- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 13 min
Hugo Horiot, le silence assourdissant de l’autisme
Hugo Horiot avait peur des mots mais c’est par eux, par le langage, qu’il soit oral ou numérique, qu’il a acquis, auprès des autres, une ‘rédemption’ et qu’il existe pour notre société bien-pensante où la normalisation est de règle, où la différence, si elle est mise en avant, est un prétexte.
J'entrerai dans ton silence ... une pièce de théâtre autobiographique adaptée du texte de Hugo Horiot et de Francoise Lefèvre.. Mise en scène par Serge Barbuscia, c'est l'histoire poignante d'une relation entre une mère (Camille Carraz) et son fils autiste (Fabrice Lebert). Une histoire où l'amour d'une mère dépasse le cloisonnement de la Société.
Rencontre avec Hugo Horiot, auteur
Hugo Horiot vit à Bruxelles. Il est venu au Théâtre Toursky à Marseille pour assister à la représentation de la pièce de théâtre "J'entrerai dans ton silence", précédée d'une conférence sur l'autisme qu'il présentait. Une conférence-débat qui, par son son récit autobiographique, a mis en exergue l'amour, la littérature, le théâtre, les rencontres, pour combattre l'exclusion et faire de ce "hors-norme", l'excellence.
J'entrerai dans ton silence ...
Danielle Dufour Verna/Projecteur TV : Vous avez écrit avec votre mère le livre dont la pièce ‘J’entrerai dans ton Silence’ a été tirée…
Le petit prince cannibale’ ‘L’empereur c’est moi’ : deux livres qui parlent d’Amour
Hugo Horiot – Pas vraiment. En fait ce sont deux livres séparés. Chacun a écrit son livre et à 20 ans d’intervalle. Ma mère a publié ‘Le petit prince cannibale’ chez Actes Sud en 90 il me semble bien et j’ai sorti ‘L’empereur c’est moi’ en 2013. C’est Serge Barbuscia qui a décidé de mélanger ces deux livres parce qu’ils se répondent quelque part même s’ils sont indépendants. On peut lire l’un sans avoir lu l’autre. Ma mère est devenue avec ce livre un peu pionnière de ce qui est devenu un genre littéraire en soi, le témoignage de parents quand on a un enfant qui sort un petit peu des sentiers battus au niveau de son développement et ce livre a rencontré, contre toute attente, un large public. Il a été Prix Goncourt des lycéens…
DDV – Parce que ça répondait à une attente
Hugo Horiot - Parce que ça répondait vraiment à une interrogation, à une attente. C’était la première à faire un témoignage comme ça. Après, d’autres ont suivi, mais ça a un peu lancé la machine. 20 ans après, j’ai eu besoin de revenir un peu sur cette période de ma vie que j’avais laissée derrière moi, surtout de l’enfance et de le raconter de l’intérieur, de la façon dont tout cela s’était passé. Quand le livre est sorti, alors que c’était mon premier livre, il a aussi rencontré un grand succès. Il y avait pas mal de lecteurs qui avaient lu le livre de ma mère et qui trouvaient là-dedans encore une suite à l’histoire ou des réponses ; l’histoire racontée, mais cette-fois, du point de vue de l’enfant. Ensuite Serge est arrivé.
DDV – Comment s’est faite la rencontre avec Serge Barbuscia ?
Hugo Horiot – Avec Serge cela s’est fait par l’intermédiaire d’un ami commun qui, malheureusement a disparu aujourd’hui dans des circonstances tragiques, Vincent Dumont, un homme de grand talent, un agent de théâtre, qui repérait des spectacles. C’était quelqu’un qui, pour moi, allait devenir un très très grand agent. Il avait le nez pour trouver des idées, des spectacles et il avait surtout du courage. C’est-à-dire qu’il ne s’orientait pas vers quelque chose qui était forcément une bonne idée commerciale, mais vraiment quelque chose qui le touchait profondément. Il avait une grande sensibilité. C’est lui qui nous a présentés. C’est lui qui a parlé de moi à Serge. On s’est donc rencontrés là Serge m’a exposé son projet. Quelque part ce spectacle est dédié également à Vincent qui est mort avant de l’avoir vu.
