène, de la correspondance échangée entre Albert Camus et Maria Casarès entre 1944 et 1959, parue en 2017 aux Editions Gallimard."
Nous avons donné au montage minutieux de cette relation hors-norme le titre Camus-Casarès – une géographie amoureuse qui nous parait refléter la « carte de Tendre » ou « carte du tendre » imaginée au XVIIème siècle, où l’on trouve tracée la carte topographique et allégorique des différentes étapes de la vie amoureuse selon les Précieuses de l’époque. Une carte de géographie, avec ses sentiers sinueux, ses impasses, ses valons paisibles, ses clairières enchantées, ses marécages, ses rudes rochers, ses cols réputés infranchissables… Autant de chemins vers l’extase. Il en est ainsi des grandes rencontres amoureuses.
Nous sommes parvenus dans un premier temps à rassembler 172 lettres sur les quelques 865 que compte cette correspondance ! Choix arbitraire mais cohérent qui veille à conserver la vivacité et le mouvement de la partition. C’était pour nous une première étape de travail, une matière brute. Matière qui nous a permis de prendre nos marques pour le travail à venir. Nous y avons adjoint des extraits d’interviews et souvenirs de Maria Casarès, accompagnés de fragments des Carnets II et III d’Albert Camus écrits dans ces années-là.
Albert Camus-Maria Casarès, une passion éphémère ...
Casarès et Camus se rencontrent le 6 juin 1944 à Paris, jour du débarquement de Normandie. Elle a 21 ans, lui 30. Ils vivent une passion éphémère jusqu’en octobre, moment où la femme de Camus, Francine, revient d’Algérie. Casarès met alors fin à leur relation.
Le 6 juin 1948, ils se croisent par hasard boulevard Saint Germain, se retrouvent et ne se quitteront plus, jusqu’à la disparition d’Albert Camus dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960.
Ils auront vécu quinze années dans une passion solidaire, éloignés souvent l’un de l’autre, mais ensemble toujours, partageant les mêmes enthousiasmes, les mêmes tourments, le même regard sur une époque particulièrement agitée où l’un et l’autre se construisaient. Camus dans son métier d’écrivain, sa passion pour le théâtre, ses doutes, le travail acharné de l’écriture, malgré la tuberculose. Casarès dans sa carrière de jeune comédienne, déjà riche pourtant de quelques grands chef - d’œuvres cinématographiques comme Les enfants du paradis ou La chartreuse de Parme, et aussi de son passage éclair à la Comédie Française, suivi des années les plus belles du Théâtre National Populaire de Jean Vilar, à la naissance du Festival d’Avignon.
Ces échanges amoureux magnifiques, d’une très grande richesse lyrique et émotionnelle ont aussi la particularité de révéler un Camus surprenant : tourmenté, instable, fragile, capricieux, au comportement parfois machiste, éloigné de l’écrivain profond et grave que nous connaissons. Les lettres de Maria Casarès sont une révélation. Elles témoignent d’un humour ravageur qui brocarde ses contemporains, auteurs, metteurs en scènes, comédiens, politiques, avec allégresse et sans retenue aucune ! Fille sauvage de la Galice, elle manifeste une vitalité ahurissante, vivant le bonheur et le malheur avec la même intensité.
La publication de cette correspondance a été rendue possible par Catherine Camus qui prit l’initiative de rencontrer Casarès sur la fin de sa vie dans une chambre d’hôtel où toutes deux partagèrent une tablette de chocolat, et de lui demander les lettres écrites par son père. Sachant que cette relation « cachée » fut le tourment et le poison de sa propre mère, on peut bien imaginer que cela ne lui fut pas facile. »
Crédit photos © Thibaut Guènois Châteaux en Espagne contact : CAMUS.CASARES2020@GMAIL.COM
Distribution artistique de la pièce de théâtre Camus Casarès, une géographie amoureuse
d’après la correspondance Albert Camus - Maria Casarès 1944-1959 © Editions Gallimard
Jean-Marie GALEY et Teresa OVIDIO
Mise en scène : Elisabeth CHAILLOUX
Durée : 1h20