Publié le 25/03/2025

Astrig Siranossian, violoncelliste : « la musique comme langue paternelle » – Interview

Rencontre avec Astrig Siranossian, violoncelliste. Elle sera en concert le 26 avril à Saint-Rémy-de-Provence pour présenter son dernier album Duo-Solo. Un voyage musical entre les Suites pour Violoncelle seul de Bach et les musiques populaires d’Arménie, son pays d’origine. Seule en scène, Astrig Siranossian nous invite à un récital intime autour d’un duo entre violoncelle et voix.

Astrig siranossian cello concert 2025

Astrig Siranossian © Neda Navaee

Astrig Siranossian, virtuose violoncelliste, se produira en concert le 26 avril 2025 à Saint-Rémy-de-Provence, pour un récital dans le cadre de la saison culturelle 2024-2025 de l'Alpilium. Au programme, les suites pour Violoncelle seul de Bach et musiques populaires arméniennes, un spectacle musical intime qui reprend les titres de son album Duo-Solo.

On se souvient de l'émotion portée aux portes du Panthéon par Astrig Siranossian, lors de l'hommage au militant et résistant Missak Manouchian et de son épouse Mélinée. La violoncelliste d'origine arménienne avait alors interprété Grounk, l'oiseau d'Arménie, un moment vibrant gravé dans les mémoires.

Contactée par téléphone pour notre interview, Astrig Siranossian nous offre toute sa disponibilité le temps d'une pose lors d'une masterclass qu'elle donne au Liban, après ses concerts la semaine dernière donnés à Chateauneuf-Grasse, dans les Alpes-Maritimes, puis Munich. "Une semaine un peu folle", confie-t-elle.

Astrig Siranossian, violoncelliste - Interview

Pouvez-vous vous présenter en tant que musicienne ?
Astrig Siranossian : J'ai grandi dans une famille où mon père était directeur d'un conservatoire à Romans-sur-Isère pendant 40 ans, ma grande sœur violoniste, ma mère travaille dans le vin, et j'ai vraiment baigné dans un univers où la musique était vraiment un langage paternel, paternel dans le sens où ça faisait vraiment partie de moi. J'ai appris l'arménien comme langue maternelle, et disons, la musique comme langue paternelle, ça a vraiment toujours fait partie de ma vie.

Plus je grandis, plus j'ai l'impression que la musique est vraiment le langage peut-être le plus simple et le plus évident pour exprimer un bon nombre de choses, de sentiments. J'ai eu la chance de commencer la musique très jeune enfant. J'ai commencé le violon, j'avais à peine 2 ans, et à l'âge de 4 ans, j'ai décidé d'être assise, j'étais un peu flemmarde d'être debout.

Vous avez donc choisi le violoncelle ?
Oui. J'ai choisi de jouer du violoncelle à l'âge de 4 ans. Ensuite, j'ai fait un parcours au Conservatoire de Lyon à l'âge de 8 ans, conservatoire supérieur, diplôme d'études supérieures ... J'ai fait tout un parcours disons plutôt précoce.

Plus tard, je suis partie en Suisse étudier, j'étais en résidence à la Chapelle Reine Elisabeth ...
Voici les grandes lignes de mon parcours.

Vous aviez tout de suite su que vous vouliez en faire votre métier ?
Je ne me suis jamais posé la question de savoir si je n'allais pas en faire mon métier plutôt. Je ne me suis jamais posé la question de faire autre chose en fait. C'est marrant, je n'ai pas le souvenir de m'être posé la question de ce que j'allais faire de ma vie.

Quelles ont été les oeuvres que vous interprétiez lorsque vous étiez enfant ? Comment avez-vous évolué dans leur interprétation ?
J'ai commencé par une méthode qui s'appelle la méthode Suzuki, qui est une très bonne méthode d'ailleurs parce que je trouve que ça forme l'oreille, qui est quand même le muscle le plus important en tant que musicien. Et puis aussi, le fait de jouer en groupe fait un plaisir immédiat de la musique et du partage, et ça c'est vraiment important.

Astrig Siranossian © Neda Navaee

Astrig Siranossian en concert à l'Alpilium

Quel est le programme prévu pour votre concert du 26 avril à Saint-Rémy-en-Provence ? Vous êtes en solo ?
Je suis en solo pour ce programme. Jouer en solo est un acte assez courageux parce que l'on est vraiment responsable, livré à soi-même pendant toute la durée d'un programme

Les oeuvres que je vais jouer le 26 avril sont des oeuvres que je joue depuis longtemps. Et notamment la spécificité de jouer les suites pour Violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach avec entremêlée de mélodies arméniennes, c'est quelque chose que j'ai commencé à faire. J'ai toujours baigné dans cet univers.

Mon père était directeur d'un conservatoire donc forcément en musique classique. J'ai également reçu beaucoup de musique populaire à travers ma famille maternelle. Et puis aussi, quand on est d'origine arménienne, la chanson populaire fait vraiment partie du quotidien.

Vous allez donc faire des passerelles entre les suites pour violoncelle de Bach et la musique d'origine arménienne ?
Oui exactement. En fait, je n'ai pas cherché à faire ça. C'est venu par hasard. Un jour, je jouais une mélodie populaire sur une pédale de sol. Et la première suite de Bach est en sol. J'ai joué ça comme ça. Et des amis m'ont dit : "c'est marrant, ça se ressemble quand même vraiment beaucoup !

