Rencontre avec Dominique Bluzet, directeur “Les Théâtres” et du Théâtre municipal d’Arles

Directeur des théâtres du Gymnase et des Bernardines à Marseille, du Grand Théâtre de Provence et du Jeu de Paume à Aix-en-Provence, directeur du Festival de Pâques toujours dans la ville aux milles fontaines, nommé en juin 2024 par Patrick de Carolis à la tête du théâtre municipal d’Arles, Dominique Bluzet s’est confié au magazine Marie-Céline dans une interview sans tabou.

Interview de Dominique Bluzet, directeur "Les Théâtres"

Dominique Bluzet aspirait au métier d’avocat pénaliste. Jeune étudiant, il assiste au procès de Patrick Henry défendu par Robert Badinter qui réussit à lui éviter la guillotine. Devenu Ministre de la Justice, Robert Badinter fera abolir la peine de mort. Déjà, chez le jeune Bluzet, une soif d’humanisme et l’envie de briller ; une cour d’assise, un prétoire, des effets de manche, le décor est planté. Il ne restait qu’un pas à faire pour rencontrer ce qui, désormais, sera le ferment de sa vie : le théâtre. C’est un ami qui lui demande de l’accompagner à un cours de théâtre. Il y est resté.

Des rêves de gamin… exaucés

Dominique Bluzet, enfant, rêvait, à l’instar d’Aznavour, de se voir en haut de l’affiche et entrer sur scène sous les ovations et les projecteurs. Grand comédien, les ovations et les projecteurs, dans les plus grands théâtres, ne lui ont pas manqué. Plus grand, il rêvait de tourner une scène d’amour sur grand écran et se voir comme l’incarnation de l’amour. Chose faite puisqu’il se retrouvera plusieurs fois au lit, par exemple nu comme un ver, en compagnie de Vanessa Paradis et Clotilde Coureau dans ‘Elisa’. Dominique Bluzet tourne une dernière fois avec Isabelle Adjani pour TF1 ‘Le mariage de Figaro’ d’après Marivaux. La boucle est bouclée. L’homme a accompli ses rêves d’enfant. 

‘Trouver sa juste place, un long cheminement intérieur’

Pour Dominique Bluzet, une des choses les plus difficiles dans la vie, c’est de trouver sa juste place ; un long cheminement intérieur qui lui fait comprendre que sa juste place était de vivre dans un théâtre, pas forcément d'être un acteur, pas forcément d'être un metteur en scène… mais être patron d'un théâtre, être à la jonction de tout ce qu’il avait appris comme comédien, comme metteur en scène, comme producteur etc. La synthèse de tout cela était d’être directeur de théâtre.  

2024, Une année de défis pour "Les Théâtres"

Bien qu’il appelle 2024 une année ‘charnière’ dans beaucoup de domaines, politique, organisationnel, etc. Dominique Bluzet affirme qu’elle sera formidable artistiquement. Ce sera une année de défis. La société, le monde, le continent, le climat, les guerres, sont en crise. Beaucoup de questions se posent. Le théâtre est l’un des derniers endroits où on peut rassembler des gens autour de l’idée d’un bonheur, d’un plaisir, d’une émotion commune. Quand les choses allaient mal, nous dit-il, les gens se réunissaient dans des églises, dans des temples ; ils étaient ensemble pour communier sur leurs peurs, leurs interrogations, leurs angoisses et ils pensaient, dans les siècles précédents, que Dieu pouvait être une réponse. La religion ne rassemble plus et l'homme se retrouve face au monde et à l'adversité, face à la mort. Les politiques aujourd'hui, on sait qu'ils n'ont plus la réponse. Les individus se sentent livrés à eux-mêmes.  Ce qui nous rassemble, ce sont des notions autour du bonheur ou autour du collectif comme au moment des jeux olympiques où, tout d'un coup, les gens sont heureux parce que, pendant 15 jours, ils n’ont pas entendu parler de politique. La politique, c'est devenu anxiogène, la guerre c'est anxiogène, le climat c'est anxiogène. Ce qui n’est pas anxiogène, c’est le spectacle vivant, c’est se retrouver à 100, à 500, à 1000, à 10000 à éprouver une émotion commune et une joie collective.  

