- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 12 min
Alberto Biancheri, Maire de San Remo : “Se réunir pour coordonner le tourisme, ensemble, de Nice à San Remo”
Entretien exclusif avec Alberto Biancheri, Maire de San Remo. Sa volonté : rassembler les maires de Nice à San Remo, pour coordonner ensemble le tourisme, et créer des passerelles entre la culture et le patrimoine, de la France à l’Italie.
Alberto Biancheri, Maire charismatique de San Remo, amoureux de la France.
San Remo, la Riviera des Fleurs : des mots magiques qui titillent notre imaginaire. Le soleil, les longues promenades, l’eau transparente, le Casino au toit ouvrant sur les étoiles, le Festival de San Remo où Volare « Nel blu, dipinto di blu » de Domenico Modugno a ému et continue à émouvoir le monde ; San Remo, les crinolines de ‘La Belle Epoque’, les chars fleuris d’aujourd’hui, et toujours, toujours, un rêve de soleil et de beauté.
Alberto Biancheri, un Maire visionnaire
Existe-t-il réellement une frontière entre Menton et Vintimille ? Pour combien de temps ? La preuve en est que les virus ne s’y arrêtent pas, que l’eau est du même bleu d’un côté comme de l’autre, et les gens aussi bronzés et fraternels. Alberto Biancheri est le Maire de San Remo. Il a pour objectif, entre autres, de réunir les maires de la Côte d’Azur et de la Riviera italienne pour envisager ensemble l’avenir. Une belle initiative pour un merveilleux territoire ! Anticiper, réagir, agir : trois verbes qui résument parfaitement l’action du premier Magistrat de la Ville de San Remo. Très intéressé par ses idées et par cette cité que tant de Français fréquentent régulièrement, Projecteur TV l’a contacté. Il accepte avec plaisir une interview téléphonique.
Avant d’entrer en communication avec lui, j’écoute avec ravissement les premières notes de ce magnifique hymne italien ‘Fratelli d’Italia’. Trop peu de temps, malheureusement, car Monsieur Biancheri est un homme de parole et ne fait pas attendre ses interlocuteurs. Élu Maire de sa ville avec plus 53% de voix (il avait eu 43% à son premier mandat), les citadins lui ont renouvelé leur confiance. On ne peut qu’approuver car la ville des fleurs resplendit de tout son éclat sous le soleil de cette mythique Riviera.
Alberto Biancheri, « Viticulteur par Passion, Horticulteur par Vocation, Maire par Amour de San Remo. »
Cette phrase, sur son compte Instagram, résume parfaitement l’esprit d’Alberto Biancheri, un homme de passion, de vocation et d’amour ; un homme dont la volonté de moderniser, d’enrichir, d’embellir San Remo passe inévitablement par le respect des hommes, le respect de la nature, de l’agriculture, par les avancées de la recherche et le savoir des anciens ; un homme lié à sa terre car lié à la terre.
La voix chaude et grave du Maire de la Ville me souhaite la bienvenue en Français et nous continuons la conversation en Italien. L’Italie est un pays où le tutoiement est souvent de règle. Avec le premier magistrat de cette splendide San Remo, un homme dont on devine le sourire et qui préfère le ‘nous’ au ‘je’, c’est au-travers du tutoiement citoyen que se déroule, fort agréablement, notre entretien.
Danielle Dufour-Verna pour Projecteur TV : La première élection en qualité de Maire date de 2014 ?
Deuxième et dernier mandat
Alberto Biancheri : Oui et c’est mon deuxième mandat. En Italie, pour les communes de plus de 15 000 habitants, nous ne pouvons en cumuler plus de deux. Nous travaillons avec ce deuxième mandat, malheureusement dans un moment très difficile. Nous avons travaillé pour San Remo sur de nombreux thèmes. En prenant l’exemple du Festival International de la Chanson, c’est un Festival qui a énormément grandi ces dernières années. Nous avons impliqué les citadins. Il a été fait de nombreuses choses partout dans la ville, en dehors du Théâtre de l’Ariston où se déroule le Festival. A la fin du Festival, nous allions lancer toutes voiles dehors ce qui allait être le printemps et l’été des Sanrémasques mais ce Covid 19 causé de gros problèmes, comme d’ailleurs dans toutes les grandes villes, partout dans le monde. Nous ne sommes pas les seuls. Mais San Remo prenait son envol. Nous reprenons peu à peu notre quotidienneté, mais avec beaucoup de difficultés.
