- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 12 min
La cathédrale Notre Dame de Nazareth, un condensé d’histoire
Dite “Vaison-la-Catholique” ou “Vaison-la-Chrétienne”, l’Église de Vaison-la Romaine fût le siège de trois conciles importants dont la présence de Saint Quenin, protecteur de la Cité. La cathédrale de Notre Dame de Nazareth est une véritable curiosité qui invite au voyage dans les méandres de l’Histoire.
Lieu de culte et de paix intérieure, objet d’architecture et d’archéologie, espace de concert où les orgues le disputent aux voix et aux petites formations orchestrales, la cathédrale Notre Dame de Nazareth située à Vaison-la-Romaine sur le lieu dit de la ville basse, est une véritable curiosité qui mériterait qu’on la mette plus en lumière au sens propre du terme en dehors des célébrations religieuses. Elle est en effet un étrange patchwork architectural qui traduit sa longue existence et les périodes troublées qu’elle a vécues.
Après une colonisation romaine plutôt pacifique, prospère et acceptée volontairement par les Voconces, vint le temps de la christianisation en Provence et celui des tourmentes et de la violence. Il nous reste encore à Vaison un témoin de ces deux millénaires passés : les pierres de la cathédrale et quelques textes.
Quatre-vingt trois évêques depuis l'an 262 à aujourd'hui
La cathédrale Notre Dame de Nazareth, une longue histoire
En contournant l’extérieur de l’édifice, l’observateur, en baissant la tête, est surpris de trouver du côté du chevet des fondations à nu pour le moins étranges : un mur d’apparence ordinaire est soutenu par des tronçons de colonnes antiques qui font un peu désordre dans une maçonnerie usuelle. Tout s’explique quand l’archéologue découvre, non loin, deux bouts de murs d’origine paléochrétienne qui nous renvoient à l’époque que les historiens qualifient d’« antiquité tardive ». L’histoire de ce lieu commence donc très tôt puisqu’on suppose que, au même endroit, deux églises ont précédé l’actuelle cathédrale.
Depuis l’an 262, Vaison a connu quatre-vingt trois évêques. D’après le R.P. Louis Anselme Boyer, prieur du Convent des Frères prêcheurs du Thor, le premier d’entre eux fut Saint Albin, martyrisé par les troupes allemandes commandées par un certain Crocus qui avait déjà pillé et incendié plus d’une quinzaine de villes entre Lyon et Nîmes.
Après deux interruptions, l’une au VIIIe siècle et l’autre au XIXe, quand le diocèse de Vaison est rattaché à celui d'Avignon, le dernier évêque de Vaison est depuis 2018 Monseigneur Valentin, par ailleurs évêque auxiliaire de Versailles. Nommé évêque titulaire de Vaison, ce titre lui a été donné par le pape François, sans charge véritable puisque le diocèse de Vaison-la-Romaine ne figure pas sur la liste des diocèses de France et que la circonscription religieuse dépend de l’archidiocèse d’Avignon.
Les premiers chrétiens vaisonnais
Textes et vestiges archéologiques permettent au chanoine Sautel d’affirmer que les Chrétiens apparurent à Vaison au cours du IIIe siècle de notre ère et qu’une communauté chrétienne était organisée dès la fin de ce siècle.
Sous domination burgonde à la fin du 5e siècle, Vaison sera occupée par les Ostrogoths en provenance d’Italie. Les Sarrasins ne l’épargneront pas. Un poème écrit en latin par Monseigneur Joseph Marie de Suarès, évêque de Vaison de 1633 à 1666, décrit ainsi cette époque qui suivit la fin de l'empire antique :
« La ville est sur un roc taillé de toute part,
La nature le fait en forme de rempart.
Elle est sujette aux vents presque toute l’année.
Aux flammes par les Huns, elle fut condamnée.
Elle fut convertie en un désert affreux
Par l’Arabe cruel et le Goth furieux. »
Au gré des partages, elle fit partie tantôt de la Bourgogne, tantôt de la Provence.
Vaison-la Romaine dite Vaison-la-Chrétienne
Trois conciles à l'église de Vaison-la-Romaine (ou Vaison-la-Catholique)
Incendies volontaires, destructions, pillages, sièges, venus des « Barbares », – qu’ils soient Huns, Vandales, Lombards, Ostrogoth ou Sarrasins – et des « Hérétiques », – qu’ils aient été albigeois ou « enfants de Calvin » n’ont pas eu raison de Vaison-la-Catholique. Malgré ces turbulences, elle reste une cité importante.
