- Auteur Viviane Le Ray
- Temps de lecture 14 min
Exclusif ! Une belle rencontre en Principauté de Monaco : Jean-Marie Rouart
“Je crois que notre rôle d’écrivain est de faire aimer la vie … La culture permet de ne pas désespérer …” Rencontre un jour de mai en Principauté de Monaco avec Jean-Marie Rouart, auteur devenu le plus jeune académicien français en 1997, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Entre père et fils »
Jean-Marie Rouart photo Francesca. Mantovani © Éditions Gallimard
Jean-Marie Rouart, écrivain, journaliste, auteur d’une trentaine d’ouvrages, principalement des romans, « Avant-guerre », Prix Renaudot, sans oublier le Prix Interallié pour « Les Feux du pouvoir », et le Prix Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre. On lui doit par ailleurs trois biographies : le duc de Morny, le cardinal de Bernis et Napoléon. L’écrivain a été élu à l’Académie française en 1997 au fauteuil de l’historien Georges Duby. Jean-Marie Rouart est membre du Conseil littéraire de la Fondation Prince Pierre de Monaco depuis 2000. Vient de paraître son dernier livre chez Gallimard « Entre Père et Fils » : un récit émouvant illustré des œuvres d’Augustin Rouart…
Interview de Jean-Marie Rouart, à l'occasion de la sortie de son dernier livre « Entre Père et Fils »
V.L.R : En 1997, Jean-Marie Rouart, vous devenez le plus jeune académicien français. Comment avez-vous vécu ce jour-là ?
Jean-Marie Rouart : Ce fut très romanesque de me retrouver avec Jean d’Ormesson, Félicien Marceau, Michel Déon, Claude Lévi-Strauss, Michel Mohrt, des écrivains que j’admirais depuis mes 18 ans ! Cependant, j’ai relativisé car je m’étais présenté 5 fois… Preuve qu’il faut faire confiance à la vie ! Je reconnais que j’ai bénéficié de la protection de beaucoup d’anges gardiens, à chaque fois que dans ma vie j’ai été au bord du gouffre, ils m’ont rattrapé. Celui qui a enrichi ma vie, lui a apporté la plus belle lumière, c’est Jean d’Ormesson, nous avons beaucoup voyagé ensemble, c’était un enchantement. C’est aussi l’homme avec lequel j’ai le plus ri… Aujourd’hui, je ris moins !
V.L.R : A chaque rentrée littéraire, j’entends : « Les livres sont moroses parce qu’ils sont le reflet de l’époque », avec une variante : « J’ai écrit ce livre comme une thérapie ». Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Jean-Marie Rouart : Les artistes éprouvent un malaise qui rejoint celui de leurs contemporains, on souffre de perdre ses parents, on est quitté par un être aimé, tout cela n’est pas très gai. Le caractère fugace de la vie humaine, sentiment de tristesse, de morosité a toujours existé, mais ce qui symbolise notre époque c’est l’impression que le monde est dans une impasse artistique, morale, que l’on est dans l’incohérence. Les écrivains essaient d’apporter une lumière à laquelle l’homme puisse se raccrocher, notre rôle est de faire aimer la vie ! La culture permet de ne pas désespérer. A toutes les époques il y a eu des écrivains vulgaires. La qualité est toujours là mais il faut la dénicher. L’important c’est de lire de la littérature, c’est par elle qu’on s’identifie. La littérature est la religion de la France… Elle ne doit pas rester l’apanage de l’université, elle doit être une conquête personnelle… Le reste c’est la folie de l’art !
V.L.R : Avec Jean d’Ormesson, vous partagiez la passion des femmes, des voyages, de la littérature, mais pas la fascination des plateaux de télévision… Croyait-il à la postérité ?
Jean-Marie Rouart : Jean était un homme de pirouettes mais le fond était bien plus sérieux… Il était tellement brillant que les médias étaient gourmands de lui et lui des médias ! Je n’ai pas cette gourmandise. Cela dit, aujourd’hui la littérature étant le parent pauvre il faut utiliser tous les moyens. Je pense qu’il ne croyait pas à la postérité, il pensait que la littérature n’existait plus, et qu’il était en fait le dernier représentant de la fin d’un monde… Je suis moins pessimiste, je vois autour de moi des jeunes qui ont une plume. Je crois à la postérité de la littérature. L’Académie française est là pour y veiller…
V.L.R : Face à l’écriture inclusive, entre autres fléaux, joue-t-elle toujours vraiment son rôle de garant de la langue française ?
Jean-Marie Rouart : Employer l’écriture inclusive c’est se saborder, c’est la voie de la disparition de la langue française, de la locution française… L’Académie Française est une vieille dame de plus de 300 ans qui affronte une époque difficile, elle baigne dans un monde qui n’est pas le sien… Elle me fait parfois penser à ces vaisseaux échoués au milieu de la mer d’Aral asséchée, elle n’a plus ces soutiens qu’étaient les sociétés littéraires, aujourd’hui elle apparaît très solitaire dans notre société mais elle continue son travail. Sur l’écriture inclusive l’Académie a été très ferme, néanmoins nous tous ne luttons pas assez fermement contre le danger de la propagation de l’écriture inclusive entre autres comme vous dites !
