- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 12 min
Bruno Carpentier, un auteur aux portes du Mythe
Interview de Bruno Carpentier, auteur de polars en Provence. Il vient de publier son dernier roman “La crypte de Saint-Maximin”. Une énigme noire autour de Marie-Madeleine où l’auteur emmène le lecteur vers le chemin intérieur qui se dessine. “Dans le roman policier on entre dans l’âme des gens, dans ce qu’il y a de pire et de meilleur à la fois”.
Bruno Carpentier vient de publier son dernier livre "La crypte de Saint-Maximin". Un roman mais pas que…
« Le métier d’homme de guerre est quelque chose d’effroyable et pleine de cicatrices, comme la poésie. » Blaise Cendrars
C’est Bruno Carpentier qui le cite durant notre entretien. Je ne sais pas si ses cicatrices, après 26 ans passés à la Légion, sont nombreuses, mais il semble s’être sustenté de ces années et de ses expériences de vie pour nourrir ses différents livres. Il sort son dernier roman : ‘La Crypte de Saint-Maximin’. Nous l’avons rencontré.
Interview avec Bruno Carpentier
Danielle Dufour-Verna – Projecteur TV : Parlez-moi de vous
Bruno Carpentier : C’est à l’âge de 15 ans que j’ai commencé mon premier manuscrit, et à 22 que j’ai été publié pour la première fois ; 14 publications : d’abord de la poésie, pour lequel j’ai obtenu de jolis prix et j’ai été reçu à l’Académie française avec une interview au café de Flore.
DDV - Merveilleux pour un poète
Bruno Carpentier : Oui, absolument extraordinaire. Et tandis que j’étais reçu à l’invitation de Pierre Mesmer à l’Académie française, j’ai rencontré des éditeurs dont monsieur Jean-Pierre Turbergue qui dirigeait les éditions Italiques. Je dis dirigeais car il a raccroché les gants après 45 ans de travail dans l’édition. C’était un merveilleux éditeur. Il m’a proposé à ce moment-là d’écrire de la prose, des romans. Je m’y suis mis. Il m’a beaucoup aidé. Il m’a bien formé. J’ai écrit un ouvrage qui s’appelle ‘Détachement Iskoutir’ qui raconte l’histoire de légionnaires en Afrique. J’ai ensuite réalisé quelques monographies d’histoires régionales. J’ai créé en 2012 la collection ‘Crimes de pays’ que je développe aujourd’hui et dans laquelle j’écris. Je suis né dans une région transfrontalière, côté belge et j’ai grandi dans le nord de la France dans une ville ‘Condé sur Escaut’. J’ai très vite voyagé. J’ai quitté le nord de la France aux alentours de 22, 23 ans puisque je me suis engagé dans l’armée où j’ai servi 26 ans, dans la Légion étrangère.
DDV –Votre engagement, c’est ce qui explique plusieurs de vos livres ?
Bruno Carpentier : Oui, tout-à-fait, puisque mes chefs ont détecté un talent littéraire relatif et m’ont souvent proposé d’écrire sur la garnison dans laquelle j’étais. J’ai servi au centre d’entraînement commando de Givet dans les Ardennes qui conservait les traditions des zouaves. Mon chef de corps, à l’époque, le colonel Lombard m’avait demandé d’essayer de faire quelque chose sur les zouaves et je l’ai fait avec plaisir.
DDV – Les commandos ? Assez rude non ?
Bruno Carpentier : Vous savez un militaire ce n’est pas quelqu’un qui délivre la violence mais qui essaie de maitriser la violence ;
DDV –Vous avez quitté l’armée?
Bruno Carpentier : J’ai quitté l’armée en 2013 en rentrant d’Afghanistan. Ce fut mon dernier ‘voyage de vacances’.
DDV – Pourquoi ? Parce que vous aviez fait votre temps ou pour passer à autre chose ?
Bruno Carpentier : J’allais dire comme Coluche « les deux mon capitaine ». Je pouvais partir à la retraite dans des conditions économiques suffisantes et j’avais effectivement envie, encore, de faire quelque chose. J’étais suffisamment jeune, j’avais 49 ans et cela correspond à peu près à l’époque où j’ai créé ma collection de romans policiers. Je me suis lancé à la fois dans l’écriture et dans la direction de cette collection puisque je suis Directeur de la collection des romans policiers ‘Crimes de pays’ aux éditions ‘d’Un autre ailleurs’.
DDV –Vous avez écrit une fiction inspiré d’un fait réel ‘Le Berger de Saint-Eybert’. D’où provient cet intérêt pour les crimes ? Et deuxièmement, comment faire une fiction d’un fait réel ?