Louis Anselme Boyer reproche d’ailleurs aux historiens d’avoir oublié que l’église de Vaison fut le siège de trois conciles importants réunissant tous les évêques de la région, en 337, en 442 et en 529. C’est notamment à l’occasion de ce troisième concile présidé par Césaire, l’archevêque d’Arles, que fut décidée la création d'écoles destinées à former le clergé, avant que ce « sacré Charlemagne » ne généralise cette prescription. Dans le premier des canons rédigés par l’assemblée, on peut lire : « Il a été trouvé bon que tous les prêtres établis dans les paroisses, conformément à la coutume observée, nous le savons, de façon très salutaire, dans toute l’Italie, accueillent auprès d'eux, dans les maisons où ils résident, des lecteurs encore jeunes, pour autant qu'il s'en trouvera de non mariés, et qu'ils s'emploient, en les éduquant comme de bons pères spirituels, à ce qu'ils apprennent par coeur les psaumes, s'appliquent aux divines lectures et s'instruisent dans la loi du Seigneur, à la fois pour se préparer de dignes successeurs et pour recevoir du Seigneur d'éternelles récompenses. Une fois qu'ils auront atteint l'âge adulte, si l'un d'entre eux, en raison de la faiblesse de la chair, veut prendre femme, qu'on ne lui refuse pas de contracter mariage. »
D’autres signes de l’importance de Vaison-la-Chrétienne se manifestent par le fait que l’instabilité politique a conféré aux évêques un poids particulier, en leur donnant l’essentiel du pouvoir temporel sur la ville, en les confortant dans leur rôle de défenseurs de la cité. Les chapelles et les églises se sont multipliées et le chanoine Sautel rappelle que la ville a pu compter autant d’édifices religieux que de doigts de la main : Saint-Etienne, Saint Véran, Saint Hilaire, Saint Vincent, Saint Quenin qui ont toutes disparu à l’exception de cette dernière réédifiés au XIIe siècle, ce qui « montre la vitalité du christianisme et constitue une preuve certaine de l’existence d’une population non seulement très chrétienne mais encore nombreuse et fort riche ».
Quenin, un général arrogant et un humble serviteur de Dieu
Saint Quenin (500-578)
Une personnalité très honorée par les Vaisonnais et qu’on ne peut passer sous silence est Saint Quenin (ou Saint Quinid). Quenin est né à Vaison. Très pieux et très savant, il fut appelé par l’évêque de Vaison, Théodose, qui en fit son archidiacre. C’est à ce titre qu’il participa au concile d’Arles de 554. Élu évêque vers 556, il administra son diocèse pendant 19 ans.
Quenin et Mummol, gouverneur de la Provence
L’histoire a retenu de lui un incident mémorable sur les relations entre un général arrogant et un humble serviteur de Dieu soutenu par son seigneur divin. De passage à Vaison, Mummol puissant gouverneur de la Provence, s’attend à être reçu avec tous les honneurs dont il pense devoir être bénéficiaire. Quenin l’accueille avec simplicité, ce qui met en fureur le militaire, par ailleurs comte d’Auxerre. Celui-ci l’insulte et le traite de « gros boeuf » : « Pourquoi au seul bruit de mon arrivée, n'as-tu pas fait préparer les chemins ? et pourquoi, homme de néant, tête légère, n’es-tu pas venu avec ton clergé, les magistrats et la noblesse au-devant de moi pour me rendre une partie de tes devoirs et des honneurs que je mérite ? ». Quenin reste silencieux, regagne sa cellule et prie Dieu de punir les orgueilleux qui le blasphèment. De son côté, Mummol, poursuivant son chemin, tombe à terre, et son corps en feu devient si douloureux qu'il demande la mort. Pris de compassion, Quenin prie pour sa guérison et celle-ci, comme par miracle, se produit. Reconnaissant Mummol le comble de cadeaux que Quenin redistribue aux nécessiteux…
Quenin mourut le 15 février 578 ou 579 et fut enterré sous le maître-autel de sa cathédrale. Son tombeau, découvert en 1950, est toujours visible dans l’abside.
La procession
D’autres miracles, ajoutés au fait que Vaison n’a jamais été victime de la peste qui a frappé la Provence, fit de Quenin le grand protecteur de la ville. Il fut canonisé au XIIe siècle par le pape Innocent II et son culte fervent perdure jusqu’à aujourd’hui. Tous les ans, il est fêté par une neuvaine autour du 15 février. Deux processions portent son buste entre la cathédrale et la chapelle Saint Quenin, en passant, sainteté oblige, par le chemin du Bon Ange.