Il y a pourtant un calendrier estival riche
Alberto Biancheri : Oui, bien sûr. Dans la mesure du possible, toujours en respectant toutes les précautions sanitaires et le maximum de sécurité avec tout ce qui nous est imposé au niveau gouvernemental. Il faut dire qu’il est très difficile de prévoir des évènements en ce moment. Ils doivent être enregistrés. Les personnes doivent rester à un mètre de distance, avec le masque. Tant de choses qui doivent être contrôlées, donc très complexes. Mais nous nous y attelons et nous retournons peu à peu à la normalité.
Comment êtes-vous arrivé à la Mairie ?
« Je veux essayer de faire quelque chose pour ma ville »
Alberto Biancheri : Je suis la personne classique qui a toujours dit : « Je ne pourrais jamais être Maire ». Et même la première fois où je suis entré dans un conseil communal car mon ami, alors Maire de la Ville, m’avait demandé de lui donner un coup de main. Je lui ai dit « Moi, je ne suis pas fait pour la politique. Je ne sais pas parler au public. J’ai mon agence, mes affaires ». Puis mon épouse m’a convaincu d’accepter d’être conseiller communal. C’est ainsi que j’ai commencé. Mais je ne me sens pas ‘un homme politique’. Je réfléchis comme un administrateur qui vit de son propre travail. Je l’ai vécu plutôt comme un défi. Je veux essayer de faire quelque chose pour ma ville. Travailler avec le public est très difficile. Je pense, plus difficile encore qu’en France. Nous avons ici énormément de lois, de normes, de difficultés. Oui, j’ai voulu relever ce défi, non pour avoir une carrière politique, ce qui ne m’intéresse pas, mais, pendant ces deux mandats, pour créer une ville dynamique, apporter des ressources nouvelles, faire vivre notre ville. Ces dernières années nous avons fait de petites et de grandes choses, très importantes. Je ne vais pas citer tout ce que nous avons fait mais ce qui est en train de s’accomplir à San Remo est très intéressant. Par exemple, le bel Auditorium en plein air, une très belle arène de 700 places où les orchestres symphoniques, le théâtre, pourront se produire, sera ouvert en septembre 2020. Il est situé près de la mer, en via Matteotti et nous sommes en train de terminer les travaux. Le projet du vieux port avance, un projet très important de 46 millions d’euros avec des sociétés privées, ainsi qu’une grande revalorisation de tout le port avec la piétonisation, le projet de parkings souterrains. Il y a eu l’ouverture de ‘The Mall’, un magnifique centre commercial de luxe, avec, pour principales cibles, la clientèle locale et touristique. Il y a énormément de projets, également écologiques. Nous avons porté le tri sélectif des déchets de 25% à 62%. Beaucoup de choses ont été faites mais ce n’est jamais assez.
Un Tourisme français conséquent
Alberto Biancheri : Je crois que San Remo vit des moments importants pour plusieurs motifs économiques et autres, du fait que le Festival fonctionne à merveille, et du fait qu’il y a, de la part même des habitants, l’envie de changer. Les temps nous obligent à être différents. Nous devons travailler sur l’accueil et travailler avec nos amis français car c’est un fond touristique important. Nous avons des Russes, des Hollandais, etc. mais ce sont les Français qui sont les plus importants. Le mardi et le samedi, San Remo fourmille de touristes. Beaucoup d’entre eux viennent pour la piste cyclable, une voie de 24 kilomètres sur la mer, certains pour les marchés, pour les festivités, etc. Le tourisme français est très conséquent et nous y tenons particulièrement.
San Remo est votre ville natale ?
« À pied avec, sur les épaules, les sacs chargés de pétales de roses. »
Je suis né à San Remo en 1962. Ma mère est de San Remo, mon père de Bordighera. Mes grands-parents partaient de Borghetto, un petit village au-dessus de Bordighera, chargés de sacs sur les épaules, et allaient à pied jusqu’à Menton, puis le train les amenait jusqu’à Grasse. Les sacs étaient remplis de pétales de roses avec lesquels se faisait l’essence des fameux parfums de Grasse. Chemin faisant, ils se sont aperçus que se faisait en France la plantation des premiers bulbes d’anémones. Au retour, ils chargeaient leurs sacs de bulbes d’anémones et les ramenaient chez eux. Ils ont planté les premiers bulbes d’anémones. Mon père a débuté son commerce de cette façon, grâce à mes grands-parents. Pour ma part, j’ai 57 ans, j’ai un peu transformé l’entreprise de papa. De commerçant, l’entreprise est devenue une entreprise d’hybridation, de recherche sur les renoncules et les anémones. Je suis très chanceux car j’ai réussi à créer une entreprise qui compte aujourd’hui 75 salariés et nous vendons dans le monde entier nos variétés d’anémones renoncules. Mon entreprise croit encore fermement dans le secteur de la floriculture. Ces dernières années, avec mon épouse, un peu par plaisir, un peu par passion, mais plus par jeu, nous nous sommes mis à cultiver quelques vignes. Nous croyons beaucoup en l’agriculture. Le potentiel de notre pays, l’Italie, mais je pense aussi celui de la France, est concentré sur l’oeno-gastronomie : nos fleurs mais aussi, nos huiles, nos vins, notre cuisine… Tout cela peut donner un futur à nos enfants.
