- Auteur Viviane Le Ray
- Temps de lecture 8 min
Le 9 août 2000 disparaissait tragiquement l’écrivain Louis Nucéra. Rencontre avec Suzanne Nucéra, son épouse
Suzanne Nucéra, cultive l’amitié comme un jardinier amoureux cultive ses fleurs… Un don qu’elle partagerait avec le futur écrivain que le destin allait placer sur sa route. Elle avait 19 ans… Mais le destin qui sait être cruel, le 9 août 2000, ironie du sort jour de la Saint Amour, au nom du Dieu des temps modernes : la vitesse, lui arracherait Louis sur la route de Carros, alors qu’il s’adonnait à sa passion tranquille : le vélo ! Suzanne Nucéra, en son musée de l’amitié de la rue Smolett, à Nice, se souvient des jours heureux…
Rencontre avec Suzanne Nucéra, épouse de l'écrivain Louis Nucéra. Elle évoque les jours heureux…avant l'accident tragique.
20 ans déjà : 9 août 2000
Disparition tragique de Louis Nucéra …
"Le Kiosque à Musique" de Louis Nucéra ...
Rencontre avec Susanne Nucéra, son épouse
« Le Kiosque à Musique », dans les jardins Albert Ier, lieu de votre premier rendez-vous avec Louis, devenu un roman, demeure j’imagine le symbole des jours heureux ?
Suzanne Nucéra : Je venais d’avoir 19 ans, ce jour-là mes pas m’ont guidée vers la mer, c'était la première fois que j'allais à la plage, je n'avais pas trop de sous mais je m'étais acheté un beau maillot de bain ! Sur la plage, je vois un jeune journaliste qui interviewait Johnny Halliday… Je remonte sur la Promenade, Louis me guettait : "Je me présente Louis Nucéra, mademoiselle accepteriez-vous de prendre un verre ?" J'ai dit non ! Je suis revenue le surlendemain Louis était devant le Kiosque à musique, c'est là que mes parents s'étaient rencontrés… Suzanne se souvient de tant de moments, de jours inoubliables comme le dernier réveillon avec Picasso et Jacqueline, en 1971, grâce au photographe Ralf Gatti un familier du peintre : « Nous voilà saucissonnant chez Picasso, après être allés à une corrida avec Luis Dominguin et Lucia Bose ! » Plus tard, entreront dans sa vie: Kessel, Druon, Cioran, Henry Miller, Nabokov, Brel, Ventura et l’Ami Brassens, venant à Nice pour déguster les tortellinis de la "mamma" de Suzanne. : « À Paris, je me baladais dans le métro avec mes plats pour Georges qui avait fait l'achat d'une grande table pour nous tous, lui qui pourtant comme Raymond Moretti « mangeait pour vivre et pas pour manger » !
Dans ce Musée de l'amitié du 31, rue Smolett, à Nice chacun a son coin avec ses photos, ses livres, ses lettres...
À 40 ans, Louis Nucéra fait une entrée tardive dans l'édition avec « L'obstiné » ?
Suzanne Nucéra : Tardive car Louis a toujours écrit. À 7 ans il faisait à sa manière des comptes-rendus sportifs, recueillait les échos, collait ses papiers dans un cahier... Quant à son premier roman « L'obstiné » c'est après avoir envoyé 11 manuscrits que le Comité de lecture de Grasset réagit : il faut se dépêcher de publier ce roman, centenaire l'auteur risque de mourir... Louis s'était mis dans la peau d'un auteur centenaire, Léon Aquoibon... Il avait 40 ans ! Le livre sera préfacé par Joseph Kessel, qui lui fera couper près de 200 pages : c'était une douloureuse amputation, il le réécrira 9 fois ! Pigiste au journal Le Patriote il avait connu Kessel alors qu'il attendait son tour pour l'interviewer. Une première rencontre magique, Jef demande au journaliste qui l’interrogeait : Qu'est-ce qu'on fait à Nice la nuit ? Louis qui entend agite ses bras comme un sémaphore et crie « Moi, je sais où on va la nuit ». Depuis cette nuit des années 50, ils ne se sont plus quittés ! Après « l’Obstiné », paraîtra « Le Greffier », dédié à notre passion commune pour les chats, Louis avait pour habitude de dire « Nous habitons chez nos chats… »
Votre rencontre magique et insolite avec le Prince des poètes, Jean Cocteau ?