Bruno Carpentier : L’historien montre le chemin parcouru, ce qu’il y a derrière nous. L’homme politique gère l’endroit où nous sommes, le présent. L’artiste lui, qu’il soit écrivain, sculpteur ou autre, l’artiste, lui ou elle, essaye de voir le chemin qu’il y a devant nous, la route que pourrait emprunter la société. C’est pour cela que j’ai voulu travailler le roman, et pourquoi le roman policier, parce que dans le roman policier on entre dans l’âme des gens, dans ce qu’il y a de pire et de meilleur à la fois. Avec la multiplication des personnages –il n’en faut pas trop bien sûr- vous pouvez étudier plusieurs caractères, à la fois de la société ou les caractères humains. Par exemple dans ‘La crypte de Saint-Maximin’, mon dernier roman, la question tourne autour d’une vieille question : « Est-ce que Marie-Madeleine est venue en Provence ou pas ? ». Eh bien, j’ai un personnage qui dit ‘Oui’ et voilà pourquoi. J’ai un personnage qui dit ‘Pas du tout’ et va apparaître au cours du roman un autre personnage qui va apporter une nouvelle idée et qui va dire « Mais, on s’en fiche que ce soit l’un ou l’autre. L’essentiel c’est les valeurs qui sont restées. » Cela, il n’y a que le roman policier qui permet de le faire. Si vous essayez de traiter cela à la façon d’un historien, vous devez coller aux faits, aux sources. Si vous essayez de faire cela à la manière d’un projet politique, vous devez coller à l’électorat. L’avantage qu’a le romancier, lui, c’est qu’il ne doit coller à rien. Lui, l’artiste en général, dessine des lignes pour voir le chemin qu’on pourrait emprunter. Et c’est très important. Regardez, au gouvernement, il y a un ministère de la culture à côté d’un ministère de la défense et de l’économie. C’est donc bien que le politique a toujours besoin des artistes, pas seulement pour les faire rire, mais aussi justement, pour avoir des gens qui aient suffisamment de liberté et d’imagination pour dessiner des chemins possibles pour l’avenir. Je prends souvent l’exemple d’Hervé Bazin qui, à la fin des années 70, écrit un livre ‘L’église verte’. Qu’est-ce que c’est ‘l’Eglise verte’ ? C’est le projet d’un jeune homme et d’une jeune femme –ils vont tomber amoureux- de vivre au contact de la société en respectant les animaux, les arbres, et Hervé Bazin dit, je crois en 1978, « Un jour, on tiendra compte de l’écologie. Un jour on fera attention, aux arbres, aux animaux.» Et regardez où nous en sommes aujourd’hui. Lui a vu cela il y a plus de quarante ans. C’est un exemple, il y en a plein d’autres.
DDV –J’entends, d’après ce que vous dites, que vous écrivez un peu comme un philosophe ?
Bruno Carpentier : C’est à vous de me le dire et de voir l’écriture. Mais c’est vrai que si vous allez sur ma page facebook, sur mon blog, c’est ce que disent parfois les lecteurs. J’essaie de tenir, aussi modeste soit-il, mon rôle social. Dans ‘La crypte de Saint-Maximin’, par exemple, j’observe la société dans laquelle j’évolue, et je porte un jugement dessus. Un lecteur me faisant part de ses réflexions m’écrit qu’il aime ce qu’il y a derrière le crime proprement dit, son message. Il écrit : « Les dernières pages du roman délivre un beau message que je partage. » Il a vu cela, ce monsieur. Il a vu une critique de la société. C’est le principe du polar et du roman policier. Je ne sais pas si ce que je fais est bon mais j’essaie.
DDV –à partir du moment où vous dessinez le chemin à venir, c’est très politique tout cela ?
Bruno Carpentier : Oui, l’écrivain, l’artiste, est une femme ou un homme politique. Ce n’est pas de la politique politicienne mais c’est comme vous disiez, philosophique. On porte un jugement.
DDV –Que voudriez-vous me dire sur votre dernier roman ? Pourquoi Saint-Maximin
Bruno Carpentier : Parce qu’il y a là les reliques de Marie-Madeleine et je voulais parler déjà un peu d’elle et d’aborder le rôle social de la femme dans une féminité apaisée.
