- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 7 min
David Kadouch, la maturité d’un prodige
C’est lors du concert du 9 novembre 2023, donné au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence par l’Orchestre National Avignon-Provence dirigé par Débora Waldman que nous avons rencontré le prodige David Kadouch, pianiste virtuose, à l’occasion du Concerto pour piano n° 24 de Mozart et de la Symphonie n°6, dite pathétique, de Tchaïkovski.
Interview vidéo avec David Kadouch – Grand Théâtre de Provence – © Marie-Céline
Rencontre avec David Kadouch, lors de son concert au Grand Théâtre de Provence, le 9 novembre dernier, avec l'Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction de Débora Waldman.
Né en 1985 à Nice, c’est très tôt, à l’âge de cinq ans, que sa mère, amante des arts, met David et ses autres enfants au piano. Issue de l’immigration, le piano, pour elle, représentait à l'origine, quelque chose de beau, un facteur d’équilibre social. Elle dénote chez David, au piano, un son particulier et le pousse dans cette voie. Elle le mène alors de professeurs en master-classes et lui permet ainsi, petit à petit, de développer sa carrière.
David Kadouch, virtuose pianiste
Un début de carrière brillant
La carrière de David Kadouch éclate très rapidement. Remarqué à l’âge de 13 ans par Itzhak Perlman, il joue sous sa direction au Metropolitan Hall de New York. Il se produit à l’âge de 14 ans au Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou et très vite au Carnegie Hall de New York. Mais c’est avec les années que le pianiste a dû trouver comment se définir, savoir ce qu’il voulait faire, ce qu’il voulait dire sur scène, quel répertoire défendre, quel message il voulait faire passer. S’il a mis du temps à le savoir, son approche musicale nous montre qu’il a répondu à ces questions qui donnent du sens à ce que fait l’artiste. Il est nécessaire d’avoir un but, de donner du sens, de se projeter, de se connaitre, d’épouser ses formes, à soi. Répondre à ces questions passionnantes est un travail incessant qui hante l’artiste tout au long de la journée. Savoir se définir, c’est le métier d’une vie.
« Je ne suis qu’interprète dit-il. Je fréquente parfois des compositeurs qui arrivent vraiment à donner leur voix. »
Humble, David Kadouch a un a priori étrange sur sa carrière. Confronté à de grands compositeurs qui ont fait plus que des œuvres d’art, des chefs-d’œuvre, sa qualité d’interprète lui donne un vision non pas négative, mais petite, de ce qu’il peut accomplir. « Je ne suis qu’interprète dit-il. Je fréquente parfois des compositeurs qui arrivent vraiment à donner leur voix. »
La passion avant tout
« Il faut juste trouver l’émotion juste »
Avec très peu d’autres passions, la vie de David Kadouch tourne autour de la musique dont il se nourrit. Le monde de la musique classique est un monde vraiment à part avec un public qui ne se renouvelle pas vraiment. David Kadouch travaille des compositeurs qui sont morts parfois depuis des centaines d’années. Pour dédier des années entières à ce répertoire, il faut être passionné et il l’exprime :
-« Il faut se mettre comme un acteur sur scène, épouser l’arc narratif, épouser les questionnements d’un compositeur, épouser vraiment ce qu’on pense d’une phrase. Ce ne sont pas seulement des termes musicologique, ce peut être quelqu’un qui pleure dans une phrase, un questionnement, un doute, ce peut être une prière. Monter sur scène et prendre cette matière-là qui est une matière émotive véritablement, j’ai eu pendant une période de ma carrière un peu peur de le faire car, c’est étrange de le dire, j’avais peur de mal le faire. Maintenant, peut-être avec le bagage culturel que j’ai, parce que j’ai lu beaucoup, je me suis vraiment cultivé sur les compositeurs, j’arrive davantage à parler de jeu par exemple quand je joue Mozart ; pouvoir dire ‘c’est moi qui parle’ mais je sais d’où je parle, je sais avec quel style je peux parler. Oui, je suis quelqu’un d’émotif car ce que les gens veulent avoir devant eux c’est un témoignage humain, quelque chose qui les fait vivre, qu’ils vivent eux-mêmes tous les jours. Il faut juste savoir trouver l’émotion juste. C’est mon métier, c’est ma recherche en tous cas. On raconte une histoire, l’histoire de ce moment-là, ce qu’on en déduit de ce qu’il s’est passé à ce moment-là dans leurs vies. Ce sont des expériences universelles qui parlent de tristesse, de doute, de beaucoup d’angoisse, de la vie. «
