- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 10 min
À l’approche de Noël, histoire et fabrication des traditionnels santons de Provence
Héritiers des crèches vivantes italiennes puis provençales, les santons (petits sains) sont les personnages incontournables des célébrations de Noël en Provence. Santon peint, santon habillé, de quelques centimètres à près d’une dizaine, il est aujourd’hui encore sculpté par de fins artisans et mis à l’honneur dans plusieurs foires et musées du territoire. Origines, coutumes, et fabrication de ces personnages qui racontent l’histoire de la Nativité.
Les santons et les différentes coutumes lors des fêtes de Noël en Provence sont reconnues internationalement de par leur histoire riche et leur présence encore forte sur le territoire provençal. Ils font partie de notre patrimoine culturel immatériel français.
Les santons de la crèche en Provence
Malgré le temps clément et le beau soleil qui continue à inonder nos collines, Noël approche à grands pas. Fi de cette Covid dont le sigle nous est devenu familier jusqu’à l’overdose, et, sans omettre les règles sanitaires indispensables, parlons fêtes. Les rues revêtent leurs habits étincelants ; nous nous acheminons à grands pas vers Noël.
Inscrites au patrimoine culturel immatériel français, les Fêtes de Noël en Provence, leurs santons font partie des traditions festives du Noël provençal, personnages incontournables de ces célébrations,
Une crèche provençale venue d’Italie
L’origine de la crèche provençale vient paradoxalement d’Italie, du village de Greccio, située dans la province de Rieti. En effet, dès le XIIème siècle, dans les églises italiennes, on représentait la scène de la Nativité avec des sculptures mobiles, non fixées au sol. Traversant les Alpes, la crèche provençale a pris de plus en plus d’importance dans les célébrations de Noël, pour devenir à ce jour l’une des coutumes les plus suivies de certains provençaux.
Cette « crèche vivante » a donné naissance à une tradition qui s’est perpétuée, mais les « acteurs » ont été très largement remplacés par des personnages en bois, en cire, en carton-pâte, en faïence et même en verre. Les premières crèches ressemblant à celles que nous connaissons font leur apparition dans les églises au XVIe siècle.
Le "santoun" en provençal
Le santon, petite figurine en argile colorée de la crèche provençale, participe à la mise en scène de la Nativité, autour de l’enfant Jésus, la Vierge Marie et saint Joseph, avec l’âne et le bœuf censés réchauffer l’enfant avec leur souffle. Ces santons figurent, entre autres, les Rois Mages et les bergers et toute une série de petits personnages, dont l’apparence est directement inspirée des costumes et des métiers des habitants des villages provençaux traditionnels. Chargées de présents, ces figurines sont représentées cheminant vers l’étable, surmontée de son étoile, à travers un paysage comportant une colline, une rivière enjambée d’un pont et des oliviers (généralement représentés par du thym fleuri).
Une crèche venue de Marseille
Le vrai santon du provençal “Santoun” (petit saint) est en argile non cuite, crée artisanalement à la main. La toute première crèche a été imaginée à Marseille vers 1775 par un dénommé Laurent. La crèche était constituée de mannequins articulés vêtus de costumes locaux. Pour y ajouter un brin d’exotisme, le créateur y avait placé des girafes, des rennes et des hippopotames. L’écrivain Jean-Paul Clébert (1926-2011) raconte : « À l’époque du Concordat, Laurent montrait même un carrosse qui s’avançait vers l’étable ; le pape en descendait, suivi des cardinaux. Devant eux s’agenouillait toute la Sainte-Famille et le pape lui donnait sa bénédiction. Pendant l’adoration des bergers, un rideau se levait, dévoilant la mer sur laquelle voguait un bâtiment de guerre. Une salve d’artillerie saluait l’enfant Jésus qui, réveillé en sursaut, ouvrait les yeux, tressaillait et agitait les bras ».
Un artisanat local fort
À la fin de la Révolution, le faïencier marseillais Jean-Louis Lagnel (1764-1822) a élaboré les santons tels qu’on les connaît aujourd’hui. Il fut au début concurrencé par les santibelli, d’origine italienne, réalisés en plâtre. Dans les années 1830, ils étaient vendus par des marchands napolitains dans les rues du Vieux-Port. À partir du Concordat (1801), ces figurines en argile moulée et peinte sont destinées à des crèches publiques ou familiales. J.-L. Lagnel et ses suiveurs ont créé un très grand nombre de personnages, inspirés par les passants des rues et les petits métiers de l’époque. Ils ont eu un tel succès qu’à Marseille, la foire de Noël qui les vendait devint, au milieu du XIXesiècle, la « foire des santons ». Au XXe siècle, l’artisanat saisonnier du santon se transforme en une fabrication à plein temps au sein d’une communauté de santonniers, dont l’activité n’a pas désempli depuis deux siècles. Les artisans et de petites entreprises détiennent un monopole relatif sur la production de santons, dont la renommée dépasse les frontières de la Provence. En effet, l’internationalisation du marché de la crèche de Noël constitue un tremplin considérable, qui a conduit à l’instauration de foires au cœur des saisons touristiques et à la demande d’un label d’appellation d’origine contrôlée.
Jusqu’à la Chandeleur...
La tradition veut que chaque année, la crèche soit mise en place peu avant Noël pour n’être défaite qu’au début février, à la Chandeleur. Chacune se singularise par le choix de ses santons, des accessoires utilisés, des représentations des maisons villageoises et par la variété de la végétation choisie (mousse, lichen, houx, branches de pin, etc.).
