- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 28 min
Quand la nuit inspire le génie, il s’appelle Victor Dixen
Rencontre avec l’auteur de science fiction Victor Dixen pour la sortie de son dernier roman La Cour des Miracles et de sa dernière bande dessinée de la série Phobos. Né d’un père danois et d’une mère française, Victor Dixen nous transmet son amour du voyage autant physique qu’imaginaire. Victor Dixen a remporté deux fois le grand prix de l’Imaginaire, catégorie « jeunesse francophone » : en 2010 pour le premier tome de la tétralogie Le Cas Jack Spark, et en 2014 pour le premier tome de la série Animale. Il sera en dédicace à Marseille le 1er Juillet 2021, à la librairie Prado-Paradis.
Ne ratez surtout pas Victor Dixen ! Cet été, l'écrivain traverse l'océan atlantique pour retrouver ses lecteurs français.
Il sera le 1er Juillet 2021 à Marseille, à la librairie Prado-Paradis, à la rencontre de ses lecteurs et dédicacera ses livres, sa dernière-née des BD Phobos aux éditions Glénat, et son dernier roman "La Cour des Miracles" dans la série Vampyria aux éditions Robert Laffont, une histoire menée tambour battant, une plongée palpitante parmi les ombres du Grand Siècle éternel. Victor Dixen, immense auteur, double lauréat du Grand Prix de l’Imaginaire, lauréat du Prix Young adult au Festival du livre de Marseille organisé par l’association Parlez-moi d’un livre. Il est l’une des figures de proue de la littérature française de l’imaginaire ("Animale", "Cogito", "Extincta", ainsi que les sagas "Phobos" et "Vampyria"). Écrivain nomade, il a vécu à Paris, à Dublin, à Singapour et à New York, puisant son inspiration aussi bien dans les promesses du futur que dans les fantômes du passé.
« Je me nourris des frémissements de la société »
Victor Dixen, l'auteur de l'imaginaire contemporain
Victor Dixen aime les contes. Une image me vient à l’esprit, celle de Théo, mon petit-fils, assis à terre dans un carton. Il conduit sa "fusée". Il va conquérir les planètes inconnues. Victor Dixen a gardé de son âme d’enfant la faculté d’inventer, de se projeter dans des mondes fantastiques. Et il réussit haut la main. Qu’ils soient de brume ou de feu, les univers de Victor Dixen vibrent à chaque page, dévoilant des palettes de couleurs où même les sentiments, sombres, arachnéens, voilés, vifs ou lumineux, s’enchevêtrent, éclairent et chatoient, intensément. En véritable magicien des mots, Victor Dixen ne vampirise pas le lecteur, il l’enchante. Attention, les livres de Victor Dixen ne sont pas anodins. S’ils nous emmènent dans des mondes qu’on explore avec avidité et plaisir, force est de constater que l’écrivain pose des questions existentielles, sociales, sociétales, qui poussent subtilement le lecteur à la réflexion. En fait, ces questions, il se les pose en même temps que le lecteur. Auteur et lecteur cheminent ensemble, rêvent ensemble, s’évadent ensemble. Dans ses romans, l’onirisme, le fabuleux, le chimérique, qui captivent le lecteur, sont les fruits de recherches exigeantes, méticuleuses, certes, mais surtout les fruits d’un talent hors du commun. Qu’il fasse partie du passé, du présent ou du futur, Victor Dixen invente un monde qui parle à toutes les générations, un monde en quête d’humanité. Dire le désarroi de la jeune génération, le "collapsus écologique", l’automatisation, la réalité de nos existences, tout en empoignant à bras-le-corps le lecteur pour une branle ou des caroles imaginaires, c’est ce qu’on nomme l’agilité, l’aisance, l’élégance du génie.
Souriant, débordé mais toujours disponible, nous avons rencontré l'auteur
Danielle Dufour Verna - Projecteur TV : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Victor Dixen – Je suis romancier depuis maintenant une douzaine d’années. J’habite aux États-Unis, actuellement à Washington DC. Auparavant j’étais à New York, à Singapour, à Dublin en Irlande. J’ai un petit peu roulé ma bosse comme on dit. Certains de mes livres sont traduits à l’étranger mais j’écris en français. J’ai quatorze romans à mon actif.