Quels sont, en qualité de Maire, les rapports que vous entretenez avec la France ?
Se réunir pour coordonner le tourisme, ensemble, de Nice à San Remo
Alberto Biancheri : Nous avons de bons rapports avec la France mais ils ne sont pas très consolidés. Et c’est un rôle qui m’appartient. Je crois qu’aujourd’hui, au niveau touristique –je parle de la Ville de Nice jusqu’à San Remo, mais même au-delà de Nice et au-delà de San Remo- le tourisme devrait être coordonné, ensemble. Quand les touristes atterrissent à l’aéroport de Nice –très important également pour nous à San Remo- venant de tous les endroits du monde pour visiter la France et la Côte d’Azur, il est normal qu’il fasse 30 kilomètres pour arriver jusqu’à nous. En 70 kilomètres ils voient de la culture, du patrimoine, des choses totalement différentes dans ce qu’on peut appeler un mouchoir de poche territorial. Et selon moi il serait très souhaitable que nous réussissions à nous unir.
Que faîtes-vous pour que cette union se concrétise ?
Ensemble
Alberto Biancheri : Mon idée est, surtout par rapport à ce coronavirus, de contacter tous les maires de ces secteurs, pour parler de ces problèmes. Nous ne pouvons pas avoir une politique différente. Nous devons travailler ensemble. En faisant 100 kilomètres, les touristes voient beaucoup de choses. Ce serait très beau de nous rassembler. Nous avons tant de belles choses comme par exemple le sanctuaire baleinier. De son côté, la France possède des merveilles. Nous pourrions faire des choses formidables, ensemble.
Le Festival International de la Chanson de San Remo : un Festival à répercussion mondiale
Quel impact le premier magistrat peut avoir sur le Festival de San Remo ?
Faire avancer les jeunes dans ce Festival de la Chanson
Alberto Biancheri : Nous n’avons aucun impact sur le choix des chansons. C’est la RAI (Télévision italienne) qui s’en occupe exclusivement. Nous n’entrons absolument pas dans les choix musicaux. Nous intervenons collatéralement : toutes les manifestations hors du Théâtre. Avec l’Adjoint au Tourisme, nous essayons toujours plus de convaincre la RAI à ce que le Festival ne soit pas seulement ce que l’on voit à la télévision. La ville, à ce moment-là, double en nombre d’habitants. De 60 000 nous passons à 120 000 personnes. Il n’y a que 800 places à l’Ariston. Nous voulons faire vivre la ville de façon à ce que les personnes qui viennent ici, s’ils ne peuvent pas vivre le Festival de l’intérieur du théâtre, puissent le vivre dans la ville. C’est ce que nous essayons de faire. Ce Festival fait vivre la ville mais en même temps, il permet une publicité incroyable, grâce à vous aussi, amis journalistes. On parle de San Remo pendant une semaine, en Italie, mais aussi en Europe et à l’International. Nous devons profiter de cette semaine-là pour lancer des messages et en tirer profit pour le tourisme. Il est important de capitaliser tout ce que l’on peut pour faire croître la ville les autres mois de l’année. Car il y a de nombreuses manifestations importantes à San Remo : les Chars fleuris, le rallye historique, des concerts, etc. C’est une ville vivante, tout au long de l’année. Ce magnifique Festival, à mon avis, doit faire avancer les jeunes. Il y a eu beaucoup de jeunes qui se sont faits connaître au Festival de San Remo et sont devenus célèbres.
Pour conclure l’interview, et à ma demande, Alberto Biancheri, qui écoute les Rolling Stones, Pink Floyd, De André et Battisti, cet homme généreux qui rêve autant d’Italie que de France, me donne sa définition du bonheur : « Le bonheur, c’est avoir le choix, la possibilité de choisir. Avoir la chance de pouvoir choisir. »
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