Il y a quelque chose d'assez troublant. Et j'ai trouvé que c'était une passerelle absolument formidable entre les musiques. J'ai un amour viscéral de la musique mais pas de la musique classique ou de la musique dans les cases. De la musique tout court, la belle musique, la belle émotion.

L'émotion sera encore beaucoup plus présente puisque vous êtes seule sur scène ? C'est un concert assez intime, assez fort ...
Exactement. C'est quelque part cette proximité... C'est cette proximité qui me plaît ... En fait, c'est une proximité parce que déjà, c'est une mise en fragilité. Quand on est seul face à un public, on se met en difficulté quelque part. Je ne dirais pas qu'on montre ses faiblesses, mais on se met à nu. On n'a pas un pianiste ni un pupitre derrière qui se cacher.

Je trouve que dans cet acte de solo, il faut être le plus honnête possible. Donc de fait, pour moi, d'être le plus honnête possible avec le public, c'est de partager les musiques qui me sont les plus proches. Au même titre que la première suite pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach, les mélodies populaires arméniennes le sont.

Et après, il y a des pièces du répertoire également que je joue et qui font évidemment partie du répertoire que j'ai toujours joué. En tout cas, c'est un programme qui est vraiment... Comment dire ?

Qui vous tient à cœur ?
Oui, c'est un programme très personnel.

C'est une histoire que vous voulez raconter en fait ?
Oui, c'est une histoire que je veux raconter.

C'est un programme que j'ai beaucoup tourné avant d'enregistrer. Mais l'idée de graver ce programme sur disque et vraiment née du retour du public. C'est vraiment un échange.

Astrig Siranossian © Neda Navaee

Astrig Siranossian, un Duo-Solo entre violoncelle et voix

Et comment s'appelle cet album ?
Duo Solo.

Et pourquoi "duo" alors si vous êtes seule sur scène ?
Parce que je chante, je joue et je chante. C'est un duo avec moi-même.

C'est pour accompagner les mélodies arméniennes ?
Exactement.

Et vous chantez en arménien ?
Oui, bien sûr. C'est le seul répertoire que j'ose chanter sur scène. La voix est une cinquième corde finalement. Je rajoute une cinquième ou une sixième corde.

Que racontent ces chansons ?
Ce sont des chants populaires ... C'est souvent des descriptions de la nature, beaucoup de métaphores également, par exemple.

Il y a des mélodies qui parlent des montagnes qui nous manquent, du printemps, de la nostalgie du printemps. Mais tout ça, ce sont des métaphores, ce sont des chants d'amour. C'est ce que je trouve toujours touchant avec les chants populaires, c'est qu'on est sur quelque chose de mélodique.

Ça parle du cœur au cœur. Ce qui me plaît beaucoup dans la mélodie populaire, dans le chant. Il y a quelque chose, je trouve, d'assez magique dans le chant.

Et l'idée de mélanger à la fois le violoncelle que je travaille depuis que je suis enfant. On ne peut pas dire que je ne travaille pas en violoncelle, je le travaille beaucoup. Mais la voix, c'est un élément physique que nous portons tous en nous et qu'on peut faire vibrer si on a envie.

Et je trouve ça incroyable, moi qui passe mon temps à transporter mon violoncelle qui est un instrument encombrant, de me dire qu'en nous, on porte un instrument et qu'il suffit de le mettre en vibration pour qu'il sonne.

Je n'avais pas du tout envie que les mélodies populaires soient des illustrations et puis que ça vienne déranger Bach. C'est vraiment simplement finalement comme rajouter une épice sur un plat.

La musique populaire est ce qui lie les peuples entre eux aussi, le chant, la mélodie. On peut communiquer en musique sans comprendre la même langue. Et la musique de Bach, c'est un miracle tous les jours de jouer la musique de Jean-Sébastien Bach.

Je trouve qu'il fallait trouver le bon dosage et ça a été beaucoup de travail pour mettre ce programme sur pied. Mais après, je pense que dans le travail d'interprétation, ce que j'ai essayé de chercher, c'est vraiment un travail de complémentarité entre ces deux musiques qui ne s'opposent pas du tout et qui créent quelque chose d'assez organique d'un passage à l'autre. C'est un voyage.

La transmission

Vous êtes au Liban, vous faites des masterclass, la transmission, l'enseignement, c'est quelque chose qui vous plaît ?
Oui, j'enseigne au Conservatoire national supérieur de Paris depuis cette année. Puis aussi à l'école normale. J'ai toujours pensé très vite à la transmission parce que j'ai eu des profs exceptionnels. Et je suis toujours partie du principe que ce que j'avais reçu, il fallait que je puisse le transmettre. L'idée et la conscience de la transmission m'est venue très tôt.

À titre personnel, j'ai reçu beaucoup, beaucoup ... J'ai grandi, j'ai eu la chance de grandir dans une famille excessivement généreuse avec un foyer toujours ouvert. Je n'ai connu que ça. J'essaie simplement de redonner un peu de ce que j'ai reçu.

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