Danielle Dufour Verna : D’où vient cette envie de voyager et Washington sera dorénavant votre port d’attache, ou pas ?
« Il y a des respirations comme ça dans la vie d’un écrivain qui sont des rencontres avec des lecteurs notamment dans les librairies, dans des festivals. C’est très précieux »
Victor Dixen : Je ne pense pas. Je pense que j’ai un peu la bougeotte donc je reste généralement quelques années dans un lieu. C’est vrai que j’ai beaucoup voyagé avec mes parents étant jeune. Mon père est Danois, ma mère Française et ils me faisaient souvent voyager en Europe et ça m’a donné un peu le goût, comme ça, de l’ailleurs, du voyage et je pense que ça doit m’ouvrir, sans-doute, l’inspiration. Port d’attache, je ne sais pas. Je reviens assez souvent en France, je dirais, c’est mon pays, voilà. C’est d’ailleurs un grand plaisir de revenir en France depuis un an et demi puisqu’avec le COVID j’étais poussé de l’autre côté de l’Atlantique, comme beaucoup de Français expatriés ; ce qui dans mon cas et le cas de tous les écrivains est encore plus douloureux parce qu’on n’a pas le contact avec les lecteurs. Le métier d’écrivain est déjà très solitaire en lui-même ; on passe des mois derrière son écran avec son histoire. Et puis il y a des respirations comme ça dans la vie d’un écrivain qui sont des rencontres avec des lecteurs notamment dans les librairies, dans des festivals. C’est très précieux parce que ça vient contrebalancer la solitude de l’écriture et ça donne un sens à l’écriture. En avoir été privé pendant un an et demi, ça commençait à me manquer. Je suis très content d’avoir cette tournée en France. Marseille est une des dernières dates, effectivement le 1er juillet et j’ai hâte d’y être.
Danielle Dufour Verna : Vous connaissez Marseille j’imagine ?
Victor Dixen : Oui, j’y ai déjà été. J’ai des amis d’ailleurs à Marseille que je me ferai un plaisir de voir lorsque j’y serai. Je connais Marseille qui est une très belle ville.
Danielle Dufour Verna : Ce besoin d’écrire, ce plaisir d’écrire, d’où provient-il, de votre jeunesse, de vos parents, de vos voyages, d’où ?
« Je suis un dévoreur d’histoires »
Victor Dixen : Avant d’écrire, je suis un dévoreur d’histoires. Quand j’étais petit, avant de savoir lire, je demandais tout le temps qu’on me raconte des contes justement, je n’en étais jamais rassasié et assez vite je me suis mis à en écrire moi-même parce que, voilà, il fallait continuer à faire marcher cette usine de l’imagination. Ça vient vraiment de cette envie d’évasion, d’imaginaire, d’envolée, de décoller du réel. D’ailleurs, les genres que je pratique sont des genres de l’imaginaire. La science-fiction, la fantaisie, c’est ce que je préfère comme lecteur et c’est ce que j’écris comme auteur.
Danielle Dufour Verna : Cette fantaisie est quand-même beaucoup trempée dans le sang dans votre dernier roman "La Cour des Miracles". Pourquoi ce goût des vampires, pourquoi ce goût du fantastique ?
« J’essaie d’utiliser la science-fiction pour imaginer des futurs possibles. »
Victor Dixen : Comme je disais, ce qui m’inspire, c’est l’imaginaire en général, tous les genres de l’imaginaire. Avant d’écrire Vampyria, ma dernière série, c’est toute une séquence de romans à la vision futuriste, Phobos, Cogito et Extincta qui partaient de frémissements que je vois dans la société aujourd’hui et qui me posent des questions sur l’avenir. Donc, j’essaie d’utiliser la science-fiction pour imaginer des futurs possibles. Il s’agit de l’exploration spatiale dans ma série Phobos, de l’intelligence artificielle, robotisation dans Cogito, puis de la crise écologique dans Extincta. C’est une veine de mon inspiration qui vient vraiment des questions que je me pose sur notre futur. Mais il y a un autre penchant de mon imaginaire et de ma production littéraire, qui vient plutôt des rêves, des rêveries et ce sera le pendant fantastique dans la fantaisie. Dans le passé j’ai écrit une série qui s’appelle Animale qui était une réécriture du conte de "Boucles d’Or" de Robert Southey.
