- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 8 min
Thierry Amadi, 1er Violoncelle Solo de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Rencontre avec Thierry Amadi, premier violoncelle solo de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. Il sera à l’Auditorium Rainier III, à Monte-Carlo pour un concert en soliste aux cotés de ses collègues musiciens sous la direction de la cheffe d’orchestre lituanienne Mirga Gražinytė-Tyla, pour “Un monde éphémère et paradisiaque”.
Thierry Amadi violoncelliste, pétillant, enjoué, 1er violoncelle solo de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et membre de l’excellentissime Trio Goldberg ne se prend pas au sérieux, au contraire. C’est ce qui fait son charme, et participe sans-doute à son génie. Le 21 janvier 2023, à 20 heures, il sera à l’Auditorium Rainier III, à Monte-Carlo pour un concert fabuleux - "Un monde éphémère et paradisiaque" avec Mirga Gražinytė-Tyla (direction). Au programme : Mieczysław Weinberg, concerto pour violoncelle et Serge Prokofiev, Roméo et Juliette (extraits des Suites). Un concert à ne rater sous aucun prétexte.
Rencontre avec Thierry Amadi, violoncelliste
1er violoncelle solo de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Danielle Dufour-Verna / Marie-Céline Magazine Culturel – Bonjour Thierry Amadi. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Thierry Amadi –Je suis violoncelliste, 1er violoncelle solo de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo où je suis entré en 2001, à l’âge de 21 ans. Je partage ma vie entre l’orchestre et mon trio à cordes, le trio Goldberg avec lequel nous avons fait plusieurs enregistrements et donnons beaucoup de concerts.
DDV – Vous enseignez toujours ?
Thierry Amadi –J’ai été professeur au Conservatoire de Paris pendant quatre ans mais j’ai arrêté parce que c’était trop compliqué de gérer la vie musicale, la vie de famille…
DDV – Vous jouez dans l’orchestre philharmonique de Monte Carlo sous la direction de Yazuki Yamada. Quels sont les rapports d’un chef d’orchestre avec ses musiciens et notamment son 1er violoncelle solo ?
Thierry Amadi – C’est à la fois le meneur, c’est un peu le papa de l’orchestre, tout simplement, c’est le patron et un petit peu l’ami. Il faut trouver la bonne relation de proximité et de distance en même temps pour pouvoir dire les choses. Je parle pour lui bien évidemment. C’était un peu compliqué au début. La rencontre entre l’orchestre et lui n’a pas été immédiatement évidente au démarrage, la barrière du langage, les habitudes etc. Puis, petit à petit, on s’est trouvés, surtout dans le travail. C’est ce qui était compliqué au départ. Les concerts étaient toujours super, beaucoup d’énergie, beaucoup de choses à faire, à dire, mais le travail c’est autre chose. Le travail se fait dans l’ombre. On a besoin de pouvoir échanger, comprendre. Tout est rentré dans l’ordre maintenant et cela se passe vraiment très bien.
DDV – Le 21 janvier, ce sera Roméo et Juliette de Prokofiev, sous la direction de Mirga Grazinute-Tyla. C’est un plaisir une femme chef ?
Thierry Amadi – Bien sûr ! Elle fait une grande carrière.
DDV –Y-a-t’il une différence de sensibilité dans la façon de diriger, dans le rapport avec les musiciens et dans le rapport à l’œuvre quand il s’agit d’une femme ?
Thierry Amadi – J’ai envie de dire que non, il n’y a aucune différence. La seule différence qu’il peut y avoir, ce sera la mentalité d’un orchestre et heureusement, de ce côté-là, les mentalités ont énormément évolué. Je peux même dire que dans la musique classique, on est quand-même un des compartiments de la société où l’égalité homme-femme s’est faite bien avant tous les autres. Les salaires sont les mêmes.
DDV – Effectivement, il y avait beaucoup de musiciennes mais moins de cheffes d’orchestre.
Thierry Amadi – Il y a le fait que, évidemment, il faut une sorte d’autorité naturelle pour tenir cent musiciens et on considérait que les hommes étaient plus capables de faire cela ce qui n’est pas du tout le cas. Les mentalités ont changé. Si c’est une bonne cheffe d’orchestre, que ce soit une femme, c’est vraiment très secondaire. Il y a des cheffes nulles comme il y en a chez les hommes, l’égalité, elle est là ! Pour ma part, c’est la deuxième fois que je joue en soliste sous la direction d’une cheffe et je suis vraiment impatient.
DDV – Vous êtes 1er violoncelle solo de l’orchestre de Monte-Carlo et votre trio Goldberg tourne beaucoup. Comment réussissez-vous à travailler simultanément des deux côtés ?
Thierry Amadi – On tourne beaucoup avec le trio. C’est très compliqué. Evidemment, la priorité reste l’orchestre et on s’arrange le plus possible avec mes deux collègues du trio pour être en congés en même temps, pour pouvoir faire des concerts. On répète énormément. C’est à dire qu’on est tout le temps ensemble, on vit pratiquement ensemble.