DDV – On vous dit ‘militant’ de la cause pour la dignité des personnes autistes…
« Plus les associations deviennent grandes et se rapprochent du cercle du pouvoir, plus il y a de compromission. Ils vont davantage œuvrer pour leur existence et leur budget que pour aller dans les changements sociétaux globaux dont on aurait besoin. »
Hugo Horiot – On m’a toujours présenté comme ça. Je ne crois pas vraiment au militantisme. Surtout depuis un moment où j’ai vu un peu comme se passaient les choses. Il y a beaucoup d’intérêt énorme en jeu qui ne sont pas forcément très sains dans ce milieu-là, des associations qui sont très opaques dans leur fonctionnement. Parfois il y a des gens très bien dedans mais plus les associations deviennent grandes et se rapprochent du cercle du pouvoir, plus il y a de compromission. Ils vont davantage œuvrer pour leur existence et leur budget que pour aller dans les changements sociétaux globaux dont on aurait besoin.
DDV – Vous continuez malgré tout à défendre la dignité des autistes. Comment ?
« Un spectacle comme celui qu’a monté Serge va aller beaucoup plus loin que n’importe quelle parole militante »
Hugo Horiot – Je dirais que je garde une parole libre, ce qui est quand même difficile aujourd’hui et je crois également qu’un spectacle comme celui qu’a monté Serge va aller beaucoup plus loin que n’importe quelle parole militante, parce qu’il y a là du vécu, il y a de la chair, les acteurs qui transpirent. Il y a un texte qui résonne. Ce qui est bien c’est qu’au théâtre on ne cherche pas à rassembler. Au théâtre on divise dans le sens où chacun qui vient voir un spectacle ressort en ayant vu un spectacle différent. Et c’est cela qui va entrainer ensuite des discussions, des interrogations. Ma place est davantage là. Je crois que c’est le mieux que je puisse faire.
DDV – En faisant des conférences, par exemple, en amont de la présentation de la pièce ?
Hugo Horiot – Oui, sachant que ce soir, c’est plus une conférence-débat où on peut parler de cela aussi, de la question de la différence dans la société, mais aussi de la genèse de ce spectacle. C’est aussi le processus de la création qui nous réunit là ce soir. Ma position de résistance par rapport à tout ça, elle est avec ce que je sais faire, c’est-à-dire, en tant qu’auteur, homme de théâtre et je laisse le militantisme associatif aux garde-chapelles. Je reste loin pour préserver ma santé mentale.
J'entrerai dans ton silence, le spectacle
DDV – Parlons de la genèse de ce spectacle, justement. Vous l’avez créé à deux ?
Hugo Horiot – Pas du tout. En fait, il y a eu deux spectacles. Quand j’ai publié mon livre, je savais que je voulais le jouer. Je savais que je voulais adapter ce texte au théâtre. J’ai tourné pendant des années avec un premier spectacle qui avait très bien marché aussi. Il s’appelait ‘L’empereur, c’est moi’, qui était une adaptation de mon livre seulement. Là, j’étais sur scène, je jouais ce spectacle avec une comédienne.
DDV – Ça fait quoi d’interpréter son propre personnage, de jouer un texte autobiographique aussi puissant ?
« Il a fallu, vraiment, avoir beaucoup d’exigence pour y arriver. »
Hugo Horiot – Ce n’était pas aussi facile que j’avais cru. Je m’étais dit que ce serait simple mais en réalité, ça a été très intense. Il y a eu beaucoup de résistance et de défi. Je pensais que ça allait être, quelque part, facile, mais pas du tout. Il a fallu, vraiment, avoir beaucoup d’exigence pour y arriver.
DDV – Ça fait mal ?
Hugo Horiot – Non, parce que je ne fais pas ce métier pour me faire mal mais par contre ça donne des sensations fortes. Quand c’est bien fait, ça fait pas mal. C’est un voyage qui peut être très intense, qui peut même parfois être violent, non ça ne fait pas mal. Ça n’a pas été facile mais quand on joue c’est transmettre une histoire et avant tout passer un bon moment. Il y a des moments où on est joué par le moment, une forme de transe.
DDV – Ensuite est arrivée la rencontre avec Serge.