« Les contes en général sont des histoires qui me passionnent depuis l’enfance. On peut les lire, les relire, on trouve toujours davantage de sens. »
Les contes en général sont des histoires qui me passionnent depuis l’enfance. Les contes, cela semble très simple en surface, mais on peut toujours y revenir, les lire et les relire. On trouve toujours davantage de sens. C’est un puits sans fond dont on peut tirer du sens. Il y a un grand plaisir pour un écrivain à réécrire des contes. Pour ce qui est de Vampyria, la toute dernière série dont nous parlons, cette idée est venue de la conjonction de deux désirs. Le premier désir, c’est d’écrire sur Versailles et le Grand Siècle. J’ai passé une partie de ma jeunesse à Versailles et j’y ai fait mes études notamment. Depuis cette époque, j’ai conçu une fascination, en fait, pour Versailles, pour ce que cela représente, c’est-à-dire le rêve d’un homme, Louis XIV, qui s’est matérialisé -quand il est arrivé, il n’y avait rien à Versailles, c’était un marais insalubre, il y avait, entre autres, la malaria- et il a transformé ça en un rêve de pierres. Ça a ébloui toute la France et toute l’Europe et qui parle à tout le monde aujourd’hui encore. Pour avoir voyagé, que je sois en Asie, au Japon, ou aux États-Unis, on dit "Versailles", juste ce mot-là, les yeux des gens étincellent. Il y a quelque chose de magique qui a traversé les siècles et cela, ça me fascine. J’avais vraiment envie de consacrer une série à Versailles et au Grand siècle.
Danielle Dufour Verna : Et la deuxième raison ?
« Il y a une espèce de subjectivation du vampire qui oscille entre monstruosité et humanité qui m’a semblé très riche et qui m’a beaucoup parlé à l’adolescence. Et cette tendance à humaniser le vampire a continué en fait ces dernières années… »
Victor Dixen : Et la deuxième raison -je vois que vous ne perdez pas le fil- c’est effectivement les vampires. Parmi mes coups de cœur d’adolescent, il y a toute la littérature vampirique que j’ai découverte à travers Bram Stoker sur Dracula ainsi que Sheridan Le Fanu un autre auteur irlandais qui m’a précédé de quelques années avec Carmilla, un récit de toute beauté, et puis Les Chroniques des Vampires d’Anne Rice que j’ai aussi dévorées à l’adolescence. Le vampire, en fait, c’est très intéressant parce que c’est un mythe littéraire, c’est une création littéraire d’excellence qui renait de siècle en siècle, d’auteur en auteur. C’est un peu comme les contes qu’on peut se réapproprier, re-raconter à sa manière. C’est la même chose pour le vampire. Chaque époque, chaque auteur a fourni sa version sur les vampires. On pense au vampire qui est très monstrueux, c’est Voltaire au XVIIIe siècle qui a commencé à en parler. Ensuite il y a eu effectivement Polidori avec un premier roman consacré à un vampire britannique. Bram Stocker, à la fin du 19e siècle, est l’archétype du roman gothique où le vampire était encore un monstre terrible, très puissant, un peu fascinant en même temps. Et puis on a eu Anne Rice dont je parlais tout à l’heure, qui, dans les années 70, pour la première fois, a mis le lecteur dans la tête du vampire. C’est-à-dire que le héros devenait le vampire, un vampire habité par des tourments moraux, par des questions existentielles, par cette question de "Que faire de l’éternité, que faire de cette immortalité ?" Il y a une espèce de subjectivation du vampire qui oscille entre monstruosité et humanité qui m’a semblé très riche et qui m’a beaucoup parlé à l’adolescence. Et cette tendance à humaniser le vampire a continué en fait ces dernières années jusqu’à Twilight, la fameuse série de Stephenie Meyer, qui a été adaptée en film où là les vampires sont devenus très humains, très approchables ; d’ailleurs ils ne craignent plus le soleil. Ils sortent en pleine lumière. Ils sont très humains. Il ne reste plus grand-chose de vampirique chez eux, à mon avis. J’ai eu envie, en fait, de revenir aux sources du vampire, aux sources horrifiques, nocturnes du vampire, le vampire de Bram Stoker, le vampire qui fait peur mais sans pour autant renier l’héritage d’Anne Rice et donc cette sublimation, ce fait de rentrer dans la tête du vampire et de penser, de voir le monde à travers les yeux d’un vampire. C’est un peu la version que j’ai voulu fournir dans Vampyria, un vampire monstrueux mais qui a peut-être, peut-être, une chance de rédemption.
