- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 7 min
Jérémie Rhorer, le Cercle de l’Harmonie autour de Beethoven
Festival de Pâques 2024 – Grand Théâtre de Provence - Aix-en-Provence - Direction artistique Renaud Capuçon.
Le samedi 6 avril 2024, Jérémie Rhorer, chef d’orchestre, dirigera son ensemble ‘ Le Cercle de l’Harmonie’ dans une œuvre monumentale, la Missa Solemnis, chef-d’œuvre absolu de Beethoven. À ses côtés de grandes voix de la scène internationale, Nicole Chevalier, soprano, Varduhi Abrahamyan, mezzo, Mathias Vidal, tenor et Christof Fischesser, basse.
Beethoven, Missa Solemnis
Un cri d’amour, un appel à l’humanité
Hymne fraternel ou œuvre liturgique, c’est à un véritable cri d’amour que nous convie Beethoven. Jérémie Rhorer, à la tête de son ensemble transcende l’œuvre littéralement. L’occasion d’entendre les ‘’Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus et Agnus Dei’’, parés des couleurs uniques du son des instruments d’époque sur lesquels jouent les musiciens du ‘Cercle de l’Harmonie’.
Rencontre avec Jérémie Rhorer, chef d’orchestre et compositeur
Jérémie Rhorer est l'un des chefs d'orchestre les plus passionnants et polyvalents de sa génération. Il poursuit la tradition de l'artiste innovateur en tant que fondateur et directeur musical du Cercle de l'Harmonie , menant l'exploration du répertoire des XVIIIe et XIXe siècles à l'aide d'instruments d'époque et d'accords originaux. En tant que chef d'orchestre, Rhorer est un interprète tout aussi acclamé des œuvres de Beethoven, de Mozart etc. ainsi que des œuvres modernes. Vainqueur du Prix Pierre Cardin, Jérémie Rhorer est également un compositeur très respecté.
Nous l’avons rencontré.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Jérémie Rhorer – Je suis musicien, chef d’orchestre, compositeur et directeur musical du cercle de l'harmonie que j'ai fondé en 2005, il y a presque 20 ans maintenant.
Vous serez au Grand théâtre de Provence le 6 avril pour la Missa Solemnis de Beethoven qui devait d'ailleurs être présenté en 2020
Jérémie Rhorer -Oui absolument ! C'est une grande et belle réparation parce que cela avait été un de nos grands projets en 2020 et malheureusement, cela a été annulé très rapidement au début du confinement. Je suis très heureux de pouvoir le redonner parce que, comme vous le savez, nous sommes en résidence au Grand Théâtre de Provence depuis très longtemps. C'était vraiment espéré et essentiel. Voilà, c'est arrivé, j’en suis très heureux.
Est-ce que c'est une œuvre qui vous tient particulièrement à cœur ?
« Un message humaniste…. Un enjeu existentiel… »
Jérémie Rhorer – Oui, elle me tient particulièrement à cœur pour plusieurs raisons ; d'abord en tant que telle parce que c'est je pense, aux yeux de Beethoven lui-même, l'œuvre la plus achevée, celle qui lui a demandé le plus de travail et celle qui transmet peut-être au plus près de ses intentions son message humaniste et sa foi en en l'homme. C’est toujours, pour moi, pratiquement un enjeu existentiel de se replonger dans cette partition.
Puisque vous parlez d'humanisme, le Miserere dans l'Agnus Dei est cette misère de l'homme perdu dans le pourquoi même de l'existence. Ne pensez-vous pas qu'il résonne encore plus fort aujourd’hui ?
« Le Miserere nous renvoie à cette essence de notre être, ce potentiel divin de l’homme. »
Jérémie Rhorer -Absolument ! C’est vraiment pour moi l'incarnation de la phrase de Pascal, « Misère de l'homme sans Dieu… » Elle résonne particulièrement. Nous sommes à une époque où, finalement, depuis le dix-neuvième siècle Dieu est mort et les idéologies ont triomphé. Je pense que, même si on connaît peu ses orientations et ses croyances religieuses, Beethoven avait foi, disons, en ce potentiel divin de l'homme. On a la possibilité de l'exprimer précisément par l'art et par la musique. Le Miserere, la musique, nous renvoie effectivement à cette essence de notre être. C’est le message le plus culturel qui soit pour un musicien et c’est un message existentiel pour l'homme.
Encore plus d’actualité aujourd’hui…
« La transcendance »
Jérémie Rhorer – Je pense en fait que la spiritualité sous diverses formes prend beaucoup d'importance dans la place des personnes aujourd'hui et qu'elle fait partie de leurs recherches et de leur quête spirituelle. On est dans un monde extrêmement matérialiste. Ceux qui viennent au concert, ceux qui vont dans les musées, sont aussi ceux qui recherchent le sens de la vie et, parfois, par la transcendance.
Que ressent-on quand on joue une telle œuvre sur des instruments d'époque ? Est-on à même de ressentir les mêmes vibrations qu’à cette époque-là ?
« Des instruments plus fruités, plus timbrés…pour raviver la couleur »
Jérémie Rhorer – Cela change partiellement le message mais pas dans ses grandes lignes. Ce qui est important pour nous, c'est de recréer le contexte sonore que connaissait le compositeur lui-même. Le compositeur savait exactement ce qu'il faisait, pour quels instruments et pour quelles possibilités et potentialités il écrivait. Donc effectivement ça redonne, un peu comme dans un tableau, ses couleurs originelles, parce qu’on utilise des instruments qui sont plus fruités plus timbrés. Les flûtes, par exemple, étaient faites en bois, pas en métal qui n’induisent pas le même son ; la même chose pour les archers. Bien sûr ça ne change pas fondamentalement et ça n'emmène pas dans un monde complètement inconnu. L'image la plus proche est vraiment la restauration des couleurs vives d'un tableau d'origine. Je suis à Madrid en ce moment et au musée du Prado, le David contre Goliath du Caravage a été restauré. La façon dont la lumière apparaît, c’est extraordinaire, une merveille ; j’ai été ébloui. C’est très proche, en fait, de la démarche musicale que nous avons.
La Missa Solemnis est une œuvre où le chœur et les solistes sont importants. De qui serez-vous entouré ?
« J’ai choisi des chanteurs vraiment qui me sont proches musicalement, artistiquement. »
Jérémie Rhorer - Je suis très heureux d’interpréter cette œuvre dans ce Festival, avec la Audi Jungendchorakademie, un chœur de jeunes voix splendides. Quant aux solistes, Varduhi Abrahamyan a une carrière déjà immense, elle chante régulièrement au Met, et lorsque je l’ai connue elle tenait cette partie de mezzo-soprano. J'ai travaillé plusieurs fois avec Johannes Weisser (également pour la Missa Solemnis). Je suis ravi de travailler avec Chen Reiss pour la première fois, et Daniel Behle est le ténor idéal. J’ai choisi des chanteurs vraiment qui me sont proches musicalement, artistiquement.
Vous êtes donc toujours en résidence au Grand Théâtre de Provence, sous notre soleil généreux.
Jérémie Rhorer - Avec un grand bonheur ! J'adore la région et le public de cette région qui est extrêmement connaisseur et très chaleureux.
Des projets ?
Jérémie Rhorer – Je suis à Madrid au Teatro Real à la tête d’une production qui triomphe : La Voix humaine de Jean Cocteau sur une musique de Francis Poulenc, pour commémorer le 150e anniversaire de la naissance d'Arnold Schoenberg.
Une dernière demande, quelle est votre conception du bonheur ?
Jérémie Rhorer – La musique, la vie en musique.