- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 6 min
Le chemin des mots : panique, persiennes, strabisme
Pas de panique, on vous dit tout ! Tout au long de notre vie, nous apprenons et utilisons des mots sans parfois connaitre leur parcours, fruit de la lente évolution d’une racine très ancienne. Chronique bimensuelle sur l’origine de mots ou d’expressions françaises, plongeons aujourd’hui dans l’origine des mots « panique », « persiennes », « strabisme » et ses mythes.
Sur le chemin des mots, il en est un que nous n’avions plus l’habitude d’entendre, et pourtant… Partons à la découverte de l’origine des mots « panique », « persiennes », et du mythe autour du mot « strabisme ».
Parlons vocabulaire. Le vocabulaire du français s’est enrichi de mots d’origine étrangère. Une grande partie du vocabulaire français a pour origine le latin (80 % des mots !), le francique, le grec (pour les mots savants) et quelques mots d’origine gauloise, mais la langue française utilise fréquemment des mots qui ont une autre origine. Dans ces temps de Covid 19, avec des frontières plus ou moins fermées, des peurs plus ou moins avérées, il nous a paru intéressant de mêler nos pays en prenant des mots, des expressions qui nous lient, par leur origine, à la langue de nos amis de la péninsule italienne, histoire de se sentir plus proches….
Fouiller les mots pour en saisir le sens et s’enrichir de son sens, depuis son origine jusqu’à son usage actuel. Les comprendre, pour mieux comprendre ces mots qui sont part entière de notre patrimoine culturel français.
"Il n'est plus temps d'être sage quand on ne peut plus être fou." Pierre-Claude-Victor Boiste, Le dictionnaire universel (1800)
Selon une expression provençale, Mars (nom du dieu de la guerre dans l’Antiquité romaine) serait le mois des fous ! Mars est le mois de la fin de l’hiver, du début du printemps, des giboulées, du carême, de la Saint Patrick, de la taille de la vigne. Heureux donc les fous et les lecteurs de ProjecteurTV, ce média qui ne manque jamais d’ajouter, à ses articles, ce petit grain de folie qui fait danser la vie.
Pas de "panique", on vous dit tout !
Face aux virus, pourquoi pas le son d’une flûte de Pan ?
Panique ! Une sensation brutale de peur ou de terreur soudaine, incontrôlable, irraisonnée, face à un danger réel ou imaginaire. Le terme dérive du grec panikos qui signifie "relatif au dieu Pan". Pan est une divinité mythologique, mi-homme et mi bouc. Amoureux de la nature, il vivait dans les bois et passait ses journées à jouer de la flûte (dont il serait l’inventeur), et surtout à poursuivre les nymphes qu’il terrorisait à cause de son…. exubérance physique ! Il s’amusait aussi à effrayer les voyageurs et les bergers qu’il rencontrait dans les bois en lançant des hurlements terrifiants avec une grosse voix effrayante. Et ceux-ci tombaient en… panique.
L’écrivain Gabriele d’Annunzio a donné au sentiment de panique un sens plus poétique en l’interprétant comme une immersion totale dans la nature (Pan en grec signifie aussi Tout), un peu comme la vie menée par le dieu Pan. Le "Panisme" à la d’Annunzio est la capacité à se transformer en feuille parmi les feuilles, en gouttes parmi les gouttes de pluie, savoir devenir genêt ou écorce de pin, oublier le monde pour une immersion et une métempsychose totale. Quant à la définition véritable du terme "Panisme", c’est un concept géopolitique fondé par le géopolitologue Karl Haushofer à partir du concept de Pan-Ideen (nous l’avons dit, Pan exprime l'idée d'un tout en grec). Le panisme ou pan-idée est « une représentation géopolitique fondée sur une communauté d’ordre ethnique, religieuse, régionale ou continentale ». Il s’appuie sur trois éléments géographiques : la langue, la religion et l’appartenance au même continent.
En conclusion, il y a "panique", et "panique". La première est une maladie ancienne mais largement répandue dans les temps modernes. La seconde, c’est-à-dire, selon le poète, une plongée dans la nature. C’est celle que nous préférons. Ne pourrait-elle pas être la solution à cet état de peur irrépressible ?
"Pour vivre heureux, vivons cachés", une morale devenue proverbe, mais à considérer… avec modération
Les persiennes, de l’ancien adjectif persien, est un dispositif d'occlusion d'une fenêtre, un volet dont la partie pleine est remplacée, en partie ou totalement, par des lames inclinées, fixes ou mobiles. Les persiennes représentent un élément d’ameublement qui a résisté au temps et aux modes. Elles protègent les fenêtres de la pluie et du vent, laissant filtrer la lumière du soleil. Le terme "persienne" rappelle qu'ils ont été importés de Perse par des marchands vénitiens. Ce n'est pas un hasard si on appelle un produit similaire "store vénitien".
Il existe un autre terme pour définir ce type de menuiserie : jalousie, qui dérive exactement du sentiment homonyme car la "jalousie", employé dans le sens de persienne, serait née dans les cours d’Orient. Les sultans, jaloux de leurs femmes, demandaient aux artisans des agencements qui permettraient de regarder le monde extérieur, sans que les passants ne s'en aperçoivent. Un mode extrême de « protéger » les femmes de la maison, ce qui, à l’époque, ne scandalisait personne. Les anciens Génois de la belle Italie n’avaient rien à envier aux Perses. Chez eux, "la jalousie", (à la fois comme volet et comme sentiment), était très répandue. Le mot ligure Giöxîa se réfère précisément à la jalousie qui, dans un très lointain passé, incitait les maris génois à enfermer leurs femmes et leurs filles à l'intérieur de leurs maisons pour éviter qu'elles ne soient regardées par des œillades inopportunes, dans la crainte que quelque étranger ne les séduise !
Le "strabisme" de Vénus, un outil de séduction
Strabisme provient du grec strabos, qui signifie louche, étrange, bizarre. Le strabisme est un trouble à l'écart des yeux des axes visuels provoqués par un mauvais fonctionnement des muscles oculaires. Mais le "strabisme de Vénus" tel que le baptisent les Italiens, plus qu'une pathologie clinique, est un outil de séduction. Vénus est en effet la déesse de la beauté et de l'amour. Mariée au moche (mais patient) Vulcain, elle eut beaucoup d'aventures extraconjugales avec d'autres dieux et de chanceux communs mortels. La légende dit que son regard envoûtant et fascinant pouvait séduire n'importe qui.
Et il semble que tout naissait précisément de ce défaut : un imperceptible strabisme, un œil qui "regardait un peu plus à l'extérieur" que l'autre avec le résultat d'un regard un peu perdu... Qui pourtant faisait et fait toujours rêver. Même Botticelli, dans sa célèbre peinture "La naissance de Vénus", a saisi ce regard… enchanteur. Charmant défaut qui montre que la beauté n'est pas la perfection. D’ailleurs, l’actrice Scarlett Johansson possède ce strabisme de Vénus. L’imperfection est donc bien plus intrigante que la perfection. Pauvre Vénus, si pleines de défauts car elle avait aussi… des fossettes dans le dos ! A bon entendeur…
Photo à la Une : Dormeuse aux persiennes, Pablo Picasso (1936) - Huile sur toile © Succession Picasso