Danielle Dufour Verna : Deux questions me viennent à l’esprit, la première qui n’a rien n’avoir avec Versailles : Est-ce que les paysages danois vous ont inspiré ?
« Dans la série "Animale", j’ai décidé d’écrire un roman, en fait, pour essayer de percer l’identité de la Reine des neiges, qui était la Reine des neiges. »
Victor Dixen : Oui, alors, ça dépend dans quelle histoire. Il y a certains romans où, très clairement, le Danemark de mon enfance où j’allais en vacances avec mes parents, m’a inspiré. Là je pense à nouveau à Animale dont je vous parlais, une réécriture de "Boucles d’or" dans le premier tome, mais de "La Reine des Neiges", de Ann Christin Andersen dans le deuxième ; et là on est vraiment dans les contes danois, les contes d’Andersen en particulier qui pour moi sont des chefs-d’œuvre absolus d’une beauté à couper le souffle, en particulier "La Reine des Neiges". C’est un conte qui m’a fasciné étant enfant et j’avais cette question, je ne réussissais pas à me représenter le visage de la Reine des neiges, ce personnage hiératique, très mystérieux et séduisant en même temps, et j’ai décidé d’écrire un roman en fait, pour essayer de percer l’identité de la Reine des neiges, qui était la Reine des neiges. Ça a donné ce deuxième livre de la série Anima qui s’appelle "La prophétie de la Reine des Neiges". Avec mes personnages, je suis remonté vers le nord, je suis remonté vers le Danemark, vers les plages du Jutland qui sont ces grandes étendues sableuses battues par les vents. Plus loin encore, j’ai remonté vers la Finlande, vers la Suède, sur les traces également du conte d’Andersen avec la petite fille qui cherche son amie enlevée par la Reine des Neiges. Elle remonte comme ça vers le nord, jusqu’au cercle polaire. C’est un voyage initiatique, et là j’avais vraiment en tête les paysages scandinaves que j’ai visités étant enfant.
Danielle Dufour Verna : Vous le dites, pour vous, ça a été un voyage initiatique. Est-ce qu’il vous a apaisé ce voyage du retour ?
« Tout roman est un voyage. »
Victor Dixen : Oui, tout roman je pense, pour un auteur, est un voyage dont on ne voit pas forcément le bout au début donc c’est un petit peu angoissant et on a souvent peur de se perdre en route. C’est un travail de longue haleine. Pendant des mois, ce sont des chemins de traverse, puis on arrive avec un peu de chance à bon port. Tout roman est un voyage mais c’est vrai que celui-ci en particulier, "La prophétie de la Reine des neiges" m’a permis de mettre un nom, de mettre un visage sur ce personnage de la Reine des neiges qui me hantait depuis l’enfance et certainement ça a été un apaisement. Je ne veux pas divulgacher pour révéler qui est la Reine des Neiges mais ça m’a permis de me questionner sur le temps, sur l’existence parce que cette Reine des neiges et glacée qui vit de manière éternelle dans son palais tout au nord du monde, c’est aussi une image du temps figé. Elle a quelque chose de vampirique finalement. Quand j’en parle avec vous je me rends compte qu’il y a une résonance comme ça entre la Reine des neiges d’Andersen et les Vampyria.
