- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 13 min
Guten Tag, Madame Merkel : l’amour de la scène, le pouvoir des mots …
Rencontre avec Anna Fournier, comédienne, auteur, metteur en scène à l’occasion de sa venue à Saint-Rémy-de-Provence le 19 octobre prochain, pour présenter, son seul en scène sur la vie d’Angela Merkel, Guten Tag, Madame Merkel.
© Marie Charbonnier
Le 19 octobre 2023, Anna Fournier sera à Saint-Rémy-de-Provence, dans le cadre de la saison culturelle 2023-2024 de la salle de l'Alpilium, pour y incarner Madame Merkel dans une seule en scène passionnant et satirique sur la vie d’Angela Merkel : ‘Guten Tag, Madame Merkel’, compagnie Les Oiseaux de Minerve. Un biopic captivant qui nous plonge avec beaucoup d’intelligence et d’humour dans la vie d’Angela Merkel, nous donnant un éclairage sur la vie de cette politicienne et ses relations avec les grands de ce monde. En parallèle au spectacle, la ville de Saint-Rémy de Provence propose un Focus sur l'Allemagne, en partenariat avec le Comité de jumelage allemand Saint-Rémy / Pfarrkirchen, en Bavière.
Guten Tag, Madame Merkel - Anna Fournier
Un coup de maitre pour un coup d’essai
Comédienne, actrice, metteur en scène, auteur, Guten Tag Madame Merkel, première pièce écrite, interprétée et mise en scène par Anna Fournier, est un coup de maitre pour un coup d’essai. Cette seule en scène enthousiasmante récolte un succès mérité et est plébiscité par les publics de tout l’hexagone. Si Anna Fournier a le pouvoir de séduire son public d’abord, ses interlocuteurs ensuite, c’est par l’intelligence, la clarté du propos, le talent, la générosité et l’empathie. Nous l’avons constaté lors de notre rencontre.
Nota bene, ce premier essai lui a donné le virus de l’écriture ! On attend la suite avec impatience!
Anna Fournier est Madame Merkel… mais pas seulement
Avec un léger accent allemand redoutable, Anna Fournier déroule l’histoire de cette politicienne «sans charisme», comme elle aime à se définir elle-même, devenue la femme la plus puissante du monde. Avec une dizaine d’autres personnages à ses côtés, de Bismarck à Vladimir Poutine en passant par Nicolas Sarkozy, on suit sa vie de la chute du mur du Berlin jusqu’à la fin de sa carrière, découvrant ainsi sous l’angle intime cette femme de pouvoir secrète à l’intelligence politique redoutable. Traitée dans le registre satirique, « Guten Tag, madame Merkel » est une véritable pépite !
Bonjour Anna Fournier. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Anna Fournier – Je suis comédienne, actrice et metteuse en scène. J’ai commencé la vie professionnelle en faisant des études d’histoire et je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que j’avais envie de faire. J’ai bifurqué vers le théâtre, ma passion. Je suis entrée au Cours Florent la seule école que je connaissais, venant de Bretagne. J’ai intégré par la suite le Conservatoire national supérieur d’Art dramatique de Paris. A partir de là, j’ai commencé ma carrière professionnelle de comédienne. « Guten tag, madame Merkel » est le premier spectacle que j’écris.
Vos études d’histoire vous ont sans-doute servie pour écrire ce spectacle…
Anna Fournier – Oui, quand j’ai commencé à écrire sur Merkel, ça m’a été très utile d’avoir eu cette formation en histoire effectivement. Ça m’a aidé à avoir une méthodologie et un support pour la véracité du propos. Ce n’est pas mon rapport à l’histoire qui m’a donné envie d’écrire ce texte, mais plutôt mon rapport à la politique.
Est-ce une pièce politique ?
Anna Fournier – Je ne dirais pas que c’est une pièce politique. C’est une pièce qui parle de politique. Je pense qu’elle n’est pas politique dans la mesure où je considère que c’est au spectateur de se faire une opinion de ce qu’il voit de ce personnage. Mais, évidemment, j’y inscris un peu de mon opinion personnelle…
C’est obligatoire
Anna Fournier – Oui, c’est cela, il faut un point de vue.
Est-ce que c’est géopolitique ?
Anna Fournier – Dans une certaine mesure. Il a fallu que je choisisse un axe et je trouvais que l’axe de l’amitié franco-allemande était particulièrement intéressant. Après, je parle inévitablement de ses relations avec la Russie, avec les Etats-Unis, avec la France. Ce sont des notions assez simples naturellement, mais il y a un peu de géopolitique, oui.
Quand l’avez-vous mise en scène ?
