- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 11 min
Giovanni Domenico Cassini, un astronome italien sous le ciel français
Au milieu du XVIIe siècle nait en Italie l’un des plus grands astronomes de l’histoire. Plus tard naturalisé français, Domenico Cassini a passé sa vie à la cour des rois et dans les coupoles d’observation. Il a découvert, entre autres, les lunes de Saturne, Iapetus, Rhea, Tethys et Dione, et la division dans ses anneaux maintenant connue comme la division Cassini, qu’en son nom la sonde de la NASA est récemment allée rejoindre.
Le 8 juin 1625 nait en Ligurie Giovanni Domenico Cassini, astronome et ingénieur. Professeur à l'Université de Bologne, il est attiré en France par Colbert en 1669, s'y fait naturaliser et est reçu membre de l'Académie des sciences, fondée deux ans plus tôt. Il dirige, à la demande de Louis XIV, l'Observatoire de Paris. Il meurt en 1712, à l’âge de 87 ans.
Il est évidemment intéressant dans cette chronique italienne, de redonner vie, pour nos lecteurs, à des personnages ou des faits importants. Les replacer dans leur contexte permet de mieux les percevoir.
Rapide incursion dans l’Italie du XVIIe siècle
Au XVIIe siècle l’Italie vit la phase initiale d’un lent processus de transformation qui commence par un moment de déclin politique, économique et spirituel. Ce n’est plus l’âge d’or de la Renaissance mais des hommes l’ont marqué de leur empreinte parmi lesquels : Galilée, Le Bernin, sculpteur, Monteverdi, compositeur, Campanella, moine et philosophe, Sarpi ; historien, érudit, scientifique, patriote vénitien et auteur, notamment, d'une histoire du concile de Trente etc. Il existe également d'importantes réalisations culturelles - comme l'extraordinaire floraison du baroque.
L'Italie de ce XVIIe siècle, c'est un temps de folle effervescence de la création musicale qu'on pourrait presque résumer par deux mots-clés : l'opéra et le violon. À Venise, à Rome puis à Naples, opéras, mais aussi cantates et oratorios, sortent à la chaîne.
Au XVIIe siècle, le voyage en Italie n'est pas encore pour les artistes l'institution qu'il deviendra par la suite. Il est le rêve d'un apprentissage, d'une jeunesse, parfois de toute une vie. Il est une référence, une nécessité pour qui veut se former, pour qui désire se faire un nom dans son pays. Il est une fascination pour des terres qui ont vu fleurir la civilisation romaine et s'épanouir la Renaissance. Il reste toujours une aventure, une source d'émerveillement.
En 1633, Galilée, âgé de 70 ans est condamnée personnellement et contraint par l’église à abjurer l’héliocentrisme. La condamnation est prononcée par le pape Urbain VIII en personne. Ce n’est que dans les années 1990, que l’église catholique signifiera sa repentance mais Galilée n’est toujours pas officiellement réhabilité à ce jour.
C’est pendant cette période qu’arrivent à Paris des peintres, des architectes, des scénographes, des compositeurs et des chanteurs venant de Bologne, de Modène, de Venise, de Florence ou de Rome. Le succès qu’ils recueillent dès 1645 dans la principale ville du royaume et dans d’autres lieux de résidence de la cour est généralement remarquable et l’influence exercée par certains d’entre eux va parfois se révéler durable et gagner d’autres pays européens.
Giovanni Domenico Cassini
De la Ligurie aux étoiles, en passant par Paris
La famille Cassini est une famille d'origine italienne naturalisée française ayant compté parmi elle une lignée père-fils de quatre astronomes et cartographes renommés (numérotés de I à IV par les généalogistes), faits comtes d'Empire puis pairs de France. On leur doit entre autres de nombreux travaux d'astronomie ainsi que la réalisation de la carte de Cassini.
Giovanni Domenico Cassini naît à Perinaldo, petit village ligure au-dessus de San Remo, d’un père Toscan, mais il grandit auprès d’un oncle, frère de la mère Giulia Crovesi. Il fréquente l’école des Jésuites à Gênes, à l’Abbaye de Saint Fruttuoso, et montre un grand intérêt pour les mathématiques, l’astronomie et la poésie. Il étudie l’astrologie et se convainc, en lisant Pico della Mirandola, qu’il n’y a aucun fondement scientifique dans les prévisions astrologiques. Pourtant, c’est grâce à ces mêmes connaissances qu’il obtient une charge du Marquis Cornelio Malvasia qui l’invite en 1644 à Bologne, au Nouvel Observatoire de Panzano. Avec les nouveaux instruments qu’il apporte à l’observatoire, Cassini débute les observations, guidé par les Jésuites Giovanni Battista Riccioli et Francesco Maria Grimaldi (qui découvrit la diffraction). En 1650, il est nommé professeur de mathématiques et d’astronomie à l’Université de Bologne à la chaire laissée vacante par la mort de B. Cavalieri.
En 1652-53, il observe une comète et en décrit l’orbite. Il croit alors en un système géocentrique, remplacé en 1659 par le système Tycho Brahe, avec le Soleil et la Lune en orbite autour de la Terre et les autres planètes autour du Soleil. Ce n'est que plus tard qu'il adopte, mais à contrecœur, le modèle Copernicien. En 1653, il construit un nouveau gnomon (une ligne méridienne) dans la basilique San Petronio à Bologne, pour remplacer celui conçu en 1576 par Egnazio Danti, l'un de ses prédécesseurs à la chaire d'astronomie, qui n'était plus utilisable en raison de changements faits par l'église. Ses calculs sont extrêmement précis et les observations avec le nouveau gnomon, publiées en 1656 et dédiées à la reine Christina de Suède, le rendent célèbre. Outre l'astronomie, il s'occupe des problèmes de génie hydraulique, notamment en résolvant, pour le compte du pape Alexandre VII, un différend entre Ferrare et Bologne sur le cours du Rhin, ce qui fait de lui un consultant papal pour les problèmes de gestion des cours d'eau. Il écrit un traité sur les inondations du Pô et combine également la fonction de directeur de la construction des fortifications de Pérouse.