Danielle Dufour Verna : Ce retour dans le Danemark et les grandes étendues de votre enfance, serait-ce pour répondre à une question que vous vous posez, même inconsciemment ?
Victor Dixen : Oui, mais alors là, du coup, je ne pourrai pas vraiment en parler si c’est inconscient, pour le sortir de moi. Mais c’est vrai que, pour reprendre un terme que vous avez employé et qui est très juste, ça m’a apaisé d’écrire ce livre en particulier. J’essaie de vous en parler sans dévoiler l’enjeu et l’issue du livre.
Danielle Dufour Verna : Est-ce que la boucle est bouclée à ce moment-là ?
« J’aime bien les fins ouvertes… et que l’imagination du lecteur continue son chemin sans moi… »
Victor Dixen : La boucle est bouclée, alors oui. Elle est bouclée, mais elle n’est pas complètement bouclée. Ça c’est le propre de tous mes romans. En tant que lecteur j’aime bien les fins ouvertes et en tant qu’auteur je les pratique beaucoup. C’est-à-dire que j’aime bien, certes, apporter une fin, résoudre des intrigues, dénouer des nœuds, mais laisser aussi une ligne de fuite pour que mes personnages continuent à vivre après la dernière ligne, après le point final, et que l’imagination du lecteur aussi continue son chemin sans moi en fait. J’aime bien laisser du champ à mes lecteurs à mes personnages à la fin. Et mes lecteurs, ceux qui me suivent de livre en livre le savent. Ils s’attendent souvent à des fins ouvertes ou semi-ouvertes.
Danielle Dufour Verna : Et Victor Dixen, l’écrivain, l’homme, aime aussi bien les brumes du nord que la lumière du sud ?
« J’ai une affection particulière pour la nuit. »
Victor Dixen : Oui, tout à fait. J’ai vécu dans des pays tropicaux comme Singapour qui est pile sur la ligne d’équateur. On ne peut pas faire plus tropical et même équatorial. J’aime beaucoup, la chaleur, et j’aime les pays du nord, leur lumière particulière, rare. J’ai une affection particulière je dois dire pour la nuit où qu’elle soit dans le monde, que ce soit sous notre latitude ou d’autres latitudes.
Danielle Dufour Verna : Éclairée par une pleine lune ?
« Mon premier roman "Le cas Jack Spark" raconte l’histoire d’un adolescent insomniaque… C’est vraiment la nuit que je produis l’essentiel de mes textes. »
Victor Dixen : Oui, par une belle lune ou par une chandelle. Il se trouve que quand j’étais plus jeune, j’avais des insomnies assez importantes, au point qu’on m’a fait faire un certain nombre de nuits en clinique du sommeil où on essaie de voir les cycles du sommeil qui est perturbé. On n’a jamais vraiment trouvé. On a essayé différents traitements expérimentaux neurologiques mais c’était une fixation quand j’étais adolescent de ne pas dormir assez, d’avoir l’impression de dormir moins que les autres, d’être toujours fatigué en cours. En fait, le déclic a eu lieu au début de l’âge adulte quand je me suis dit que ce temps que j’avais en plus, finalement, ce n’était peut-être pas une malédiction, ces insomnies, c’était peut-être un temps qui m’était offert pour écrire. C’est ainsi que j’ai écrit mon premier roman "Le cas Jack Spark" qui raconte l’histoire d’un adolescent insomniaque dont les insomnies ont une origine mystérieuse. En fait, c’est l’objet du roman. C’est vrai qu’il y a quelque chose d’autobiographique dedans. On dit souvent qu’un premier roman est autobiographique dans une certaine mesure. C’était le cas pour moi avec Jack Spark et depuis cette époque, c’est devenu une routine, ma méthode de travail. C’est vraiment la nuit que je produis l’essentiel de mes textes. Donc j’ai tendance à me lever très tôt et là c’est un terrain de jeu formidable pour un écrivain…
Danielle Dufour Verna : Vers 4h du matin par exemple ?