La concentration avant concert
David Kadouch a besoin d’être très concentré avant le concert, avec l’impression parfois que son corps se met en hibernation mais avec toute l’énergie en réserve. Avec les années, il a appris à faire confiance en son corps. S’il aime bien travailler jusqu’au dernier moment, la scène pour lui, n’est qu’un moment ‘Working progress’. Même si le public a l’impression d’entendre la version ultime et accomplie de l’œuvre, David Kadouch aime penser que la scène fait aussi partie d’un cheminement. En travaillant jusqu’au dernier moment, l’artiste arrive encore à trouver des idées, des chemins différents. Ce travail l’aide à dédramatiser. Sur scène, les automatismes prennent le dessus. L’artiste se laisse dévorer par son travail. Il s’agit de faire confiance en ce travail pour qu’il prenne le pas sur les peurs et les angoisses du moment.
Le répertoire des compositrices
Le répertoire des compositrices a été, depuis quelques années, quelque chose qui a ému, quelque chose que David Kadouch a voulu défendre en concert et qu’il joue beaucoup. Le 27 octobre 2023, l’Orchestre national Avignon Provence a proposé à David Kadouch une œuvre somptueuse, une première d’une compositrice qui n’a jamais été jouée en France, Lùcia Garùta, une musique d’émotion, un concerto très émouvant pour le pianiste, une musique limpide. Monter sur scène et défendre ce répertoire a été un grand bonheur pour l’artiste.
Les projets
Deux duos, deux disques pour très bientôt, l’un avec Edgar Moreau au violoncelle et l’autre avec la chanteuse Sandrine Piau plus un disque solo qui va sortir dans environ un an et demi. En termes de répertoire, à la Philharmonie de Paris David Kadouch joue trois soirs de suite en janvier, un projet autour de Arnold Schönberg avec Bertrand Bonello, réalisateur, qui fera une mise en scène de la vie de Schöenberg. Sur l’agenda, La folle journée de Nantes, fin janvier également et des tas d’autres projets. Ce qui excite profondément l’artiste, c’est de rejouer le concerto de Clara Schumann et d’enregistrer le concerto de Lùcia Garùta avec l’orchestre d’Avignon, un concerto qui a vraiment besoin d’être défendu.
Parler aux gens
En qualité de pianiste qui défend un répertoire de compositeurs morts il y a deux cent ans, avec un public qu’il faut vraiment ramener dans les salles, David Kadouch pense, et il a raison, qu’il est important d’être sur les réseaux sociaux, de parler aux gens, de présenter ses choix de concert, d’expliquer pourquoi on fait ce métier.
-« C’est étrange, nous dit David Kadouch, je me réveille parfois et je me dis aujourd’hui je vais travailler du piano toute la journée, parfois j’ai des moments de pause et je me dis c’est vraiment un choix de vie étonnant. Les spectateurs aussi doivent le penser, et d’en parler, de savoir en parler, de blaguer même à propos de cela, de parler des compositeurs, de les mettre dans des situations contemporaines… C’est ce que j’essaie de faire dans les réseaux sociaux. »
Une vie pour et par la musique
Eclairer différemment ce monde qui est le monde de la musique classique, qui n’est pas un musée, qui fait vivre les compositeurs encore maintenant, parce qu’ils ont des choses à dire de notre époque, c’est ce que fait David Kadouch, avec brio et génie, sur scène et hors de la scène, pour notre plus grand bonheur.