Pour harmoniser la crèche et simuler la perspective, des santons de différentes tailles sont utilisés. Les plus grands sont placés sur le devant, ce sont traditionnellement le berger et son troupeau, qui seront ensuite rejoint par les rois mages. Les santons puces sont mis dans le fond de la crèche figurant le lointain. Les santons doivent ensuite prendre figure humaine, une allure, un caractère et même un rang social. Au début du XIXe siècle, après le Concordat de 1802, les crèches traditionnelles retrouvent leur place dans les villes, notamment avec l’arrivée des crèches provençales et de leurs santons.
Cette tradition est présente dans chaque département de la Provence mais plus forte dans les Bouches du Rhône. Il existe une centaine d’ateliers de santons entre Marseille, Aubagne, Aix en Provence, Arles. Elle a donné la vie aux Pastorales, représentations théâtrales de la Nativité.
1803, la Foire aux santons de Marseille, la plus ancienne
La Foire aux Santons de Marseille est la plus ancienne foire aux santons de Provence. Elle a lieu chaque année, de mi-novembre à début janvier, sur la place Charles de Gaulle.
La première foire prit place à Marseille en 1803, sur le cours Belsunce, à l’initiative de 3 exposants. Elle connue rapidement un tel succès, qu’à partir de 1883, elle fut installée sur les allées de Meilhan, qui de nos jours sont devenues la Canebière. Après quelques années sur le Cours Estienne d’Orves dans les années 2000, la Foire aux Santons est revenue près de la Canebière, sur la place du Général de Gaulle. Le quartier du Vieux-Port accueille non seulement la Foire aux Santons, mais également le marché de Noël artisanal, sur les quais, aux pieds de la grande roue ! Son inauguration s’effectue après la Messe des Santonniers, prononcée en « lengo nostre », en haut de la Canebière, au sein de l’église des Réformés. Un défilé sur la Canebière s’effectue ensuite aux rythmes des tambourins.
Des santons labellisés
La trentaine de santonniers, installés dans des cabanes en bois, sont des artisans professionnels issus des anciennes familles de santonniers. Ils présentent aux amateurs leurs figurines aux pieds d’argile. En déambulant dans les allées, se dévoilent ces personnages de la Nativité, ainsi que tous les personnages de la crèche provençale. On trouve également sur cette foire, des santons qui ne figurent pas dans nos pastorales, mais qui représentent également la Provence, tels que les Arlésiennes en costume ou des joueurs de pétanque. Des animations, prévues tout au long de la durée de la foire, rendent ce moment particulièrement agréable, comme des spectacles de cracheurs de feu, des acrobates et également des groupes folkloriques provençaux qui animent les mercredis et les week-ends aux sons des Galoubets et Tambourins. Enfin, les mercredis, samedis et dimanches, l’Atelier des santonniers propose au public de découvrir la fabrication des santons.
Outre les petits santons peints, on peut trouver à cette foire des « santons habillés », en costume traditionnel, chacun portant les insignes de son métier. On peut également y acquérir les accessoires permettant de confectionner le décor traditionnel de la crèche : étable, puits, pont, étoile, papier rocher, papier ciel, mousse fraîche pour imiter l’herbe, etc…
Un label sous forme de panneau, crée par l’Association de la Foire au Santons et aux Crèches de Marseille atteste que le santonnier certifie que les santons, crèches et accessoires présentés sont fabriqués en Provence.
Fabrication des santons de Provence
Les premiers santons à l'argile rouge
Les premiers santons étaient confectionnés en mie de pain, mais petit à petit c’est l’argile rouge de Provence qui a été privilégiée pour la fabrication. Si les santons sont longtemps restés de fragiles créations en argile crue, la cuisson de l’argile s’est imposée un peu partout de nos jours.
Il existe de nos jours une forte concentration d’ateliers de santons entre Marseille, Aubagne, Aix-en-Provence, Arles ; les Bouches-du-Rhône en compte 62, et le Vaucluse 26 santonniers. Viennent ensuite le Var, avec 8, les Alpes-de-Haute-Provence avec 7 et les Alpes-Maritimes qui en comptabilisent 6 dans leur partie provençale. Les santonniers passent par sept étapes pour réaliser un santon. Ils réalisent, tout d’abord, un modèle dans l’argile crue, placé sur un socle qui fera partie du sujet. Ensuite a lieu la fabrication du moule coulé en plâtre. Le moulage se fait en pressant un colombin d’argile fraîche dans une moitié du moule qui a été talqué.
Après une pression à la main des deux parties, le surplus est ébarbé et le santon sorti du moule est mis à sécher. La dernière opération manuelle consiste en un ébarbage plus fin pour ôter toute trace de moulage. Puis le santon est remis à sécher avant d’être cuit dans un four à 800° C. L’ultime opération est la décoration qui se fait toujours à la main.
La fabrication des santons de Provence diversifiée
On en fabrique des grands de plus de 10 centimètres dont les bras sont collés après la cuisson et d’autres en fil de fer habillés de tissus dont seuls les mains et la tête sont en argile. La fabrication des santons qui sont habillés étaient à l’origine confiés à des familles qui confectionnaient leurs vêtements.
Des musées dédiés aux santons provençaux
On peut aussi citer, entre autres, l’écomusée du Santon, créé en 1987 à Fontaine-de-Vaucluse, qui regroupe environ 2000 pièces, dont une des plus petites crèches au monde, dans une demi-coque de noix, le musée du Santon au Val (Baux-de-Provence), le musée de la Crèche provençale à Cavaillon, le musée des Santons animés à Maussane-les-Alpilles et le musée du Santon Marcel-Carbonel de Marseille, qui regroupe plus de 2400 pièces de la fin du XVIIIe à nos jours et présente des pièces du monde entier.