Suzanne Nucéra : La rencontre s’est faite par hasard dans une galerie niçoise, Louis sollicite Cocteau pour une interview, le lendemain il lui téléphone, c’est Cocteau qui décroche « D’accord pour l’interview mais amenez-moi une dactylo… » C’était en 1958, l’année de ma rencontre avec mon mari et me voilà entrain de taper à la machine à Santo Sospir chez Francine Weisweller. Je n’avais jamais vu un lieu pareil tous les murs étaient « tatoués », comme l’écrira plus tard Louis. J’ai honte encore aujourd’hui car à dire vrai je ne savais même pas ce que tapais, j’étais très jeune, mon idole c’était Gary Cooper, et voilà que je me retrouvais devant un personnage que je savais poète mais dont je n’avais rien lu… j’ai tapé trois semaines, scotchée à sa vieille Underwood tandis que Cocteau dictait avec de grandes envolées de bras jaillissant de ses jolies manchettes. C’était comme au théâtre ! » De ces jours naîtra une amitié qui durera jusqu’à la mort du poète, en 1963. Louis Nucéra entretiendra une correspondance avec Jean Cocteau jusqu’à son envol « des lettres émouvantes, spontanées, tendres, je relis souvent cette correspondance, elle montre le vrai visage de Jean, bien loin de la caricature qu’on en a fait trop souvent… »
Louis Nucéra, un artisan des mots, diriez-vous doublé d’un « passeur » ?
Suzanne Nucéra : Louis était un autodidacte, il serait mort pour une faute d’orthographe, une virgule, son dictionnaire favori datait du XIXème siècle, il y trouvait des mots qui ne figuraient pas dans les autres… Ses premiers romans ont été écrits alors qu’il travaillait à la banque, puis plus tard chez Philips, où il s’occupait de vedettes de la chanson. Un « Passeur » Louis ? Oui, à l’image de Brassens. Georges avait des piles de livres qu'il distribuait, lorsqu'on le revoyait il fallait les avoir lus car il nous posait des questions…
Le vélo, l’autre histoire d'amour de votre époux…
Suzanne Nucéra : Une passion qui remonte à la Rue des Diables bleus, à Nice dans le quartier de Saint-Roch. Louis y est né dans une pièce où en ouvrant les yeux il voyait un vélo suspendu au plafond et où dans la crèche de son grand-père les santons étaient des coureurs cyclistes ! Devenu écrivain, en 1987, il publie « Mes Rayons de Soleil » un livre dédié à la Petite reine, lui qui avait grimpé deux fois le Mont Ventoux, et refait en 1985 le Tour de France de Fausto Copi de 1949... [Suzanne Nucéra a fait don au Musée du sport du Stade de France, d’objets, manuscrits, vélos de Louis Nucéra, ils ont rejoint le musée du Stade Nice Allianz Riviera…]
Louis Nucéra, l'inscription du nom de l'écrivain sur le fronton de la bibliothèque de Nice
[ Louis Nucéra a obtenu le prix Interallié en 1981 pour « Chemin de la Lanterne », en 1993, c’est l’ensemble de son œuvre qui recevra le Grand Prix de littérature de l’Académie française, mais la plus grande fierté de son épouse est de l'avoir vu entrer dans la prestigieuse Collection les Cahiers Rouges, chez Grasset, avec un ouvrage retraçant ses plus belles rencontres « Mes Ports d’Attache », un regret pour Suzanne : « Louis n'aura pas vécu ce rêve... ». La ville de Nice, rendra le plus bel hommage qui soit rendu à un écrivain : inscrire son nom au fronton de sa Bibliothèque municipale : « Je serai éternellement reconnaissante à Jacques Peyrat, alors Maire de Nice, pour ce noble geste » conclut celle qui demeurera à jamais la jeune héroïne d’un des plus beaux romans du grand amour de sa vie « Le kiosque à Musique ».]
En 1998, paraît chez Grasset « Ils s’aimaient », un dernier roman troublant…
Florence et Bastien, dès leurs premiers regards, tombent amoureux, ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre, c’est compter sans la violence de la société que Louis Nucéra avait pressentie : le destin tragique du couple prend la forme d'une voiture, elle va heurter celle de Bastien et Florence. Bastien retrouvera la santé, pas Florence. C’était un 9 Août, jour de la Saint-Amour avait écrit Louis Nucéra…