Victor Dixen : Oui, 3, 4 heures du matin, dans ces eaux-là.
Danielle Dufour Verna : C’est exactement ce que faisaient nos ancêtres…
Victor Dixen : Oui, je sais que les historiens disent aujourd’hui que le sommeil d’une traite comme cela de 8 heures d’affilée c’est un avancement de la modernité. Ils dormaient par petits bouts et souvent ils se restauraient au milieu de la nuit. La nuit n’était pas une grande plage comme ça, de vide, c’était aussi une nuit animée.
Danielle Dufour Verna : Absolument. Vous avez dit que vous vous nourrissez des frémissements de la société. On trouve "La Fronde" du peuple dans votre dernier roman "La Cour des Miracles", on y parle de la noirceur des tyrans, de la tyrannie. Vous faites le lien avec notre époque et tout ce que nous vivons actuellement ?
« La fiction, quelle qu’elle soit est souvent un détour pour mieux parler de la réalité de nos existences. »
Victor Dixen : Peut-être moins directement que dans mes livres de science-fiction qui, pour le coup, sont ancrés dans le réel et parlent de choses que j’observe de manière très concrète. Par exemple dans Phobos, il s’agit de la conquête martienne, qui est un sujet vraiment d’actualité, que ce soient les projets de la NASA ou d’une société privée, Cogito, il s’agit de la robotisation, de l’intelligence artificielle, de l’automatisation de notre société, des grands problèmes sociaux et sociétaux que ça va poser. Là encore je me suis basé sur des recherches et enfin dans Extincta, c’était l’urgence écologique, l’effondrement écologique, le "collapsus écologique", comme on dit, que j’essaie d’imaginer dans un futur lointain. Là ce sont très clairement des romans futuristes mais qui renvoient au présent d’une manière très concrète. Dans mes ouvrages de fantaisie, ce qui m’inspire surtout ce sont des impressions, des rêveries. C’est comme des peintures que j’essaie de peindre, des couleurs, de créer une impression chez le lecteur. Néanmoins quand on creuse, il y a quand-même souvent un commentaire social. La fiction, quelle qu’elle soit est souvent un détour pour mieux parler de la réalité de nos existences. C’est un point, dans Vampyria, qui fait vraiment écho à notre époque, les aspirations et le désarroi d’une jeune génération qui voudrait exister dans le monde, qui veut trouver sa place dans le monde et qui se demande comment faire, comment inventer un futur dans un monde qui a déjà tant vécu et qui se fait l’héritier de toute la dette du passé. On parle beaucoup de la dette écologique, le « phénomène Greta Thunberg »...
« …une formidable aspiration de la jeunesse à faire advenir l’avenir et à inventer son futur. »
Il y a une vraie question des jeunes aujourd’hui, et aussi par rapport au progrès technologique. Je parlais de la robotisation qui va supprimer des emplois, en créer d’autres peut-être. Il y a une vraie angoisse, une vraie question de la jeunesse par rapport à l’avenir et dans mon roman, dans Vampyria, le monde est figé. Le roi soleil Louis XIV, qui est le roi dans l’histoire de France qui a régné le plus longtemps, au lieu de passer la main et de mourir en 1715 comme nous l’apprennent les livres d’histoire, a décidé de se transmuter en vampire, de devenir le premier vampire de l’histoire, tout simplement pour régner éternellement. Les autres têtes couronnées en Europe se sont transmutées à sa suite et ainsi l’Europe et le monde entier se sont figés sous un joug vampirique. Mais je me suis dit que si le monde était gouverné par des êtres détenteurs de pouvoir qui ne changent pas, eh bien, le monde arrêterait de changer lui-même. Le progrès technique ne surviendrait pas, le progrès social non plus. Tout resterait dans les conditions du 17e siècle ou du début du 18e. Vampirya en fait, ça se passe de nos jours, en 2015, mais c’est, en réalité, le 2015 de l’âge des ténèbres, donc de ce monde figé dans le temps depuis 1715. Rien n’a changé. Mes protagonistes, mes héros, sont des adolescents et des jeunes adultes à commencer par Jeanne Froidelac. Ils vont essayer de trouver leur chemin, de questionner, de renverser peut-être le règne des vampires. C’est un peu un combat de David contre Goliath et c’est aussi une formidable aspiration de la jeunesse à faire advenir l’avenir et à inventer son futur. S’il y avait une métaphore avec ce roman par rapport à notre monde, je pense que c’est celle-ci que je retiendrais.
