- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 10 min
À la Paix ! Théâtre de la Criée – 8/26 novembre 2023 – Robin Renucci – Serge Valletti
« Avec “À la paix !”, nous espérons toucher le cœur et l’esprit de notre public, et créer un moment d’évasion, de réflexion et de célébration de la paix». À la paix, première création de Robin Renucci en tant que directeur du théâtre de La Criée. Un spectacle d’après La Paix d’Aristophane, adapté par l’auteur marseillais Serge Valletti que nous avons rencontré.
Du 8 au 26 novembre 2023, au Théâtre national La Criée à Marseille, Robin Renucci adapte, avec la complicité de l’auteur marseillais Serge Valletti, ‘La Paix’ du célèbre poète grec et dans la langue joyeusement irrévérencieuse d’un Aristophane qui se serait téléporté sur la Canebière aujourd’hui.
‘Le dictateur’, ce film satirique réalisé par Charlie Chaplin en 1940, contribua à mobiliser l'opinion publique nord-américaine en faveur des démocraties européennes, à une époque (octobre 1940) où seul le Royaume-Uni résistait à l'Allemagne nazie. Rire pour aider à la réflexion, c’est ce que proposait Aristophane et que Robin Renucci, directeur du théâtre de la Criée a décidé, en ouverture de sa saison 2023-2024, de mettre à l’affiche.
À la Paix ! Création de Robin Renucci - Théâtre national La Criée - Marseille
Interview de Serge Valletti, auteur
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Serge Valletti – Je suis né à Marseille en 1951. J’ai commencé à faire du théâtre en 1969/70. Puis je suis monté à Paris pour continuer à faire du théâtre où je suis resté 35 ans. J’ai joué, j’ai écrit pour le théâtre, pour le cinéma. Depuis un certain temps je suis redescendu dans le midi et j’habite Avignon.
Avez-vous déjà travaillé avec Robin Renucci ?
Serge Valletti – Non, c’est la première fois.
Qu’est-ce qui vous a rassemblé sur ce projet, votre travail sur Aristophane ?
Serge Valletti – Il est certain que j’ai travaillé sur Aristophane pendant dix ans en retraduisant et en actualisant toutes les pièces et ce travail a semé des graines. Plusieurs metteurs en scènes et compagnies, professionnels ou amateurs ont monté des pièces qui ont été éditées. Elles ont circulé. Robin, dans son parcours du théâtre public, d’envie de théâtre populaire, a croisé mes traductions et a décidé d’ouvrir sa première création en tant que directeur avec la pièce d’après La paix d’Aristophane. Pour lui c’est un lien entre Charles Dullin, Vitez, Vilar et Marcel Maréchal. Il m’a contacté pour voir si nous pouvions travailler ensemble avec des envies, d’abord que ce soit beaucoup plus ancré dans l’actualité par rapport à l’écologie par exemple, et aussi que ce soit bien actualisé par rapport à Marseille, par rapport au Théâtre de la Criée, par rapport au comique marseillais.
Comment avez-vous travaillé tous les deux ?
Serge Valletti – Il me disait ce dont il avait envie. La base, c’était ma traduction. Je me suis mis à retravailler. Quand j’ai fait Aristophane, j’ai enchainé les pièces les unes après les autres sans avoir pour idée probablement de les rendre efficaces pour le théâtre, ce qui arrive dans un deuxième temps. J’étais plus ancré sur le texte lui-même. J’ai eu le temps de me pencher beaucoup plus sur celle-là, c’était important de retravailler puisqu’elle allait être portée en majesté dans le théâtre le plus important de Marseille. Dans le cœur de la pièce, il y avait beaucoup de redites. Il y aurait deux versions de La Paix, une en moins 421, l’autre située entre moins 415, 420. Les philologues de l’époque qui ont établi les textes ont dû mêler les deux versions, ce qui faisait qu’il y avait des redites à l’intérieur. Grâce au travail que j’ai fait avec Robin, en essayant d’être le plus clair possible, je me suis rendu compte qu’en fait il y avait des coupes à faire, des choses à enlever et à rendre plus « musclées » et efficaces. Il ne fallait pas non plus que cela dure trois heures, donc on a coupé. On a voulu aussi qu’il y ait beaucoup plus de rôles féminins. Dans la pièce d’Aristophane, il y en a très peu. Il y a une enfant à un moment et il y a la guerre. La déesse de la Paix et deux autres déesses sont carrément muettes. On a essayé de changer tout cela et de le rendre plus moderne pour arriver à faire une troupe beaucoup plus moderne.
Combien de comédiens dans la troupe ?
Serge Valletti – Ils sont 14 comédiens. (Guillaume Pottier, Kristina Chaumont, Alex Fondja, Anne Levy, Frédéric Richaud, Aurélien Baré, Heddy Salem, Claire Bonfils, et les élèves comédiens de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et de Marseille, Maël Chekaoui, Victor Franzini, Marie Mangin, Gaspard Juan, Julia Touam)
Vous faites intervenir le public…
Serge Valletti – Ça, c’est la mise en scène. Dans la pièce, le héros monte au ciel pour se plaindre aux dieux et demander pourquoi toujours la guerre. Qu’est-ce que vous faites ? Les dieux sont partis, il ne reste plus qu’Hermès, dieu des voyageurs, qui est là pour garder la vaisselle qui lui dit "«" c’est la même chose ici". Les dieux sont partis au fin fond de la galaxie parce qu’ils n’en ont plus rien à faire de vous les humains. Donc, la guerre a enfermé la paix dans ce trou. Le héros comprend que, pour ramener la paix sur terre, il faut la déterrer. Pour cela, il faut être plusieurs, il faut être nombreux et il demande au public de venir l’aider. Il y a des comparses mélangés au vrai public. C’est en ce sens que les citoyens qui sont au théâtre vont aider à sortir la paix de son trou.