Anna Fournier – Malheureusement, juste avant la COVID. La première représentation devait avoir lieu le 1er avril 2020. Finalement, elle a eu lieu le 7 septembre 2020 mais ça a vite été fauché par le deuxième confinement.
Et quand l’avez-vous écrit ?
Anna Fournier –J’ai commencé à l’écrire en avril 2019 parce que je venais de faire une tournée avec une compagnie qui s’appelle ‘le Birgit Ensemble’, une compagnie parisienne avec laquelle je travaille beaucoup. C’est une compagnie qui, justement, aborde beaucoup les questions politiques. Nous avions fait un spectacle, ‘Dans les ruines d’Athènes’, qui racontait la crise de la dette grecque. Dans ce spectacle, je jouais déjà Angela Merkel. Quand on a terminé de jouer ce spectacle, j’ai ressenti comme une nostalgie de ce personnage que j’avais adoré jouer et j’ai décidé d’écrire un seul en scène sur elle à ce moment-là.
Donc bien avant la guerre en Ukraine…
Anna Fournier – Oui, bien avant. Elle était encore au pouvoir quand j’ai commencé à écrire.
Vous n’avez pas pu parler, donc, de l’intervention de l’Allemagne dans cette crise.
« …j’ai écrit la pièce de telle sorte que le dernier acte puisse être toujours modifiable pour être en rapport avec l’actualité »
Anna Fournier- Inévitablement, j’ai dû réécrire la fin du spectacle. En fait, j’ai écrit la pièce de telle sorte que le dernier acte puisse être toujours modifiable pour être en rapport avec l’actualité. Quand je l’ai joué les premières fois, elle était toujours au pouvoir. Il y avait donc toujours la possibilité d’évolution de quelque chose. Quand la guerre en Ukraine s’est déclarée, la première chose que j’ai faite c’est de me dire qu’il n’était pas possible de ne pas en parler dans le spectacle, donc j’en parle.
Traitez-vous aussi le sujet avec humour ?
«C’est un spectacle qui se veut drôle. »
Anna Fournier – Oui, c’est un spectacle dont la première visée est satirique. C’est un spectacle qui se veut drôle. Je suis née à la fin des années 80 ; mon rapport à la politique est très bercé par ’Les guignols de l’info’, par cette forme de rapport satirique à la politique.
D’une manière générale, traiter la politique par la satire ne risque pas d’éloigner les citoyens de la politique ?
Anna Fournier – J’ai été très bouleversée par une phrase de Shakespeare qui a beaucoup changé mon rapport à l’humour et à la satire : « Lorsque j’écris une pièce, je veux toujours qu’elle soit drôle, que ce soit une tragédie ou pas, parce que, lorsque les gens rient, ils sont beaucoup plus capable de recevoir les choses. » Je suis profondément d’accord avec cet adage-là. Je crois vraiment que si l’homme a inventé l’humour et la satire, c’est aussi pour se donner la possibilité de rire de ce qui est violent. Je pense que quand on rit de ce qui est violent, on ne le met pas à distance. Au contraire, on le reçoit en plein visage et on réussit à le prendre en charge, surtout quand la violence du réel est trop dure. C’est au contraire quelque chose du spectateur-acteur.
DDV – Vous jouez ce spectacle à Saint-Rémy-de-Provence le 19 octobre 23 dans cette magnifique salle de l’Alpilium. Y avez-vous déjà joué? Vous connaissez la ville ?
Anna Fournier –Non, c’est la première fois que je joue là-bas. Je connais Saint-Rémy par sa proximité avec la ville d’Avignon où j’ai joué deux spectacles en 2022 dont Guten tag Madame Merkel.
DDV – Quand on joue ce genre de spectacle et quand on l’a écrit, on a une idée précise de la personne de madame Merkel. Avez-vous travaillé de concert avec le costumier etc. ou avez-vous simplement fait écriture et mise en scène ?
Anna Fournier – Lorsque j’ai écrit le texte, j’avais déjà beaucoup de choses en tête. Comme je n’avais jamais mis en scène, au départ, j’ai proposé à une amie metteur en scène de s’occuper du spectacle, elle m’a répondu : « Non, je pense qu’il faut que tu le fasses, toi, parce qu’on sent que tu as déjà en tête tout ce que tu veux faire. » Je me suis donc saisie de la mise en scène du spectacle et je me suis entourée de gens en lesquels j’avais vraiment confiance, que ce soit pour la lumière, pour le son, pour la scénographie, pour les costumes. Je leur ai expliqué que j’avais envie de faire quelque chose de très simple comme mise en scène. Quelque chose qui puisse se transporter facilement aussi pour des questions techniques. Je suis sensible à l’environnement et je trouve important de ne pas déplacer de gros camions quand on part en tournée etc. J’ai dit, à la costumière notamment, que je voudrais bien trouver un costume pour que, dès qu’on le voit, on identifie Merkel immédiatement, sachant que, physiquement, à part le fait que je sois blonde, on ne se ressemble pas beaucoup.