Danielle Dufour Verna : Ceci est un constat, mais avez-vous envie de lancer un message aux jeunes à travers ce livre ?
« La fiction, c’est pour moi un moyen d’explorer des futurs possibles avec mes personnages et d’aboutir, à la fin du roman peut-être, à un début de réponse, un début de message. »
Victor Dixen : C’est une question qu’on me pose parfois. Ce n’est pas un message au sens où je ne fais pas des romans à thèse. C’est-à-dire que quand je me mets à écrire un roman je ne me dis pas : j’ai ce message à faire passer, quelle va être la meilleure manière de l’exprimer. La plupart du temps, ce sont des questions en fait, soit des questions, soit des thèmes qui m’obsèdent et que je suis obligée d’écrire. Il y a une espèce d’envie, d’obligation d’écrire. Dans mes ouvrages de science-fiction, très clairement, ce sont des questions d’actualité qui m’interpellent, qui peuvent m’angoisser. Je me demande de quoi demain sera fait, compte tenu de ce que j’observe aujourd’hui et déjà la fiction, c’est pour moi un moyen d’explorer des futurs possibles avec mes personnages et d’aboutir, à la fin du roman peut-être, à un début de réponse, un début de message. Mais pas au début, c’est vraiment le cheminement avec mes personnages. C’est ainsi que dans Cogito, par exemple, qui parle de l’automatisation, de l’intelligence artificielle, c’est un sujet très complexe, qui me paraissait très nébuleux. Quand j’ai commencé à écrire le roman, je ne savais pas trop qu’en penser. Je lisais beaucoup dans la presse que la révolution de l’intelligence artificielle était quelque chose en train de se faire, que l’automatisation était en train d’accélérer et que, d’ici les années 2030, d’après certains analystes, les trois quarts des emplois, aujourd’hui occupés par des humains, auront disparu. Donc voilà, je me suis mis dans la peau d’une adolescente du futur, des années 2030, dont les parents sont au chômage remplacés par des robots. Elle n’a aucune perspective d’avenir. On va lui proposer un stage de programmation neuronale, un stage où on maitrise l’intelligence artificielle pour télécharger dans son esprit tout le programme du BAC de manière à ce qu’elle remporte son diplôme et qu’elle ait, peut-être, une chance d’accéder au marché du travail. Elle ira bille en tête sans trop y croire et elle va être confrontée à différentes réalités sociales et aux machines. Elle va, finalement, se faire une opinion sur les machines qui nous entourent, sur ce qu’elles peuvent nous apporter de bon, sur la manière de les contrôler pour qu’elles ne nous échappent pas, ne nous contrôlent pas. A l’issue de ce roman, je vais quand même dire ce que je pense de l’intelligence artificielle, j’ai une opinion et j’ai un message que je ne vais pas dévoiler maintenant parce que c’est un peu l’objet du roman.
Danielle Dufour Verna : Vous posez des questions qui portent à la réflexion…
Victor Dixen : Exactement. Plutôt que d’apporter un message tout fait, la meilleure récompense pour moi en tant que romancier, c’est que les lecteurs et notamment les jeunes lecteurs se disent "Votre livre m’a fait rêver", déjà, rêver, évader, en tant que lecteur c’est vraiment une ressource que je puise dans mes lectures, l’évasion, le rêve et qu’ils me disent également "ça m’a fait réfléchir, me poser des questions et j’ai l’impression d’être mieux armé maintenant pour comprendre des sujets qui sont importants pour moi dans le futur". Si j’ai ces deux retours de la part des lecteurs, ça fait entièrement mon bonheur.