DDV – Et la vie de famille dans tout cela ?
Thierry Amadi – Il faut ménager la chèvre et le chou mais ma femme est très compréhensive. Elle est artiste. Elle était danseuse au ballet de Monaco et elle sait ce que veut dire partir en tournée etc. Ma fille a quinze ans maintenant. Elle a trois ans d’avance au niveau scolaire, c’était la plus jeune bachelière l’année dernière. Du haut de ses quinze ans, elle est en prépa commerce en internat et cela facilite la vie.
DDV – Vous avez interprété ‘Aspettando il paradiso’, une introduction de Pietro Conversano au règne dantesque infernal. Vous aimez l’Italie ?
Thierry Amadi – Bien sûr que j’aime l’Italie, j’adore l’Italie. Je suis italien d’origine. Mon nom est italien et pour être très précis, des Amadi en Italie, il n’y en a nulle part, sauf à Venise. Venise a donné naissance à deux choses, pour moi très importantes, ma famille et le spritz.
DDV – Quels compositeurs vous transcendent ?
Thierry Amadi – Il y a deux réponses que je vais pouvoir vous donner. La première réponse qu’on est censé donner, le compositeur préféré c’est celui qu’on est en train d’interpréter. Il faudrait, en tous cas, être le plus possible dans cette optique-là. Et après, mon compositeur préféré, c’est Brahms, tout simplement. Au-delà, tout ce qui est musique romantique, en général.
DDV – Que pensez-vous de la musique contemporaine ?
Thierry Amadi – Il y a de très grands compositeurs actuels. Là aussi, le temps va faire le tri de ceux qui vont rester ou pas dans l’histoire de la musique. Oui, il y a des compositeurs, fantastiques.
DDV – Vous badinez un peu avec eux ?
Thierry Amadi – Bien sûr. J’ai la chance d’avoir, avec le trio, des compositeurs qui nous ont dédié des œuvres. Il y a Nicolas Bacri, par exemple, qui nous a composé un trio. Oui, on collabore avec eux, c’est indispensable. Le concerto que je vais jouer à Monaco est un concerto qui a été commandé par Rostropovitch. Il avait à cœur d’agrandir le répertoire du violoncelle et il a fait appel à tous les compositeurs russes de son époque, principalement Prokofiev, Chostakovitch entre autres…
DDV –Vous avez joué sous la direction d’Emmanuel Krivine…
Thierry Amadi – Oui, j’avais 18 ans. J’avais joué le Don Quichotte de Richard Strauss. C’était fantastique, génial, j’ai adoré ! Mon prof m’avait prévenu : « attention, Krivine, il peut être très dur. » Il est spécial et je m’étais blindé à tous niveaux, avec l’instrument mais aussi en étudiant l’œuvre complètement, la partition, évidemment le roman de Cervantès. Je suis arrivé à la première répétition avec Krivine, je jouais et il me demande avec sa drôle de voix « Pourquoi tu fais ça comme ça toi ? ». Je lui ai expliqué, en tremblant et j’ai terminé en disant : "En plus j’aime ça". Il m’a dit « Ok, très bien ». Et il m’a laissé tranquille. Ça s’est super bien passé. A la fin du concert, je suis allé le voir dans sa loge et il m’a dit « Maintenant tu vas me dire comment tu connais tout ça. D’où ça sort tes trucs là ? Qu’est-ce-que tu as vu ? Qu’est-ce que tu as étudié ? », un grand homme.
DDV – Comment êtes-vous venu au violoncelle ?
Thierry Amadi – J’étais dans une famille de musiciens et de parents violonistes. Ils avaient décrété qu’il fallait que je fasse de la musique et comme tout le monde faisait du violon dans la famille, il fallait faire autre chose. Vers l’âge de 10, 11 ans, j’ai décidé d’arrêter le violoncelle et de faire du violon. Ça a duré un ou deux mois. Je me suis rendu compte que je n’aimais pas cela. Je me suis remis au violoncelle et c’est là vraiment que ça a décollé, que j’ai commencé à travailler plus que sérieusement mon violoncelle.
DDV – Quels sont vos projets à court terme ?
Thierry Amadi – il y a évidemment ce concert qui arrive en soliste, un autre concert qu’on va faire avec le trio et David Bismuth à l’auditorium également le 27 janvier 2023, un prochain disque en projet avec le trio dans deux mois. Nous partons en Suisse pour enregistrer les trois trios opus 9 de Beethoven.
DDV – Ma dernière demande, quelle est votre propre conception du bonheur ?
Thierry Amadi – C’est déjà d’être en forme, d’avoir la santé et que ma famille, ma fille qui est mon rayon de soleil, soient en forme, et si on va plus loin, musicalement, de pouvoir continuer à toucher un peu à tout, à l’orchestre, aux concerts en soliste, à la musique de chambre. Pouvoir profiter de tout ce que la musique peut apporter également au niveau des voyages, des rencontres, des cultures, des autres styles de musique dans le jazz, le rock. C’est, pour cela, un milieu fantastique, enrichissant, passionnant.