- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 10 min
L’histoire du canal de Marseille, source d’une eau si précieuse en Provence
« Si l’eau devait avoir une mémoire, elle aurait beaucoup à nous apprendre surtout à Marseille ». Voici l’histoire du Canal de Marseille, source d’une eau si précieuse en Provence, qui prend date le 18 juillet 1834. Plusieurs axes de ce canal existent tout autour du merveilleux Château de la Buzine acheté par Pagnol adulte.
Les habitants de Marseille et des communes environnantes sont très attachés à leur canal. Il fait désormais partie de leur patrimoine. Plusieurs tracés de ce canal de Marseille existent tout autour du merveilleux Château de la Buzine acheté par Pagnol adulte, ‘Le Château de ma mère’. Une partie, arrivant des Trois Lucs, passe à La clue, puis à La Treille, près du cimetière où reposent Marcel Pagnol et sa mère. C’est en parcourant les rives du canal sur le chemin des vacances que la famille Pagnol passait devant le château. Par ce chemin, le trajet était bien moins long, mais combien terrifiant pour la maman du jeune Pagnol.
Le canal de Marseille, un canal pour que le rêve devienne réalité en Provence
‘’Mais dans les bras d'un églantier, sous des grappes de roses blanches et de l'autre côté du temps, il y avait depuis des années une très jeune femme brune qui serrait toujours sur son cœur fragile les roses rouges du colonel. Elle entendait les cris du garde, et le souffle rauque du chien. Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle se savait pas qu'elle était chez son fils". (Marcel Pagnol-Le château de ma mère)
« Si l’eau devait avoir une mémoire, elle aurait beaucoup à nous apprendre surtout à Marseille »
Ainsi débute ce petit film de 8 minutes de Bernard Billois présenté au Musée d’Histoire de Marseille, sur la construction, au 19e siècle, de cet ouvrage majeur qui achemine l’eau de Marseille : Le Canal de Provence.
Souvenons-nous de la Manon des Sources de Pagnol. Depuis l’antiquité, l’eau pouvait être rare à Marseille, surtout l’été. Les deux cours d’eau, le Jarret et l’Huveaune, devenaient minces et de nombreux puits se tarissaient. Nous sommes en 1834. La population augmente de plus en plus mais l’eau disponible reste toujours la même : 12 litres par jour par habitant, et la sècheresse contraint l’armée à garder l’Huveaune. Trois épidémies de choléra se succèdent en moins de deux ans. Chacun reconnait que l’essor de Marseille est conditionné par la présence d’une eau en abondance, pour ses habitants, pour l’agriculture et pour les industries naissantes. L’idée d’un canal pour amener les eaux des Alpes à Marseille est ancienne. Depuis le XVIe siècle, les projets se sont succédés : Adam de Craponne, puis Jean-André Floquet puis Hyacinthe Barella et Charles Bazin ont tous imaginé son tracé idéal. Maximin Consolat (1785-1858), le maire de Marseille qui étudie cette question de longue date prend, le 18 juillet 1834, la décision de construire le canal de Marseille. L’entreprise s’annonce longue, techniquement coûteuse et complexe.
La construction du canal de Marseille, une décision irrévocable
Mais pour Consolat, l’exécution du canal est une décision irrévocable. Quoiqu’il en coûte, le canal s’exécutera. Comment franchir les collines et les vallées, de quel débit Marseille aura-t-elle besoin, quel sera le coût final ? Sous le titre "Canal de Marseille", la gazette du Midi relate dans son édition du 4 septembre 1834 :
« La question du canal de Marseille, si longtemps entravée par des prétentions contraires et surtout par l’exigence des capitalistes, commence enfin à s’éclaircir. En se bornant à demander un volume d’eau proportionné aux besoins réels de la ville et de son territoire, et réduisant ainsi le canal à de justes proportions, le conseil a diminué les travaux et la dépense, et gagné beaucoup de temps pour l’achèvement du canal. La question, comme nous l’avons exprimé dans notre édition du 10 août dernier, se présente ainsi sous un jour tout nouveau. M. le vicomte de Barrès qui, le premier, a proposé cette réduction, poursuit activement son projet. En attendant que ses collaborateurs et lui-même soient à même de le produire dans tous ses détails, nous pensons qu’on ne lira pas sans intérêt la lettre suivante de M. de Barrès au Conseil municipal…. La nécessité du canal est maintenant trop bien reconnue à Marseille, l’importance du bon confectionnement des travaux est trop bien appréciée pour que nous ne fassions pas connaître tout ce qui peut, sur ce point, éclairer l’opinion publique. »
Devant tant d’interrogations et de rapports contradictoires, deux années vaines se sont écoulées. Las, les élus de Marseille demandent le concours des Ponts et Chaussées.
Frantz Mayor de Montricher
L’ingénieur en chef cautionne un jeune ingénieur suisse, Frantz Mayor de Montricher (1810-1858), qui reprend l’étude d’un tracé. Le projet enthousiasme aussitôt le conseil municipal. La loi du 4 juillet 1838 autorise la Ville de Marseille à prélever 5,75 m3 d’eau à la Durance et à construire son propre canal. En 1839, sous la conduite de Montricher, débutent les travaux du plus vaste chantier qu’ait connu la Provence : 84 kilomètres de canal à tracer, à construire et à creuser avec une pente moyenne de 33 cm par kilomètre, soit un dénivelé de 27 mètres entre la Durance et Marseille. Le tracé prévoit 52 souterrains, totalisant 17 kilomètres. 18 ponts aqueducs à plusieurs arches et 220 ouvrages d’art. La municipalité de Marseille lève un emprunt de 10 millions de francs mais les projets définitifs annoncent une forte augmentation qui nourrit les détracteurs. L’ingénieur Montricher est tout à la fois chef du chantier, passeur de marchés, responsable des embauches de milliers d’ouvriers et aussi communicant. En 1841 il invite une poignée d’hommes de presse à parcourir la ligne du canal.
