- Auteur Jean Antoine Santiago
- Temps de lecture 6 min
Le musée des Gueules rouges de Tourves, mémoire des hommes, mémoire de la terre
L’histoire du Musée des Gueules rouges de Tourves racontée par un ancien mineur (Lucien) à de jeunes élèves et leur institutrice, en visite au musée. Transmission de la mémoire des hommes et de la terre par un dialogue intergénérationnel sur l’Histoire et le Patrimoine de l’humanité en Provence.
Le musée des Gueules rouges de Tourves est une belle histoire, inscrite au coeur du patrimoine d'un village typique de la Provence verte.
Elle est le fruit de l’acharnement et de la détermination, sans faille, d’une volonté populaire dans le sens le plus noble du terme. J’aurais voulu vous la raconter, mais je vais plutôt vous retranscrire l’échange auquel j’ai assisté dans le musée, un après-midi.
Visite du Musée des Gueules rouges de Tourves
Alors que je terminais ma visite, un groupe d’enfants était assis, en cercle, autour d’un monsieur, d’un certain âge. Ils étaient complètement absorbés par son récit. Mais que racontait-il ? Curieux, je m’approchai de l’adulte qui semblait les accompagner, une institutrice manifestement. Elle me chuchota alors qu’il s’agissait de Lucien, un ancien mineur de la Bauxite varoise, une Gueule rouge authentique !
Les enfants avaient l’air fasciné. Maryse, l’institutrice, m’a expliqué qu’ils avaient travaillé, en amont de cette rencontre, en classe, autour de la question des mines dans le Var. Pour les enfants, la mine était un lieu de magie, celui des sept nains de Blanche-neige, celui de la Moria, cité souterraine de Tolkien, celui des grottes préhistoriques, celui où les pirates cachent leur trésor… Lucien était une figure des mondes imaginaires qui venaient à leur rencontre, dans le monde réel. Il faut dire que ses cheveux blancs hirsutes, ses rides et son air malicieux y contribuaient un peu.
Transmission de l'histoire du Musée des Gueules rouges par la mémoire
Dialogue intergénérationnel entre Lucien, ancien mineur et Théo, jeune élève
Lucien a décrit ce qu’était une vie de mineur, comment il était lui-même devenu mineur à la suite de son père et de son grand-père, comment le travail de la mine avait changé en trois générations.
Il a dépeint la vie autour de Brignoles, longtemps rythmée par les mines et la vigne, comment les camions remplis de gros cailloux traversaient les villages créant des bouchons et des incidents des plus pagnolesques lorsqu’ils croisaient les gros tracteurs chargés de raisins au moment des vendanges.
Théo, un enfant aux joues rouges comme la bauxite, a demandé alors : « Mais ils sont où maintenant les mineurs ? Et les mines, elles ont disparu ? »
Lucien : la dernière mine a fermé en 1989. Les mineurs les plus jeunes sont partis chercher du travail ailleurs. Pour les plus anciens, comme moi, ça a été plus difficile… Et puis c’était tout un monde qui disparaissait avec les mines… Qui se souviendrait de nous ? De la vie de nos villages au temps des mines ? C’était un vrai chagrin, rien que d’y penser…
Et puis l’association Histoire populaire tourvaine, dès 1983, a commencé recueillir la mémoire des mineurs…
Théo, perplexe et spontané, coupe la parole à Lucien : recueillir ? Comme des légumes ?
Maryse (l’institutrice), gênée et d’un air réprobateur : Théo les légumes, on les cueille, les souvenirs, on les recueille !
Lucien : oh madame, ce n’est pas bien grave… Et puis Théo, n’est pas loin d’une certaine vérité. Les souvenirs, la mémoire, comme les légumes, ça se cultive, ça s’entretient, ça se conserve, pour nourrir les hommes, les femmes et les enfants. C’est pour cette raison que Histoire populaire tourvaine a collecté tant de souvenirs et de témoignages. En 1989, l’association a édité un livre, « Gueules Rouges » et organiser une exposition. Et nous, les mineurs encore présents, avons joué les guides. Le succès de l’événement a été retentissant. Pour de nombreux Varois, et pas forcément des mineurs, cette exposition et ce livre étaient aussi leur histoire. Qui n’avait pas eu un oncle, un amoureux, un ami « Gueule rouge » ?
En 1998, le livre a fait l’objet d’une deuxième édition, complétée, augmentée. Mais les plus anciens d’entre nous commençaient à retourner sous terre, mais définitivement, cette fois-ci (yeux médusés de Maryse, de Théo et de toute la classe). Alors, avec nos amis de Histoire populaire tourvaine, nous avons créé une nouvelle association, « Les Gueules Rouges » et nous nous sommes promis, que tant que l’un de nous vivrait encore, nous nous battrions pour qu’un musée des Gueules rouges sorte de terre. Nous sommes partis à la quête de nouvelles archives, de documents, d’outils du quotidien, de machines… Nous avons écumé les familles, les granges, les greniers et les garages pendant dix ans ! Nous avons réuni une belle collection, riche et unique… En 2007, le musée des Gueules rouges devient un projet intercommunal. Il sera inauguré et ouvert au public en 2012.
Avez-vous vu la reconstitution de la galerie ? On s’y croirait, non ?
Théo : ah oui… La lumière, la roche, l’ambiance, les bruits, on dirait vraiment qu’on est sous terre… Et en plus, on est descendu avec un ascenseur qui ressemblait trop à celui qu’on a vu en classe… C’était trop génial !
Lucien : tu as raison Théo. Et nous, les anciens de la mine, nous avons largement contribué à la création de cet outil pédagogique. Nous restons liés à la vie de ce musée. Nous animons des moments comme celui-ci, l’atelier « Rencontre un ancien mineur », destiné à tous les scolaires, du primaire au lycée. Savez-vous que le musée accueille chaque année plus de 1 600 élèves ? Ils viennent des communes voisines, mais aussi de la Dracénie toute proche ou, encore, des Bouches du Rhône.
Et nous participons à chaque grand rendez-vous, comme les Journées européennes du patrimoine ou la Nuit des musées.
Notre association réunit, aujourd’hui, plus de 180 membres, dont la moitié n’a jamais mis un pied dans une mine. Ce sont nos proches, nos familles, des amis, mais aussi de nouveaux Varois prêts à cultiver cette mémoire pour la transmettre à leur tour. Il n’y a plus de traces de ce passé minier dans nos paysages . Grâce à ce musée, les nouveaux arrivants dans le Var découvrent une part de l’histoire de ce territoire, dans lequel ils prendront racine.
Infos Pratiques :
Musée des Gueules rouges
Avenue de la Libération
83170 Tourves
04 94 86 16 04
Photo à la Une : Mine reconstituée du Musée des Gueules rouges à Tourves