Je pense que ça n’a pas d’importance…
Anna Fournier – ça n’a aucune importance, je suis bien d’accord avec vous. Il fallait trouver une convention théâtrale qui permette aux jeunes d’identifier immédiatement Merkel. J’ai un amour des accents et j’ai pensé immédiatement à faire un léger accent allemand. Evidemment il y a les gestes qu’elle fait, cette veste qu’elle porte tout le temps, ce petit col Mao etc. On a élaboré cela ensemble pour essayer de diviser en trois pôles la vie de madame Merkel, sa vie publique, sa vie privée et sa vie de bureau. Je joue aussi dans le spectacle treize autres personnages.
Les personnages qu’elle a rencontrés dans sa vie politique ?
Anna Fournier –Oui, c’est ça. De Helmut Kohl à Nicolas Sarkozy en passant par Poutine etc.
Le public doit réagir différemment selon les régions.
Anna Fournier –Absolument ! J’ai déjà joué à Strasbourg notamment, c’est drôle comme le public avait toutes les références que n’ont pas forcément le public parisien ou avignonnais par exemple.
Avez-vous eu des retours de personnes mécontentes de la façon dont vous présentez Madame Merkel ?
Anna Fournier – J’ai eu un retour qui m’a beaucoup fait rire. Une dame avait l’air un peu chiffon à la fin du spectacle. Je vais la voir et elle me dit « Je suis un peu en colère contre vous, parce que je sors de ce spectacle avec un peu de tendresse pour cette dame. Je n’aime pas du tout cette femme, je ne suis pas du tout d’accord avec ses idées aussi, et je sors de là avec le sentiment que c’est quand-même quelqu’un d’extrêmement sympathique. » Je lui ai dit « Je vous ai remis entre les mains les mêmes problématiques que les miennes. C’est-à-dire que je ne suis pas du tout d’accord avec la plus grande partie des décisions qu’elle a pu prendre, notamment pendant la crise grecque, mais j’avoue que, malgré tout, j’éprouve pour elle un respect. Je trouve que c’est une femme qui, en politique, a beaucoup d’authenticité, une certaine droiture qui nous manque, je pense, dans notre politique française ; un respect de l’opinion du peuple, quelque chose que je trouve assez remarquable en termes de respect de la politique et de la démocratie. » Avec cette dame, on en a beaucoup ri.
C’est surtout un merveilleux compliment à la comédienne. Avez-vous en tête un autre spectacle, une autre écriture ?
Anna Fournier – Oui, j’ai beaucoup réfléchi au deuxième projet car cette pièce m’a vraiment inoculé le virus de l’écriture. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans une manière de faire du théâtre ni dans un format et je me suis dit qu’il fallait que je m’attaque à quelque chose qui fait sens pour moi aussi. Je crois que j’ai très envie de faire du théâtre politique au sens le plus large du terme. Mon prochain spectacle parlera du mythe du monde du travail.
Vous vous attaquez au gros œuvre…
Anna Fournier – (rires) Je voudrais, toujours sur le mode satirique, toujours inspirée par cette phrase de Shakespeare, essayer de comprendre les raisons pour lesquelles on est à ce point coincés dans une vision de ce qu’est le travail, alors que c’est un fictif que nous avons-nous-mêmes créé ; essayer de comprendre quel est notre rapport au travail, pourquoi est-ce qu’il prend autant de place dans nos vies, pourquoi est-ce que les nouvelles générations questionnent profondément la nécessité du travail, l’organisation du travail. C’est une tentative pour essayer de comprendre les mythes qui nous font avoir ce rapport au travail.
Ma dernière demande, quelle est, Anna, votre conception du bonheur ?
Anna Fournier – Je crois que c’est l’altérité, le plaisir de découvrir la différence de l’autre, de la comprendre. Je crois que c’est accepter de vivre de peu. Le métier de comédien est un métier précaire mais qui offre, par ailleurs, beaucoup de liberté, de créativité, d’éprouver de l’amour et d’être aimé.
Renseignements, réservations, billetterie Spectacle Guten Tag Madame Markel, d'Anna Fournier
Jeudi 19 octobre 2023 à 20h
Salle de l'Alpilium
Avenue Mal de Lattre de Tassigny
13210 Saint-Rémy-de-Provence
Tarif spectacle : de 8 à 18 €
Renseignements : 04 90 92 70 37 ou 06 23 89 76 45
Réservations : 06 29 19 69 78
mairie-saintremydeprovence.com