Une mission pour le bien commun

Être directeur de théâtre, c’est faire une mission pour le bien commun et ça passe par comment avoir une programmation ouverte au plus grand nombre quel que soit son âge, quelle que soit son origine sociale, quelle que soit sa culture de base ou sa non-culture. Faire en sorte que chacun, avec son parcours intellectuel, puisse trouver quelque chose qui lui ressemble, qui lui parle, qui permet aussi d'identifier une émotion. 

Le Kairos

Dominique Bluzet a eu un parcours de premier de la classe : plus jeune directeur de théâtre, un des plus jeunes metteurs en scène d’opéras, comédien, acteur… Il quitte Paris à l’âge de 29 ans, il y a 35 ans, pour aller dans une ville où il ne connaissait personne. Ce fut Marseille. Il y croise son ‘Kairos’, la rencontre du hasard et de la destinée, une ville qui lui donne une raison d’être d’abord parce qu’il est de mère corse et la Méditerranée inconsciemment est devenue à ce moment-là un élément structurant de sa vie moi. Il y eut Marseille, il y eut Aix-en-Provence, il y a eu Arles.  Marseille lui donne le sens du grand à cause de l'infini de la mer. Aix lui donne le sens du beau grâce à son architecture et Arles le sens de l'histoire. 

Une aventure culturelle

« C'était fondamental de pouvoir me dire c'est quoi le théâtre ça sert à quoi c'est à la fois très prosaïque : ça sert à faire rire ou à faire pleurer les gens. C’est un acte très facile d'accès mais c'est un acte, quand on le pratique, qui a plusieurs degrés de lecture et c'est comme un immeuble ; vous pouvez être au rez-de-chaussée, dans le jardin vous profitez puis vous montez d'un étage vous avez un autre point de vue, un 2e étage vous avez un autre point de vue quand vous êtes au dernier étage, vous voyez encore autre chose ; le rapport à l'art pour moi c'était ça ; c'est comment être un homme qui aujourd'hui se dit il faut faire une programmation pour les enfants pour les personnes plus âgées pour ceux qui ont envie de rire pour les cons comme moi pour eux les intellos comme mes copains pour ceux qui ont envie d'un rapport au texte classique ou aux écritures contemporaines pour ceux qui aiment la danse ou ceux qui aiment le cirque, et en même temps comment aller vers les gens les plus fragiles dans les villages en montant cette opération aller vers, on va dans des hôpitaux dans des ehpad dans des maisons de retraite sur des places de village dans des centres sociaux, dans des endroits éloignés… »

En additionnant trois items, Dominique Bluzet construit une aventure culturelle qui agit à la fois sur la mémoire à travers l'histoire, sur l'esthétique à travers le beau et sur la pensée à travers l'infini.  

Dominique Bluzet, un homme passionné

« Nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. »

Féru d’histoire, passionné, Dominique Bluzet connait à fond ‘ses’ théâtres. Il s’investit à fond, comme pour le Théâtre du Jeu de Paume où il choisit les couleurs des murs -8 rouges différents- et dont il nous raconte l’histoire nommant en l’envi Louis XIV, le précieux bois de padouk qu’on ne trouvera plus désormais que dans ce théâtre, avec sa particularité formidable de la Comédie Française qui a ouvert le théâtre… et le buste de Molière.

Le catalogue des Théâtres : un voyage imaginaire au programme

Rêveur Dominique Bluzet ? Sans-doute puisqu’il rêve, avec son catalogue des théâtres, à un voyage imaginaire qui mènerait le public, tous les publics, vers Les Théâtres…