- Auteur Danielle Dufour-Verna
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Un Oscar de la Création Théâtrale pour Richard Martin directeur du Théâtre International Toursky
À la veille d’une 4e grève de la faim, une « décision douloureuse prise en toute lucidité » pour dénoncer le retrait d’une subvention de 80 000 euros de la Ville de Marseille, vitale pour le Toursky, ainsi qu’un projet de transmission de la direction du théâtre, Richard Martin a reçu une récompense, un oscar à la création théâtrale remis par Patrick Fort pour les Oscars de France ce 7 février 2023.
Richard Martin reçoit l’Oscar de France, oscar de la création théâtrale. © Marie-Céline Solérieu
Avant Richard Martin, deux autres récipiendaires célèbres ont été récompensés par l'oscar de la création théâtrale : Marcel Maréchal et Maurice Pinson, directeur du Théâtre de Lenche. A cette occasion, Geneviève Maillet, avocat au Barreau de Marseille, ex-bâtonnier, a lu un message adressé à Richard Martin, auquel ce dernier a répondu avec émotion et tendresse. Cette assemblée sympathique s’est poursuivie par un apéritif convivial pendant lequel tous les membres présents ont pu assurer Richard Martin de leur soutien mais, également, de leur inquiétude à le voir entamer une grève de la faim.
« Des milliers d’abonnés, des centaines de milliers de programmations, plus de cinquante ans de spectacles, plus de cinquante ans de combats et un Toursky qui est le navire amiral de l’art dans le plus pauvre des quartiers d’Europe comme le coquelicot rouge perce le goudron de la neige au printemps. Avec audace, avec vigueur, avec luminosité, il se pose au revers de la veste de Marseille. C’est le coquelicot de la Commune, le coquelicot de l’amitié, le coquelicot sur la boutonnière, celui qui ne doit jamais flétrir. »
Un Oscar de la Création Théâtrale pour Richard Martin
Discours de Geneviève Maillet, avocat au barreau de Marseille
« Comme nous sommes dans l’antre des poètes, je vais ouvrir par René Char qui dit que la poésie est un cri, mais la poésie est un cri habillé. Richard, on l’entend toujours nous appeler par un cri notre prénom… Venez… Il a un cri d’appel, un cri de colère, il a un cri de justice, il a un cri d’amour. Richard est l’écho de ce que nous ressentons, à la fois pour lui, ses frères, ses sœurs, les créateurs, ceux qui portent la vérité de l’âme et la beauté de la nature. Avec Richard Martin, on peut parodier Aznavour ‘Viens voir les comédiens, viens voir les musiciens’ mais viens voir aussi les assoiffés de culture, viens voir les fragilisés des quartiers nord et des autres, viens voir les férus, viens voir les incultes, viens voir les curieux, les professeurs et les élèves, viens voir les voyous et les saints, avec Martin, nous irons tous au paradis. Le paradis, c’est le mot d’autrefois pour les derniers rangs d’un théâtre, et nous, nous sommes les enfants de ce paradis, le paradis que Richard Martin nous offre, le paradis du Toursky…
« Tu as fait de ce théâtre l’œuvre d’une vie »
…. Ce soir c’est donc au milieu du goudron, parfois aussi celui de l’austérité, parfois celui de la convoitise, parfois aussi celui des faux procès, qu’il doit maintenir sa digne trajectoire et faire fleurir les idées de ceux qui les portent par des mots, et ceux qui les offrent, par des gestes. Moi, je te revoie en particulier le soir de Charlie Hebdo, devant ton écran noir, nous exhorter contre l’horreur, contre la cruauté et pour la beauté des choses. Nous nous voyons, tous, à tes côtés, quand tu étais enchaîné pour la liberté, lors d’une grève, poignante, contre une restriction budgétaire asphyxiante que j’espère nous n’ayons pas à revivre. En grève au péril de la vie pour un théâtre qui n’est pas ton théâtre mais qui est le nôtre. Alors il faut saluer toute ton équipe, ta femme, ton public car Richard, tu as un cœur de lion, tu as fait de ce théâtre l’œuvre d’une vie et on dit que ce n’est pas en coupant les roses qu’on arrête le printemps. Et ce n’est pas en cherchant à couper les subventions que l’on n’arrêtera l’âme du Toursky. L’âme du Toursky, c’est celle qui est ici. Merci Richard de donner vie à cette scène et de nous permettre de nous rassembler autour de toi. Tu es le pape des poètes. Tu es un homme hors du commun et tu es tellement modeste qu’on éprouve même de la peine à le dire. »
L'Histoire du Théâtre Toursky racontée par Richard Martin, son fondateur
« Le prix, c’est la tendresse que vous m’apportez, il n’y a pas plus beau cadeau que la tendresse. »
Richard Martin a reçu les mots de Geneviève Maillet ‘comme un bouquet de coquelicots’. Lui qui n’aime pas les décorations a reçu cette récompense mais surtout « cette naturelle tendresse, cette humanité simple ; tout-à-coup on a la vraie vie. Ne parlons plus des élites et autres ‘conneries’. Le prix, c’est le cadeau que vous venez de me faire avec une femme de justice qui s’avère être un poète formidable. C’est la tendresse que vous m’apportez, il n’y a pas plus beau cadeau que la tendresse…. Il y a cinquante ans, ici, c’était le fief communiste. C’était un quartier de réfugiés italiens absolument extraordinaires. Tous les commerçants étaient heureux que je vienne porter un théâtre là-dedans, venir ici et planter au moment où on ne retenait de Marseille que le folklore, les cartes, les kalachnikovs etc… un homme Axel Toursky se tuait…
Un bâtiment décrépi s’allume des plus belles lettres, celles des poètes
Avec mes amis, mes compagnons de route, dans ce qui était un hangar désaffecté, on a trouvé une échelle lourde, lourde, en bois. Nous étions cinq ou six à la déplacer. J’avais découpé dans des plaques de ronéo le nom de ce poète Axel Toursky. J’ai collé ça avec de la patex sur de l’aggloméré. Je suis monté sur cette échelle au plus haut. Et plaf, plaf, plaf, j’ai collé sur la façade le nom de ce poète surréaliste. Ce bâtiment décrépi, tout-à-coup, s’allumait des plus belles lettres, les lettres des poètes.
