- Auteur Philippe Dejardin
- Temps de lecture 10 min
Coaraze : village au patrimoine culturel singulier, village du soleil
Coaraze est un village connu dans le monde entier comme celui des cadrans solaires mais pas que … Vous vous rendrez compte en lisant cet article, que la culture et ses échanges annexes sont bien ancrés dans son histoire.
Coaraze, situé dans la vallée du Paillon, est l'un des plus beaux villages perchés du moyen pays niçois appelé le village du soleil, réputé pour son histoire, son patrimoine et ses cadrans solaires !
L'histoire poétique de Coaraze
Coaraze a d’abord été une terre d’expérimentation pour la poésie et les arts plastiques par la faute de deux hommes, deux voisins mais également poètes, Paul Mari d’Antoine (étudiant en philosophie) et Jacques Lepage, son aîné de vingt ans, critique d’art qui organisait des Rencontres entre poètes, écrivains, peintres dans une ancienne ferme de la vallée du Paillon où il invita Paul.
Sa poésie fut très appréciée par les jeunes loups des arts plastiques du moment, Klein, Arman, Raysse et Ben. .Cela a commencé au début des années 50 avec ce « Club des jeunes » créé à Nice par le premier et animé par le second où vont se côtoyer et défiler des personnes – alors inconnues- mais qui contribueront à la vie intellectuelle et artistique de Nice - dans les années 60 (et même après) et pour quelques unes, bien au-delà. (Marcel Alocco, Daniel Biga, JM Le Clezio, Ernest Pignon-Ernest, Robert Rovini, Michèle Cotta.
Même si son activité professionnelle était à Nice, Paul Mari n’oubliait pas ses racines à Coaraze et en 1953, il se lança dans la course des municipales dans son village natal. C’est ainsi qu’il se retrouva être le plus jeune maire de France, poète, bien décidé à faire avancer sa commune, amener l’eau dans toutes les maisons, ouvrir une route pour la désenclaver, en fait l’ouvrir au monde. Il multiplia les actions pour faire monter ses amis artistes au village, les faire rencontrer la population, ses amis. C’est ainsi que le « Club des jeunes » de Nice prit ses quartiers d’été à Coaraze, que les Rencontres poétiques de Jacques Lepage – présidées par l’illustre Jean Cocteau s’y retrouvèrent à la période estivale. La navigation culturelle entre Nice et Coaraze était lancée et les échanges poétiques s’étendirent très rapidement à la francophonie avec les belges, les suisses et les canadiens mais également avec l’Occitanie.
L’idée des cadrans solaires de Coaraze
Le jeune maire découvrit dans une revue très sérieuse que son village était considéré comme le plus ensoleillé de France! Il décida d’organiser un salon sur les cadrans solaires et d’en installer un pour donner l’heure en permanence. Une idée qui déclencha l’enthousiasme de Jean Cocteau ! Le projet ne porta pas sur deux ou trois mais bien sur douze et c’est lui qui s’y engagea le premier.
Il imagina et définit les dimensions tandis que la réalisation de cadrans – en carreaux de céramiques- fut confiée à Gilbert Valentin, le céramiste de Vallauris. Henri Guetz, le peintre-graveur, fasciné par l’architecture du village, quelques autres peintres qui y habitaient ou y séjournaient régulièrement complétèrent ce premier groupe.
Rien ne fut laissé au hasard, l’Observatoire de Nice fut consulté pour fournir des indications très précises sur l’orientation des cadrans qui fonctionnent parfaitement en donnant … l’heure solaire!
Les six premiers installés en 1961 furent Les lézards de Jean Cocteau (car le lézard à la queue coupée – coa rasa- est l’emblème de Coaraze) Les Tournesols de Gilbert Valentin , La chevauchée du temps de Mona Christie, Les Animaux fabuleux de Georges Doukin ( ceux là sur la façade sud de la mairie – place du Portal) , Le Piton et sa couronne vert et or d’Henri Goetz et Blue Time d’Angel Ponce-de-Léon, sur le mur du château, place de l’église.
Le projet s’arrêta quelques décennies avant le retour en 2005, dans son village, de Paul Mari d’Antoine qui réussi à convaincre le maire Michel Péglion (2003-2008) d’aller au bout. Il choisit lui-même les artistes d’une autre génération tout comme pour le céramiste de Vallauris, Michel Ribero. C’est ainsi que sont apparus en 2007 les derniers cadrans Le village de Coaraze de Fabienne Barre, Vénus de Sacha Sosno & Lo tempo passa, passa-lo Ben de Ben, celui sans nom d’Henri Maccheroni, La journée d’un artiste de Patrick Moya (2008) . Le dernier des douze prévus sera celui de Bernard Pagès. Avec Pagès, on ne peut pas échapper aux événements dans les arts plastiques qui ont secoué le village.
Coaraze, terre d’expérimentation des arts plastiques...
Le premier événement culturel marquant eu lieu en juillet 1963 avec le 1er concert-happening du mouvement Fluxus avec Benjamin Vautier dit Ben, Erébo, Bozzi et Maciunas à l’occasion du Fluxus Festival Art of Total Art de Nice!!
Connaissez-vous ce mouvement Fluxus qui effectua une tournée en Europe au début des années 60 et qui eu des antennes en Allemagne, Suisse et France?
Il est présenté comme un rejet systématique des institutions avec une profonde remise en question de la notion d’œuvre d’art., une sorte de circuit parallèle à la culture officielle.
Mouvement artistique initié aux USA par Georges Maciunas qui fut aussi l’inventeur de cette appellation. Il concerne aussi bien les arts visuels que la musique et la littérature et se concrétise à travers des concerts, des évents, livres, revues et confection d’objets. Il questionne sur le statut de l’œuvre d’art, le rôle de l’artiste et la place de l’art dans la société notamment. Pour cela on utilise l’humour et la dérision.