Hugo Horiot - Oui, comme il y avait eu un spectacle avant, je voulais surtout laisser Serge très libre car j’ai senti qu’il était comme moi. Nous on a besoin d’une grande liberté pour agir et j’ai eu, d’emblée, au niveau du feeling, une confiance totale. Je lui ai dit « Fais ce que tu veux ».
DDV – C’est ce qu’il a fait, avec le résultat magnifique que l’on connait.
« Serge m’a convié à l’avant-première, j’ai eu le coup de foudre tout de suite. »
Hugo Horiot – Oui, à la différence du premier spectacle, Serge Barbuscia a réuni les deux livres qui se répondaient et a tiré la matière brute de ces textes qui, déjà, ont une résonance scénique dans la façon dont ils ont été écrits, avec les tripes. Et un acteur a besoin de ça. Serge m’a convié à l’avant-première, j’ai eu le coup de foudre tout de suite.
DDV – Est-ce que le fait de voir un autre acteur, en l’occurrence Fabrice Lebert dans le rôle, a changé le regard que vous avez sur l’enfant que vous étiez ?
Hugo Horiot – Oui, parce que du coup, j’ai vu de l’extérieur et comme c’est un grand acteur, et que c’est un texte universel, ça résonnait aussi.
DDV – Est-ce que votre maman a vu Camille Carraz interpréter son personnage ?
Hugo Horiot – Oui, et ça l’a ramenée aussi dans un passé et ça lui a fait un grand voyage émotionnel et je pense qu’elle est sortie un peu en titubant de la première.
DDV – Est-ce que le livre a été difficile à écrire ?
Hugo Horiot – Paradoxalement non ! Enfin, oui et non. C’est-à-dire que j’ai écrit ce livre en deux semaines. Donc au niveau du timing, il est sorti plus vite que ma pensée. Et c’est quasiment le premier jet qui a été publié, à peu de choses près. J’ai eu très peu besoin de retoucher.
DDV – C’était un besoin ?
« Au bout d’un moment, quand on enterre les choses et qu’on les enfouit un peu trop loin, ça s’appelle le déni »
Hugo Horiot – Oui, c’était un besoin viscéral de le faire. Une semaine avant de partir écrire, j’ai eu un déclic un soir en me disant qu’il fallait que j’aille m’isoler et écrire toute cette histoire. Ça faisait quinze ans que je cachais au monde qui j’étais. J’avais enterré cette période. Je ne voulais plus en entendre parler. Mais au bout d’un moment, quand on enterre les choses et qu’on les enfouit un peu trop loin, ça s’appelle le déni. C’est très confortable mais ça finit par ressortir.
DDV – Une sorte d’analyse ?
Hugo Horiot - Oui, mais un peu plus que cela, car il y a une forme de résilience. Je ne voulais pas écrire juste pour faire un journal intime pour me soulager et le mettre dans un tiroir. J’avais aussi cette envie de le transmettre à mes contemporains mais aussi à mes connaissances théâtrales puisque j’ai directement senti que ce texte devait être joué, porté sur la scène.
DDV – Pour faire connaitre ce qu’un enfant autiste peut ressentir ?
Hugo Horiot – Oui mais pas seulement. Dans le livre il n’y a pas une seule fois le mot autiste. Même si dans le contexte, il s’agissait de cela, je me suis dit que cela pouvait concerner des gens qui n’ont rien à voir avec l’autisme, mais qui ne se sentent pas à leur place, qui se sentent en décalage en permanence avec la société, ne se sentent pas compris, qui se sentent seuls au milieu des autres. Que finalement ça avait une résonance qui allait bien au-delà de l’autisme, qui, peut-être, a plus de chance de concerner les personnes autistes en général mais il y a des tas de profils, autistes ou pas, qui par, soit une différence physique, génétique, ou un parcours particulier ou des circonstances particulières, des environnements un peu restrictifs, normalisant, vont ressentir cette sensation d’isolement.
DDV – Peut-on se considérer ex-autiste quand on entre dans la norme entre guillemets ?