V.L.R : Autre fléau la « Moraline » : La Comtesse Berdaiev, héroïne de votre dernier roman est une femme légère, fantasque… Serait-ce un clin d’œil à notre société de plus en plus puritaine ?
Jean-Marie Rouart : J’ai voulu montrer derrière cette apparente légèreté, le mépris qu’elle peut susciter dans une société où les femmes légères ne sont jamais très bien vues… Sa vérité profonde est qu’elle est une femme de qualité, d’honneur. Maltraitée par l’Histoire et la politique, elle vit une tragédie. C’est le rôle du romancier de découvrir la vérité. Une phrase de Vigny lui irait très bien : « Après avoir étudié la condition des femmes dans tous les temps et tous les pays je suis arrivé à la conclusion qu’au lieu de leur dire bonjour, on devrait leur dire : pardon » ! »
Garçon au foulard rouge, 1945, collection particulière. Photo Francesca Mantovani © Éditions Gallimard
V.L.R : Vient de paraître, le 4 mai, « Entre père et fils », un très bel ouvrage illustré par les œuvres d’Augustin Rouart, votre père, vous vous souvenez de votre enfance, votre jeunesse auprès de ce père artiste, qui vous croquez sans cesse, une enfance très particulière…
Jean-Marie Rouart : En effet, mon père m’a peint pratiquement dès ma naissance, une lampe de poche braquée sur moi, je me souviens avoir été réveillé la nuit, très tôt. Il a peint des dizaines de portrait à l’huile, des dessins, ce qui a été le début de mes relations avec mon père. Lui-même avait baigné dans la féérie de l’art, puisque dans ma famille on trouve Julie Manet, fille de Bethe Morisot, que son père avait été peint par mon arrière-grand père Henri Rouart, et qu’il y avait aussi un autre arrière-grand père Henri Lerolle également peintre, dont les deux filles étaient les « Jeunes filles au piano » du célèbre tableau de Renoir… On ne va pas se mentir, les relations entre père et fils passent toujours par des phases très différentes, au début elles ont été tout à fait paisibles, mais mon père avait un petit défaut il était incapable de gagner sa vie, donc nous étions abonnés à la vache enragée ! Ma pauvre mère était contrainte à une vie qui ne correspondait pas à son éducation, d’origine espagnole avait vécu à la Cour d’Espagne, donc c’était un peu difficile, mon père avait un rapport très curieux avec la réalité, je lui en ai un peu voulu de ne pas avoir été capable de gagner de l’argent, plus tard j‘ai compris qu’au fond c’était un privilège d’avoir un père artiste et un père plein de bonté.
V.L.R : Il me semble avoir lu que la peinture, si présente dans votre famille, vous étouffait… Avec le recul, avez-vous pris conscience de votre chance ?
Lettre à Jean-Marie, 1947, collection particulière. Photo Francesca Mantovani © Éditions Gallimard
Jean-Marie Rouart :Vers 13,14 ans il est vrai je ne pouvais plus supporter la peinture par la suite si je ne suis pas devenu peintre moi-même je dois dire que j’ai su l’apprécier… J’ai pu écrire qu’il y avait dans ma famille une obsession de l’art, les conversations tournaient autour de la peinture, on mobilisait les fruits pour peindre des natures mortes… L’atmosphère n’était pas pesante mais obsessionnelle. Il m’est arrivé de les voir débouchant une bouteille de champagne, crever une toile de Manet ! Je me demandais dans quelle famille j’étais tombé ! Il m’a fallu exister, tout en ne trahissant pas cet idéal artistique. J’avais un intérêt pour la société, inconnu dans ma famille, c’est pour cela que j’ai voulu devenir romancier, et à la fois journaliste… Ce que je ne voulais pas c’est être un écrivain maudit, j’ai accepté la société, je ne serais pas à l’Académie sinon… Alors j’ai joué le jeu de la société, et je ne crois pas avoir trahi ma mission en entrant à l’Académie française. Il faut être dans la société et seul dans son art. J’ai essayé de concilier les deux, de faire ce que mon père n’avait pas fait… Il était asocial, c’était un marginal, il avait du mal à s’insérer à un mouvement de peintres, c’était un idéaliste. Il n'a eu de cesse de rester en dehors du circuit de l'art, ne songeant qu'à ce qu'auraient pensé de lui Ingres, Corot, Degas, ses seuls maîtres… Ce qui est intéressant dans sa peinture c’est qu’ayant baigné dans l’impressionnismes puisque mes deux arrière-grands- pères étaient amis de Renoir, de Degas, est que ses influences il les a cherchées beaucoup plus loin à la Renaissance, chez les peintres primitifs et qu’en même temps l’art déco l’a influencé. Dans la famille il aura été de ce point de vue-là le plus original… En 1950, il va connaître une crise, il s’arrêtera de peindre pendant quatre ans, une crise peut-être de couple. En 1954 il revient à la peinture, il a du mal a exister, face à l’arrivée de l’abstrait. Un grand critique qualifiera son art de « réalisme magique ».