Le premier festival eu lieu à Wiesbaden en Allemagne et les concerts déclenchèrent de vives réactions. Suivirent Copenhague et Paris (1962) puis Dusseldorf, Amsterdam, La Haye et Nice., considéré comme l’un des plus importants .
Entre 1960 et 1970, les activités de Fluxus en France se concentrent principalement à Nice, autour de Ben et de ses compères Robert Bozzi, Georges Brecht, Robert Fillou, Marcel Alocco, Robert Erebo & Serge Oldenbourg dit Serge III. C’est Ben (Benjamin Vautier) qui fit venir le fondateur Maciunas en juillet 1963 pour ce qui est considéré comme l’un des plus importants festivals de la mouvance Fluxus et Coaraze y a participé.
Quelques années plus tard (1969)le village de Coaraze sera à nouveau au cœur de la naissance d’un autre mouvement artistique, celui de« Supports/ Surfaces » crée dans le sud par le montpelliérain Vincent Bioulès. Un mouvement que l’on peut qualifier d’éphémère de part sa durée (moins de trois ans) mais qui fut l’un des groupes fondateurs de ce que l’on appelle l’art contemporain que ce soit pour la peinture ou la sculpture.
Ses adeptes choisissent de travailler des matériaux banaux et rejettent la toile tout comme le cadre pour s'intéresser à des « supports » du quotidien
Croirez-vous au hasard si nous vous indiquons que cette première exposition – en plein air- dans les ruelles du village se déroula en juillet, le même mois que le happening de Fluxus, six ans plus tôt?
Les artistes à l’origine de cet événement se nomment Claude Viallat, Bernard Pagès, Patrick Saytour et Daniel Dedeuze et figurent dans les pionniers du mouvement.
Que dire de ce qui était annoncé comme un spectacle théâtral le doublé d’un happening pour le moins surprenant le 20 septembre de cette même année 1969 proposé par Pierre Pinoncelli et la troupe des Vaguants Meurtre rituel du cochon? Que ce happening plutôt provocateur, annoncé dans les quotidiens régionaux, nationaux et même ceux de nos voisins européens a été interrompu par les gendarmes qui ont également arrêté l’artiste s’apprêtant à tuer en direct un cochon sur la place de l’église alors que ce geste est interdit par la loi en dehors des abattoirs… Pinoncelli est un récidiviste des happenings controversés, pas un novice dans la provocation exagérée, il avait aspergé de peinture rouge le ministre de la Culture de l’époque, un certain André Malraux… lors de la pose de la première pierre du musée Chagall, au mois de février 69, à Nice !
L'art contemporain
Pour tous ses faits artistiques, Coaraze fut la seule commune à intégrer la célébration des 60 ans d’art contemporain sur la Côte d’Azur en compagnie d’une cinquantaine d’autres lieux culturels réunis sous le titre L’art contemporain et la Côte d’Azur – Un territoire pour l’expérimentation, 1951-2011, la grande manifestation culturelle de l’été dans le Sud-Est.
Mais aussi d’autres pratiques culturelles
Depuis le début des année 60, la culture occitane s’est répandue dans la vie de Coaraze avec notamment la présence régulière pour les Rencontres poétiques de Provence et le soutien de Robert Laffont, le poète, linguiste, historien de la littérature occitane, chez le local Henri Giordan.
Inévitablement, la marque laissée par Alain Péglion – le poète occitan- et Guy – le dessinateur-écrivain et cofondateur de la revue niçoise La Ratapinhata Nova, enfants du pays où ils reposent.
Une très grande partie de groupes musicaux, voix qui ont comptés ou comptent dans la musique occitane se sont produits à Coaraze tout comme un certain nombre de rencontres et colloques Òc s’y sont déroulés.
Pour marquer cette implantation occitane le label Òc per l’occitan a été attribué à Coaraze en 2011 par l’Institut d’Études Occitanes. Sans rapport direct, le championnat du monde de pilou (pilo) s’y déroule chaque année depuis plus de trente ans, la discipline ayant été immortalisée sur le grand écran par Alfred Hitchcock en 1955, dans son célèbre film "La main au collet" .
La commune héberge une maison d’édition régionale, L’Amourier éditions depuis 1995 et qui possède une beau catalogue de romans, poèmes et autres nouvelles qui privilégie la diversité culturelle.
Si Coaraze ne possède pas avec la musique une approche aussi spécifique et singulière qu’avec les Arts plastiques, la poésie et la culture occitane, celle-ci a trouvé sa place.
Un label indépendant Fatto in casa se bat pour faire connaître les musiciens locaux non répertoriés dans les circuits habituels et qui possèdent une forte démarche musicale.
A travers le festival Les Voix du basilic organisé depuis 1999 par l’association des Amis de l’Amourier et qui a repris le titre d’un livre d’entretiens d’Alain Freixe, c’est une rencontre avec d’autres auteurs dans le domaine de la poésie et de la littérature qui vous ait proposée.
Depuis 2000, l’association Le cadran solaire organise Les rencontres de l’olivier, un inventaire non exhaustif du patrimoine chanté dans le bassin méditerranéen.
Informations Pratiques pour visiter Coaraze
Ce village au patrimoine culturel assez singulier est situé à 45 mn en voiture de Nice, en direction de Contes et de cette vallée du Paillon, qui se mérite avec une route très sinueuse pour vous conduire au minimum à 313 m et au maxi à 1414m.
La visite se fait à pieds mais prenez votre temps car la pente est raide mais le plaisir immense.
Plus d’infos à la Maison du Patrimoine au 04 93 79 37 47 ou officedutourismecoaraze@orange.fr