« On va être capable de feindre parfois, mais la différence reste toujours là. »
Hugo Horiot – Il n’y a pas d’ex autiste parce que notamment si on parle de cette notion, c’est quelque chose que vous ne cessez pas d’être. En général vous passez par une phase où vous avez envie d’être un ex quelque chose quand vous commencez un peu à jouer, à feindre la normalité et vous installer dans une forme de déni qui va vous protéger comme une armure mais à un moment donné vous vous rendez compte que vous n’êtes pas du tout l’ex de quelque chose. On va l’exprimer différemment. On va être capable de feindre parfois, mais la différence reste toujours là. Beaucoup vont essayer, comme je l’ai fait d’ailleurs, de s’adapter voire de se suradapter à un environnement. Ce n’est pas vraiment ça la solution. La solution c’est je crois, plutôt, d’essayer d’arriver à se mettre en position d’adapter son environnement par rapport à ses forces et ses faiblesses.
DDV – Cet être différent qui est en soi, que pense-t-il des ‘normaux’ qui l’entourent ?
« Il les invite, s’ils ont le temps, à venir au théâtre, ça peut aider »
Hugo Horiot –Il les invite, s’ils ont le temps, à venir au théâtre, ça peut aider, à lire, à rencontrer. Curiosité et gourmandise, ce sont les deux notions qui m’ont sauvé, le fait d’être curieux et les rencontres. Ce sont les rencontres qui font toujours avancer un parcours vers plus d’horizon, d’expérience, d’inattendu.
DDV – Hugo Horiot, est-ce que vous souffrez du monde d’aujourd’hui et de son inhumanité ?
« Il faut entrer en résistance »
Hugo Horiot – Le monde d’aujourd’hui est assez particulier. Je crois qu’on s’en est tous rendu compte, nous sommes en train de basculer dans ce que certains appelaient : Le monde d’après. Sauf que ce n’était pas vraiment ce qui était écrit sur le menu, évidemment. Je crois que c’est difficile aujourd’hui de ne pas sentir une certaine amertume et violence, mais c’est la raison pour laquelle il faut, chacun avec ses possibilités, et en fonction de ses talents, théâtre, écrivain, journaliste, quelle que soit sa position, entrer en résistance. Créer c’est résister, vraiment. Dire, raconter son histoire, avoir le courage d’aller sur une scène dans un monde qui veut de plus en plus réguler, normaliser les comportements et les trajectoires, les surveiller, les tracer, dans l’hyper contrôle.
DDV – Des projets ?
« Des terrains de liberté »
Hugo Horiot – Oui, j’ai été amené par les circonstances à m’éloigner un peu de la création, de la scène de l’écriture, même si c’est juste un petit détour. J’envisage de me remettre à l’écriture ces temps-ci. C’est en train de se structurer mais on ne sait jamais le livre qu’on va écrire. La scène, je suis d’autant plus ravi d’être ici car c’est la première fois que je reviens en France depuis un an. J’ai aussi utilisé cette période pour essayer de me trouver un moyen aussi d’œuvrer vers des possibilités de terrains de liberté.
DDV- Quels sont-ils ?
Hugo Horiot – C’est un peu sulfureux. Je m’intéresse beaucoup au WebHost trois points zéro, c’est-à-dire l’internet décentralisé, en particulier à la finance décentralisée. Je me suis spécialisé dans ce secteur ainsi que dans la blockchain qui est la technologie sous-jacente au crypto monnaie dont la plus connue est bitcoin.
DDV – Un genre de ‘démocratie’ de la finance ?
Hugo Horiot – C’est le genre d’un nouveau système de gouvernance qui est non discriminatoire. C’est toujours du capitalisme mais on revient à la genèse du capitalisme d’Adam Smith, c’est-à-dire un système qui s’auto-régule. Là nous sommes plutôt dans le néolibéralisme forcené qui fonctionne sur des monopoles et des privilèges. C’est la liberté des flux. N’importe qui peut avoir un pouvoir de gouvernance sans qu’on lui demande qui il est, d’où il vient, quelle est sa religion etc.
DDV – Ma dernière question : quelle est votre conception du bonheur ?
Hugo Horiot - Elle est dans le partage. Le bonheur solitaire, pour moi, ça n’existe pas. C’est pour cela d’ailleurs que j’aime le théâtre ; ça se fait à plusieurs. Il faut au moins deux personnes, une qui soit le public et une sur scène.
Photo à la Une : © Catherine Gugelmann/Opale