- Auteur Mathieu Houllière
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Le jour où Frédéric Chopin joua de l’orgue à Marseille
Le compositeur et pianiste virtuose Frédéric Chopin a séjourné brièvement à Marseille du 24 février au 22 mai 1839. Gravement malade lors du trajet qui le ramène des Baléares, il profite de son passage dans la cité phocéenne pour se soigner auprès du docteur Cauvière, alors l’un des meilleurs médecins de l’époque au monde. Un passage éphémère qui l’amènera à se produire à Notre-Dame-du-Mont. Retour sur cette histoire méconnue.
Le jour où Frédéric Chopin joua de l'orgue à Marseille, 24 avril 1839. Une émulation inhabituelle règne devant Notre-Dame-du-Mont. Sur le parvis de l’église du 6ème arrondissement, la foule se presse et s’arrache les billets pour assister à une représentation unique, extraordinaire : Frédéric Chopin, le génie franco-polonais, va se produire dans quelques instants à l’intérieur de l’édifice. « Le prix des chaises pour assister au concert a été triplé pour l’occasion, sa réputation n’était déjà plus à faire », raconte Jean-Pierre Cassely, guide-conférencier et auteur de nombreux guides dans la région. Frédéric Chopin a pourtant horreur de se produire en public. Le pianiste souffre d’un trac maladif qui l’ont amené à dire à son ami Franz Liszt :
« Je ne suis pas propre à donner des concerts, moi que le public intimide, qui me sens asphyxié par ces haleines, paralysé par ces regards curieux muet devant ces visages étrangers. »
Alors comment Frédéric Chopin s’est-il retrouvé là, en concert à Marseille ?
Éloge funèbre pour Adolphe Nourrit
Quelques jours plus tôt, Adolphe Nourrit décède à en Italie. Le célèbre ténor se défenestre à Naples pour « avoir raté son air », raconte Jean-Pierre Cassely avant de poursuivre : « Adolphe Nourrit avait énormément de succès à Marseille à l’époque. Si bien qu’un éloge funèbre est organisé à Notre-Dame-du-Mont. Les mélomanes marseillais décident alors de se ruer sous le balcon de Frédéric Chopin pour l’inviter à jouer dans l’église ». Le virtuose séjourne à l’Hôtel Beauvau avec sa compagne George Sand. Voici déjà plusieurs semaines que Frédéric Chopin est en convalescence à Marseille. De retour des Baléares, il souffre de tuberculose et n’a d’autres choix que de faire une halte sur la Canebière, malgré l’aversion de George Sand pour la capitale du Sud.
« Toute la racaille littéraire me persécute et toute la racaille musicale est aux trousses de Chopin. Je m’ennuie de cette ville de marchands, d’épiciers… », écrira-t-elle.
Le pianiste y consulte le docteur Cauvière, l’un des plus grands spécialistes de la tuberculose à l’époque. Devant l’insistance des Marseillais, Chopin accepte, plus par contrainte que par réelle envie. Il y joue, à l'élévation, "Les Astres" de Schubert, l’un des airs favoris de Nourrit. L’orgue est de très mauvaise facture. À la fin des obsèques, Frédéric Chopin se rapproche du curé et lâche « cet orgue ne vaut rien, vendez-le ». L’orgue sera revendu à la commune d’Eyguières quelques années plus tard. Là non plus, l’instrument n’est guère apprécié, et sa tuyauterie sera revendue un peu plus tard. Ce n’est qu’en 2007 que l’instrument est entièrement restauré par le facteur d’orgues Pascal Quoirin. Il est remplacé en 1847 par un grand orgue Ducroquet, complété en 1895 par la maison Mader-Arnaud de Marseille. Voué au silence à partir de 1970, l'orgue est une dernière fois restauré et inauguré à nouveau en 2010 après quarante années de silence.
Retour à Paris de Frédéric Chopin et George Sand
De cette représentation exceptionnelle, ne reste aujourd’hui qu’une plaque commémorative sur la façade de l’Église. Quelques jours plus tard, George Sand et Frédéric Chopin quittent la ville, la Cité Phocéenne pour Paris. L’aversion des deux artistes pour Marseille disparaît dans leur sillage. Dans « L’Histoire de ma vie », George Sand écrira finalement à propos de la cité phocéenne :
« Marseille est une ville magnifique, qui froisse et déplaît au premier abord par la rudesse de son climat et de ses habitants. On s’y fait pourtant car le fond de son climat est sain et le fond de ses habitants est bon ».
Tout est dit.