Danielle Dufour Verna : Qu’est-ce qui vous apaise ?
Victor Dixen : Je parlais tout à l’heure de la nuit qui est mon territoire d’écriture privilégié. J’en goûte particulièrement le silence. J’aime beaucoup le silence de la nuit, l’obscurité aussi, le fait que rien n’existe si ce n’est l’histoire que je suis en train d’inventer. Rien n’existe qui peut m’en tirer, m’en détourner. Donc j’aime beaucoup le silence, en particulier le silence de la nuit. Il m’arrive parfois de mettre de la musique, mais je l’utilise vraiment à dose homéopathique. Ce sont des moments bien précis. C’est lorsque je veux me mettre en position pour une scène particulière, me plonger dans une ambiance, dans un sentiment. Parfois un morceau de musique bien choisi va permettre d’aller plus vite comme ça, d’être plus rapidement dans l’état émotionnel que je veux atteindre pour écrire certaines scènes en particulier.
Danielle Dufour Verna : Des projets en cours ?
Victor Dixen : Comme on parle effectivement de Vampyria, le deuxième tome, La Cour des miracles, va paraitre le 17 juin, il sera paru lorsque je serai à Marseille, le 3e tome. C’est un univers en fait que j’adore explorer. J’aime beaucoup la littérature gothique et j’en ai fourni mon interprétation à travers cette série Vampyria. Et puis, en tant qu’auteur, j’adore que les univers émotionnels continuent à exister une fois le livre refermé. Je parlais de ces fins ouvertes. Je travaille actuellement sur deux projets dans l’univers de Vampyria qui ne sont pas des romans. Le premier, c’est le jeu de tarot divinatoire. Je suis adepte depuis l’adolescence du tarot divinatoire. Dans Vampyria, La Cour des Miracles, je fais intervenir ce tarot, un tarot très particulier, interdit par les vampires mais que les mortels utilisent sous le manteau pour essayer d’imaginer des futurs possibles qui échapperaient au règne des vampires. Parce que pour moi le tarot c’est vraiment ça, c’est un mouvoir des possibles.
« Le tarot, un mouvoir des possibles. »
Lorsque j’ai des questions que je me pose, je me tire les cartes et ça me permet d’enlever les œillères et de voir plein de perspectives dont je n’avais pas conscience. Je travaille actuellement avec une tarologue et un artiste brillant pour créer ce tarot qui paraitra en fin d’année. C’est donc un tarot dans l’univers de Vampyria qui parlera à la fois aux lecteurs de la série et aux amateurs de tarot. J’ai un deuxième projet toujours dans l’univers de Vampyria qui est une série de bandes dessinées qui suivent d’autres personnages. Ce ne sont pas les personnages des romans, ce sont des personnages originaux mais qui évoluent dans le monde de Vampyria et le plaisir sera de faire se croiser les personnages des romans et les personnages des BD sur les différents supports. J’adore tout ce qui est intertextuel, tous ces jeux littéraires et je prends beaucoup de plaisir à ces différents projets.
Danielle Dufour Verna : Vous connaissez, naturellement, le tarot de Marseille…
Victor Dixen : Évidemment ! C’est la base. C’est le creuset de tous les tarots qui ont suivis. Le tarot de Marseille est bien sûr une référence, oui.
Danielle Dufour Verna : Une dernière question si vous le permettez Victor, quelle est votre conception du bonheur ?
« Rencontrer mes lecteurs, échanger… »
Victor Dixen : Le bonheur a plein de visages, il est difficile à décrire d’une seule manière. Le visage du bonheur qui me vient en tête, là, quand vous me posez cette question, je pense que ça va être de rencontrer les lecteurs à nouveau après un an et demi de séparation, d’échanger sur les livres, d’échanger sur les personnages, de me rendre compte que ces personnages de papier avec qui j’ai vécu seul pendant des mois et qui pour moi sont devenus complètement réels, sont aussi réels pour des lecteurs. Ils vont m’en parler comme si c’était des amis communs et ça, c’est la meilleure des récompenses pour un romancier.