Le conflit avec les derniers comtes de Toulouse
Au XIIe siècle, au moment où la ville retrouve une prospérité certaine, un différend entre Raymond V, comte de Toulouse et marquis de Provence, qui revendique la propriété de la ville et l’évêque Bérenger de Mornas se solde par un siège et des pillages. Le conflit se prolonge avec son fils, Raymond VI, jusqu’au début du XIIIe siècle, période pendant laquelle sera construit le château comtal au sommet de la cité médiévale.
La cathédrale Notre Dame de Nazareth actuelle
La cathédrale, classée au titre des monuments historiques depuis 1840, est portée par des murs dont certains datent du IIe siècle, d’autres de l’époque mérovingienne, d’autres encore du milieu du XIIe siècle.
Des objets classés monuments historiques
L'intérieur, austère et peu éclairé, s’ouvre sur une colonne antique bilobée attestant d’une construction antérieure. En avançant on découvre des objets classés parmi les monuments historiques : des tombeaux dans le choeur, le siège épiscopal en pierre au fond de l’abside. Face à face derrière des grilles, une statue de Notre Dame de Nazareth et le buste de Saint Quenin.
« Ça sonne très bien avec de la musique allemande, italienne »
L’orgue Ahrend
En se retournant vers l’entrée, on découvre des orgues modernes qui se ferment par deux grands battants en bois clair. Le sacré s’exprime aussi par la musique. Pour remplacer l'ancien orgue Beaucourt, la cathédrale s’est dotée en juillet 2007 d’un nouvel orgue de tribune, superbe instrument à deux claviers, de vingt jeux et de 1 072 tuyaux, construit tout exprès par le facteur allemand Jürgen Ahrend. L'orgue Ahrend est particulièrement bien adapté au répertoire de musique ancienne. « Ça sonne très bien avec de la musique allemande, italienne ». Un instrument qui peut être aussi bien éclatant comme un cuivre que fluide comme de l'eau qui coule. Chaque instrument est unique. Et chaque espace dans lequel il résonne l'est aussi. Et c'est cet ensemble que les organistes savent faire apprécier sur cet instrument-orchestre qui enrichit la cathédrale de nouvelles tonalités.
Le cloître attenant
Construit au XIe siècle, le cloître attenant à l’église desservait les logements des douze chanoines appartenant au chapitre. Il s’en dégage une atmosphère sereine et une harmonie architecturale qui contraste avec l’histoire mouvementée de l’environnement. En même temps l’endroit fonctionne comme une sorte de dépôt lapidaire où l’on trouve un précieux sarcophage chrétien du IVe siècle « Le Christ entre les apôtres », dont les têtes sont mutilées, une croix à deux faces de la fin du XVe représentant d’un côté le Christ et de l’autre la Vierge, des inscriptions funéraires chrétiennes, des fragments de balustrades de choeur ornementées et quelques fragments de colonne entassés.
« Que le triple feu divin n’oublie pas d’embraser la demeure quadrangulaire en sorte qu’il vivifie les pierres vivantes au nombre de deux fois six ! »
Un voyage dans les méandres de l’histoire
La visite de la cathédrale de Notre Dame de Nazareth et de son cloître s’apparente à un voyage dans les méandres de l’histoire avec des épisodes qui s’incrustent les uns dans les autres de la même façon que la stèle funéraire romaine de Publius Atilius Ingenuus est encastrée dans la tour moyenâgeuse d’apparence crénelée qui domine l’ensemble de l’édifice, plus comme un donjon de château défensif que comme un clocher provincial.
Bon voyage dans cet univers insolite, à l’image de la citation gravée sur le pourtour de la cathédrale qui dit en latin « Que le triple feu divin n’oublie pas d’embraser la demeure quadrangulaire en sorte qu’il vivifie les pierres vivantes au nombre de deux fois six ! »
Sources
R.P Louis Anselme Boyer, Histoire de l’Église cathédrale de Vaison, imprimerie Marc Chave, 1731
Chanoine Joseph Sautel, Vaison-la-Romaine, sites, histoire et monuments, Imprimerie Rey, Lyon, 1955
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Des visites guidées des sites archéologiques sont organisées par la ville.
Du 1er juillet au 27 septembre 2020
Pour toute demande de renseignements :
04 90 36 50 48
www.vaison-la-romaine.com