Est-ce que c’était écrit comme cela en -421 ?
Serge Valletti – Oui, sauf que, à l’époque, on ne sait pas comment c’était monté. Effectivement, le héros qui s’appelle Trygée à l’origine harangue le public en disant -« il y a bien des paysans, des vignerons, ceux qui font des tonneaux, venez tous aider. Hermès m’a expliqué que la paix était dans ce trou mais tout seul je ne peux rien faire pour soulever ces dalles sous lesquelles la guerre a enfermé la paix. Aidez-moi. » C’est d’origine, dans la pièce, c’est comme ça. Le héros harangue le public pour dire « Il faut qu’on s’y mette tous ». A l’époque, est-ce qu’ils faisaient venir le public sur scène, il y avait le chœur, il y avait plein de gens, on ne sait pas. On est au théâtre.
On est au théâtre avec un Aristophane terriblement actuel.
Serge Valletti – Si je me suis penché sur ça à l’époque, ce qui a déclenché mon envie de travailler sur Aristophane, c’est un passage d’une des pièces d’Aristophane qui s’appelle Ploutos, qui est le dieu de la richesse qui est aveugle. Le héros veut lui rendre la vue pour que l’argent ne soit réparti qu’entre gens honnêtes et gentils alors qu’il le distribue aux brigands et aux méchants. Mais la déesse de la Misère ne l’entend pas de la même façon car dit-elle c’est la misère et non l’argent qui fait tourner le monde « parce pour qu’il y ait des riches, il faut qu’il y ait des pauvres. » C’est ce phénomène-là de dire il y a 25 siècles, qui, pour moi, a démarré l’actualité d’Aristophane, son comique, sa position politique, sa réflexion sur le monde et l’humain, c’est cela qui a déclenché mon travail sur toutes les autres pièces. Quand vous dites c’est actuel, oui, ça croise l’actualité, comme dans Lysistrata, la guerre des sexes, ces femmes qui décident de ne plus faire l’amour pour que la paix revienne et que les hommes se calment. Il y a eu beaucoup de films ces derniers temps qui parlent de cela, la guerre des sexes et la problématique de la puissance des femmes, c’est complètement moderne aussi. Toutes les pièces d’Aristophane sont actuelles car elles parlent de l’humain et l’humain n’a pas changé depuis 25 siècles. Il y a toujours des avares, des riches, des pauvres etc. C’est toujours le même humus dans lequel nous sommes.
Cicéron aurait dit « L’argent est le nerf de la guerre ». Est-ce que « A la Paix » questionne sur celui de la paix ?
Serge Valletti –C’est comme on dit dans les crimes « A qui profite le crime ? » Le nerf de la paix, j’espère que ce n’est pas l’argent non plus.
La pièce que vous avez adaptée avec Robin Renucci questionne…
Serge Valletti –Oui, cela questionne notre monde, et pourquoi les gens n’arrêtent pas de ne pas être d’accord et n’arrêtent pas d’en venir aux mains. Qu’on ne soit pas d’accord à la limite, c’est concevable, on n’a pas tous la même opinion, mais de là à éliminer celui qui n’est pas d’accord avec vous, c’est là que ça commence à devenir absolument infernal.
Est-ce que le théâtre peut encore réveiller les consciences ?
Serge Valletti –Je l’espère. En tout cas, ce qu’il peut c’est parler et expliquer et mettre en lumière les tenants et les aboutissants de ces problèmes-là, pourquoi on n’arrive pas à faire la paix. Après comment la faire, c’est un autre problème.
Est-ce que la société actuelle permet encore d’aller vers le théâtre, de penser théâtre ?
Serge Valletti – Ce qui est dans le théâtre, c’est la communauté. C’est cela la spécificité du théâtre, mettre tout le monde ensemble devant une réflexion, devant des mots ; passer un moment ensemble à réfléchir tous ensemble et en vrai ! C’est dans ce « que là » que réside le pouvoir du théâtre.
On peut rire de la guerre, mais peut-on rire en temps de guerre ?
Serge Valletti –Il y a des choses qui ne prêtent pas à rire, bien sûr. Le rire permet de décaler, de mettre une distance. Il y a des gens qui n’aiment pas rire, c’est vrai. C’est un point nodal de l’humanité, d’arriver à rire malgré les problèmes.
C’est le cas de Chaplin dans ‘Le dictateur’… Eveiller les consciences par le rire.
Serge Valletti – C’est le génie de Chaplin. Ridiculiser le méchant est l’une des bases de l’art. Voir tout ce travail sur l’esthétisme, la croix gammée transformée, la petite moustache, c’est cela le travail artistique, c’est d’arriver à déplacer le regard pour pouvoir réfléchir mieux à ce qu’il se passe.
Renseignements, Réservations, Billetterie Spectacle À la Paix - Théâtre national de La Criée - Marseille
Théâtre national La Criée
30 Quai de Rive Neuve, 13007 Marseille
Du 8 au 26 novembre
Billetterie 04 91 54 70 54 du mardi au samedi de 12h à 18h.
theatre-lacriee.com