Le Refus d’entrer en religion de l'astronome
Le pape Alexandre VII qui l’estime énormément, lui demande d’entrer dans les ordres et de déménager à Rome, mais il refuse préférant rester à l’Université de Bologne pour poursuivre ses recherches. Il propose un modèle de réfraction atmosphérique incorrect, fait une étude intense du Soleil et découvre de nouvelles comètes. À partir de 1664, il fait construire un nouveau télescope puissant par un excellent fabricant, le romain Giuseppe Campani. Il mesure ainsi la période de rotation de Jupiter autour de son axe, découvre ses taches et rayures sombres et l'aplatissement aux pôles. En 1666, il se consacre à Mars, mesure avec précision la période de rotation et décrit sa surface. En 1668, observant les satellites de Jupiter, il constate des décalages dans les périodes, qu'il attribue au début à une vitesse finie de la lumière et au temps de dix ou onze minutes qu'il faut pour traverser le demi-diamètre de l'orbite terrestre mais ensuite, trouvant l'hypothèse trop audacieuse, il cherche d'autres explications. Sept ans plus tard, Rømer utilisera les données de Cassini pour déterminer la vitesse de la lumière.
Domenico Cassini à la Cour du Roi Soleil
Ses observations lui valent une renommée internationale et, en 1668, il est invité par Louis XIV à Paris, où un nouvel observatoire est en construction, avec l'offre d'un excellent salaire, d'un logement et d'un voyage payé, autorisé par le Sénat bolognais et par le pape Clément IX pour un séjour qu'il pense très court. Impliqué dans les travaux de l'Académie des sciences et après sa nomination à la tête de l'Observatoire en 1671, il change d'avis et deux ans plus tard, prend la nationalité française avec le nom de Jean-Dominique Cassini.
En 1674, il épouse Geneviève de Laistre. Elle porte avec elle, en dot, le château de Thury dans l’Oise qui deviendra la résidence d’été de la famille pendant plusieurs générations. Ils ont deux enfants dont le plus jeune, Jacques, lui succèdera en 1677 à la tête de l’Observatoire. À Paris, il fait de nouvelles découvertes parmi lesquelles : les lunes de Saturne, Iapetus, Rhea, Tethys et Dione et la division dans les anneaux de Saturne maintenant connue comme la division Cassini. Il donne une explication correcte de la nature des anneaux et dessine une carte de la Lune en 1679 qui restera inégalée jusqu'à l'utilisation de la photographie astronomique.
Ses tableaux des lunes de Jupiter ont été utilisés pour avoir une référence absolue du temps avec lequel comparer l'heure locale dans les différentes parties de la Terre et ainsi déterminer la longitude du lieu. Alors que les expéditions françaises appropriées pour la mesure de la longitude se sont rendues à Cayenne, en Guyane française, Cassini est resté à Paris pour coordonner et traiter leurs données. Jean Richer de Cayenne et Cassini à Paris, mesurant Mars, a obtenu la première valeur précise de la parallaxe solaire et donc l'estimation de la distance Terre-Soleil.
En 1680, pour décrire le mouvement relatif de la Terre et du Soleil, il étudie la courbe cassinienne, lieu de points dont le produit des distances de deux points fixes est constant, qu'il propose comme trajectoire des orbites planétaires à la place de l'ellipse de Kepler (la lemniscate de Bernoulli appartient à la même famille de courbes, mais a été découvert 100 ans plus tard).
Sa santé se détériore rapidement à partir de 1711, devenant pratiquement aveugle, comme beaucoup d’autres astronomes. Grâce à son caractère et ses fortes convictions religieuses, il supporta avec résignation et tranquillité jusqu’à la fin, le jugement controversé de ses œuvres. Il meurt à Paris, en pleine gloire, en 1712. Cassini est enterré à l'église Saint-Jacques du Haut Pas, à Paris. Le souvenir en est conservé par une simple plaque, au pied de l'autel.
La ville natale de Giovanni Domenico Cassini, Perinaldo, lui a consacré un musée fondé en 1997. On trouve sa statue à l’Observatoire de Paris. Une erreur dans la gravure sur le socle fait apparaitre 8 janvier pour la naissance de Cassini alors qu’il s’agit bien du 8 juin.
Saturne
Ses plus éclatants succès concernent Saturne, dont seul le premier satellite, Titan, avait été découvert par Huyghens (1655). Cassini en trouvera quatre autres (en 2007, on en dénombrait près de 60, hors des "poussières" constituant les anneaux), et révèlera des divisions dans l'anneau ; aussi la plus importante est-elle nommée en son honneur, division de Cassini.
Une sonde spatiale de la NASA, baptisée Cassini, est lancée le 15 octobre 1997 de Cap Canavéral. Après plusieurs années dans l’espace sidéral, elle commence sa mission et envoie les plus belles images du système saturnien : Saturne et ses lunes. La mission s’achève le 15 septembre 2017 quand la sonde plonge dans l’atmosphère de Saturne. Giovanni Domenico Cassini a rejoint son étoile.