Parmi eux, l’écrivain Joseph Mèry prononce à l’Académie un discours vibrant à la gloire du plus grand chantier français des années 1840. Sa déclaration emporte l’adhésion des Marseillais :
« Marseille aura doté la France d’une de ses œuvres imposantes qui font l’admiration du temps présent et des siècles à venir. C’est qu’en effet, au point de vue de la science appliquée à l’art des constructions, les travaux du canal de Marseille ont encore une fois mis l’intelligence humaine aux prises, tantôt avec les forces les plus vives, tantôt avec la plus grande énergie des obstacles naturels, et partout l’intelligence humaine a remporté, dans cette lutte, une victoire brillante et complète. »
Le chantier, structuré en six divisions, présente tous les écueils. Première difficulté, la prise d’eau de la Durance en aval du pont de Pertuis. Malgré quatre années d’observation des caprices de la rivière, une crue en novembre 1843 dévaste le chantier. Seconde difficulté, le souterrain des Taillades : 3675 mètres à creuser dans des roches trop dures ou trop friables, dangereuses pour les ouvriers. Mais surtout, les premiers puits révèlent une nappe phréatique très abondante que les hommes, les chevaux et les machines les plus puissantes ne peuvent assécher. On en viendra à bout par le percement de galeries supérieures pour évacuer l’eau par gravité. 7 années d’efforts continus pour de nombreux ouvriers, des familles entières pour la plupart immigrées. Plus en aval, le canal de Marseille doit franchir la vallée de l’Arc à 82 mètres au-dessus de la rivière sur un pont aqueduc. Cet ouvrage mobilise une armada de 280 tailleurs de pierre à ses carrières et plus de 900 ouvriers pour sa construction.
Le monument de tous les records pour la construction du canal de Provence
Le pont aqueduc de Roquefavour qui s’inspire de l’antique Pont du Gard est le monument de tous les records : 375 mètres de long, 82,50 mètres de hauteur, 3 rangées d’arcades, 45 000 m3 de pierres taillées dont certaines pèsent 15 tonnes ; 7 années d’un monumental chantier. Le 30 juin 1847, l’eau franchit enfin la vallée de l’Arc pour atteindre Marseille avec l’accueil que l’on imagine. La Nouvelle du Midi titre : "Marseille, 6 juillet. Le Conseil Municipal dans sa séance d’hier a décidé que l’inauguration de l’arrivée des eaux du canal à Marseille aurait lieu jeudi prochain à St Antoine. Toutes les autorités civiles et militaires seront invitées à assister à cette cérémonie qui a été fixée à quatre heures et demie du soir. L’autorité ecclésiastique a été appelée à donner à cette grandiose création la consécration religieuse. A sept heures aura lieu un banquet de cent couverts dans la grande salle de l’Hôtel de Ville. MM. Abeille, Lagarde et Rambaud ont été chargés avec Mr le Maire par intérim de présider aux préparatifs de la fête."
Apothéose monumentale
Dix ans plus tard les élus marseillais veulent convaincre de la fin de la pénurie d’eau en consacrant les efforts accomplis sous forme d’apothéose monumentale. C’est ainsi que sous Napoléon III la ville de Marseille réunit sous le nom de Palais Longchamp, le château d’eau, le musée des Beaux-Arts et le musée d’Histoire Naturelle. L’œuvre est signée de l’architecte Espérandieu.
Aux pieds de trois allégories féminines, la Durance, le blé et la vigne, l’eau se déverse sous les sabots de quatre taureaux et s’écoule en cascade dans deux bassins successifs pour s’offrir aux habitants de Marseille et de la Provence.
Le canal se prolonge dans la commune en plusieurs dérivations au bénéfice du plus grand nombre. Sur les hauteurs, les bastides profitent de sa générosité. Jardins et cultures sont irrigués au point de transformer le paysage par l’exubérance des feuillages qui fournissent une ombre rafraîchissante l’été. L’eau désormais en abondance est chargée des éléments de la Durance. Montricher avait bien prévu l’aménagement de bassins de décantation mais ils se remplissent rapidement de vase. D’autres bassins de plus grande importance à Rialtor et à St Christophe afin d’obtenir une meilleure qualité de l’eau, puis enfin à St Barnabé. L’énergie produite par l’eau profite aux usines qui se sont installées à proximité du canal. On en dénombre plus de 90 au tournant du siècle mais les eaux industrielles retournent au canal avec de graves risques de pollution. La municipalité décide donc de séparer en deux le réseau d’eau, l’un pour l’industrie et la voirie, l’autre pour la consommation des habitants. Un pavillon de partage des eaux, aux Chûtes Lavies, préfigure le réseau de distribution moderne du 20e siècle. La qualité importe autant que la quantité. Désormais l’eau coule en abondance à Marseille. En ce début de siècle, pas un boulevard, pas une rue, pas un immeuble n’échappe aux travaux d’adduction. Si les habitants s’habituent à avoir l’eau disponible dans les étages, les fontaines, quant à elles, continuent à recevoir confidences et bavardages. Ah, si l’eau de Marseille pouvait avoir une mémoire, elle pourrait nous compter bien des histoires.
Souvenons-nous du travail des hommes et respectons ce bien si précieux, indispensable, rare, dont bien des populations sont encore privées.