Faire de ce quartier le quartier des poètes
Et de là est né ce projet de transformer ce quartier que l’on vient visiter parce qu’il a la réputation d’être le plus misérable d’Europe, qu’on vienne le visiter parce que ça deviendrait le quartier des poètes, reconnu dans le monde entier, avec le soutien de tous les artistes urbains qui seraient venus ici, rêver, imaginer, transformer, planter tous les symboles et les œuvres de création qu’eux seuls peuvent nous offrir.
J’espère, s’il y a l’adhésion pour ce projet, que du haut de la terrasse du Toursky, là où j’avais mis la première antenne de la radio que j’ai créée, Radio Grenouille, que de là-haut, un immense haut-parleur qui couvre la ville à la tombée de la nuit, nous enverrait quelques aleykoum méditerranéen, quelques formules terrestres qui nous remettraient debout. Il faudra s’attacher à cela. Ça fait des années que je dis : écoutez, vous avez ici des milliers de mètres carrés de tristesse que vous pourriez transformer en milliers de mètres carrés de bonheur. J’ai pensé cela parce que j’ai mis dehors les poètes que j’aime, pas tous, la rue n’est pas assez grande et je manquais de sous pour imprimer les panneaux. Ça fait des années, des années qu’ils sont là sur les murs, alors qu’ici les gens se tirent dessus, que la drogue circule, vous connaissez le problème puisqu’on a 150 000 euros de sécurité par an pour que le public soit protégé, ce qu’aucun théâtre n’a besoin d’avoir.
Draguer les poètes pour avoir la direction de l’essentiel
Mais, jamais, jamais, un de ces poètes n’a été tagué. Et quelquefois, en sortant, à la fin de rencontres joyeuses ou désespérées, ça arrive, je vois des silhouettes improbables, là, qui essaient de déchiffrer ce que Léo pouvait bien vouloir dire. Et ils regardent, ils regardent, ils regardent et ils vont jusqu’au bout, et ils s’en vont avec. Je peux vous garantir que, rien que cela, ça a déjà fait des petits. Et beaucoup ont compris qu’il faut draguer les poètes pour avoir la direction de l’essentiel, et certains ont trouvé la porte de secours. Tous ceux qui pensent qu’on doit aider les humains puisque tout être humain a droit à une entière croissance et qu’il a le droit d’exiger de l’humanité d’être secondé dans son effort. Tous ceux-là qui épousent la mission du service général, tous ceux-là devraient porter les aventures qui fleurissent comme ça, pas les étouffer…
On traversait Marseille à pied avec des perches sur les épaules pour équiper le théâtre
.. Vous le savez, vous n’avez pas servi Martin, vous avez servi l’intelligence, la poésie, l’humanité, la fraternité, cette fraternité que nous avons le devoir d’imposer dans cette ville où les gens se regardent de travers et qu’un jour où l’autre ils se foutront sur la gueule au lieu de s’embrasser et de s’appeler… Avec Michel Sicuris, à deux heures du matin, nous traversions à pied Marseille, depuis l’Alcazar, depuis Belzunce jusqu’au Toursky. On marchait avec les perches sur l’épaule, pour rééquiper ce théâtre. On a ramené aussi, non seulement les perches, les portes, les poulies, les fils.
On a ramené sur notre dos la grande porte de l’Alcazar
On a ramené aussi, sur notre dos, la grande porte battante de l’Alcazar. Elle a été posée ici. Depuis, rien n’a avancé, et on s’accroche pour que ça ne s’abîme pas
Le projet il est là, il continue, je vous en ai parlé, il poursuit son rêve et le poursuivra aussi. J’espère qu’après la grève de la faim, si ça se finit bien, j’aurai l’occasion d’aller manger chez vous de temps en temps pour me remettre sur pied. Je vais continuer cette aventure. »
Le Toursky, couleur coquelicot, ce ‘navire amiral de l’art’ comme l’a si bien nommé Geneviève Maillet, poursuit sa route, contre vents et marées, habités de saltimbanques et de poètes, survolé d’oiseaux que Martin hèle à grands cris, habité de fraternité et d’espoir.