DDV –Vous parlez écologie, féminité, c’est également très humaniste…
Bruno Carpentier : J’essaie de l’être. Je suis ravi que quelqu’un s’en rende compte. C’est bien, cela fait plaisir. Marie-Madeleine, pour moi, représente aujourd’hui l’icône de la féminité moderne, dans ce principe de féminité apaisée. Il n’y a plus de guerre entre l’homme et la femme
DDV –Parce qu’on s’est battu avant quand-même…
Bruno Carpentier : Mais bien sûr, vous avez raison. On n’y est pas encore et il faut faire attention de ne pas relâcher sa garde parce que tout cela est bien fragile. Beaucoup de femmes autour de moi, mes filles, ma femme, en parlent. Je vois bien poindre cette espèce d’apaisement. Et pourquoi Marie-Madeleine. C’est une femme à qui –on met tout cela au conditionnel- on a retiré le compagnon –est-ce que c’est Jésus ou pas-. Elle aurait eu des enfants, elle est seule. On l’a traitée de prostituée cette femme. Elle a tenu son rang jusqu’au bout. Elle a été fidèle à ses engagements jusqu’au bout. Je le démontre dans mon roman, en fiction bien sûr. Cela c’est vraiment un beau message de la féminité, de la femme qui arrive, des années 2030. C’est la question de l’égalité fondamentale entre l’homme et la femme. C’est un concept qui me plait énormément. J’ai voulu proposer, à travers le symbole que peut représenter Marie-Madeleine, des raisons de porter l’espoir au-delà de la foi et de la tradition. Ce sont les valeurs humanistes portées par les premiers chrétiens qui m’ont animé. L’actualité, l’idée de refonder notre société ; avec cette histoire de coronavirus tout le monde s’est posé des questions. Demain il va falloir faire une nouvelle société. J’ai un personnage dans mon roman qui est l’épouse de mon personnage principal et je me demande si elle n’a pas raison : toute cette histoire ne repose t’elle pas sur la seule question digne d’intérêt : qu’est-ce qui est le plus important : que le débarquement des proches de Jésus soit authentique ou que les valeurs qu’ils nous ont léguées soient bien réelles, l’amour, le partage, la tolérance, l’égalité fondamentale entre l’homme et la femme, le respect… Le voilà le message de Marie-Madeleine. On peut avoir un contrat social. C’est tout l’arrière-plan de mon intrigue policière. Cela reste quand même un polar ; il y a une enquête, il faut trouver qui a tué qui etc.
DDV –Vous pariez pour les années 2030 sur une féminité apaisée, pensez-vous que cela soit possible avec un capitalisme libéral galopant, quand la femme devient un objet à vendre ?
Bruno Carpentier : Je suis d’accord avec vous. C’est ce que je disais tout-à-l’heure. Il y a encore beaucoup de chemin à faire.
DDV –Quelle est votre définition du bonheur ?
Bruno Carpentier : Quand je regarde dans les yeux de ma femme, je vois la définition du bonheur.
DDV –Qu’espérez-vous pour demain, pour le monde et pour vous ?
Bruno Carpentier : Qu’on arrive à tourner la page de ce chapitre qui se termine. Il va falloir qu’on se renouvelle c’est sûr.
Titre : La Crypte de Saint-Maximin - 299 pages, aux éditions D'un autre ailleurs (Antibes)
Marie-Madeleine est disciple de Jésus. Elle est citée au moins 12 fois dans les 4 évangiles canoniques. L'Évangile selon Jean en fait la première personne à avoir vu Jésus après sa Résurrection, et chargée par lui d'avertir les apôtres. Elle est célébrée le 22 juillet, notamment à St-Maximin où sont conservées ses principales reliques : son chef, c’est-à-dire son crâne, et le noli me tangere, morceau de peau détaché de son front que toucha Jésus lors de sa résurrection. Au XIIIe siècle, Jacques de Voragine écrit sa fameuse Légende dorée. Il reprend une tradition provençale qui raconte qu'après avoir accosté aux Saintes-Maries-de-la-Mer et avoir évangélisé la région, Marie de Magdala aurait vécu la fin de sa vie à la Sainte-Baume que nous connaissons bien.
Le pitch : Janette Mouriès est retrouvée morte dans la basilique de St-Maximin où reposent les reliques de Marie-Madeleine. À ce qu'on raconte au village, la vieille dame avait découvert un secret dans la crypte. Affabulations ? Crime crapuleux ? Complot religieux ? Parachuté en zone gendarmerie, le commandant Cosentino n'a cure de la rumeur et pense plier l'enquête en dix jours. Mais ce qu'ignore le flic du SRPJ de Marseille, c'est que nul ne sort indemne du troisième tombeau de la chrétienté, pas même un as pétri de certitudes.
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