V.L.R : Noirmoutier c’est l’île de votre enfance, une enfance marquée par un lien particulier avec ce père peintre…
Jean-Marie Rouart : Dans les années1930 mes parents avaient une maison à Noirmoutier, mon père avait beaucoup peint sur l’île quand cette maison a été détruite en 1942 par les allemands, ce jour-là mes parents perdaient leur seul bien. Ils ont connu beaucoup de déboires dans leur vie. A mes quatre ans ils m’ont confié à des pêcheurs, pas de gaz, pas d’eau courante on s’éclairait à la bougie, mais ces gens étaient formidables, adorables avec moi. C’est à cette époque que j’allais recevoir les lettres illustrées par mon père qui figurent dans le livre « Entre père et fils ». C’est ainsi, à travers son art qu’il a continué à me parler…
V.L.R : Au crépuscule de sa vie, vous lui organisez une exposition à Paris ?
Jean-Marie Rouart : C’était en 1987, pour ses 80 ans, et là je dois dire qu’il a rencontré un beau succès. Bien évidemment il ne pouvait pas être apprécié sans exposer. La critique é été enthousiaste, un livre est paru qui a fait reconnaître un peintre méconnu, au fond il attendait la reconnaissance mais il n’était pas prêt à faire un geste pour l’obtenir… il m'a fallu beaucoup de persuasion pour organiser cette première exposition. Toute sa vie, il a fait comme si le monde autour de lui n'existait pas.
V.L.R : Comment a-t-il vécu vos succès littéraires, puis le graal : votre élection à L’Académie française ?
Jean-Marie Rouart : Il a été fier que je sois devenu écrivain il n’y a jamais eu ce genre de rivalité entre nous, il aurait pu m’en vouloir je n’ai connu que des échecs jusqu’à ce que je devienne journaliste puis écrivain. Malheureusement il est mort quelques jours avant mon élection à l’Académie. Mes succès lui ont procuré une très grande joie il m’en aurait voulu si je n’avais pas suivi une carrière artistique parce que pour lui, le monde se divisait en deux catégories : les artistes et les autres ! L’art pour lui était une valeur supérieure c’était un homme très cultivé, il récitait des poèmes de Baudelaire, de Verlaine toute la journée, il appréciait les arts, et donc la littérature. A l’époque, j’avais le sentiment d’être plus mûr que lui, j’étais devenu le père de mon père, j’avais le sentiment d’avoir mieux géré les rapports d’un artiste avec la société, donc je continue à m’occuper de lui, j’ai fait une donation de ses œuvres au Petit Palais…
V.L.R, Jean-Marie Rouart, si je vous dis que notre époque est vulgaire, que me répondez-vous ?
Jean-Marie Rouart :Nous avons connu des sociétés qui s’extasiaient devant l’art, ce n’est plus vraiment le cas, il faut vivre notre époque et essayer de se maintenir, je ne vis que pour l’art, j’essaie de maintenir cette persistance de l’art qui a mon avis anoblit la vie et nous offre des perspectives éternelles…
V.L.R : Lors de votre dernière conférence à Monaco, invité de la Fondation Prince Pierre vous avez parlé des écrivains répondant à notre aspiration profonde à la justice, un sujet qui vous tient à cœur, je pense à votre combat pour la vérité dans l’affaire Omar Raddad…
Jean-Marie Rouart : Parmi ces écrivains je pense bien entendu à Voltaire, Zola, Balzac. Après ces trois généraux vous avez un nain : c’est moi ! Il y a un autre aspect dans lequel les écrivains doivent s’engager c’est la défense de la loi naturelle contre la loi sociale, D’autres écrivains sont entrés en lutte contre l’injustice, Victor Hugo, Mauriac, se sont engagés de toutes leurs forces pour défendre des innocents. Mais plus largement les écrivains répondent dans leurs livres en dehors de l’ordre judiciaire à une autre aspiration : offrir un monde plus juste. Maupassant, Balzac, Tolstoï, s’efforcent de défendre la loi naturelle, celle à laquelle aspire l’individu, contre la loi sociale qui veut lui imposer ses oukazes. L’engagement de l’écrivain : c’est l’amour, les écrivains ont toujours défendu, des héroïnes comme Anna Karénine… Un écrivain, par essence, est libre vis-à-vis de la morale publique, nous aurons toujours besoin de la littérature elle est l’expression de la liberté publique. La littérature nous apporte une grande respiration : l’amour en réparation des blessures de la vie….
* Actuellement à Paris jusqu’au 30 mai : Exposition des peintures d’Augustin Rouart à la Mairie du VIIème arrondissement.