- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 19 min
Vincent Beer-Demander : mandoliniste et compositeur d’avant-garde
Rencontre intime avec l’exceptionnel mandoliniste Vincent Beer-Demander, à l’occasion d’événements à venir en hommage au mandoliniste argentin Astor Piazzola qui se déroulera à la fin du mois de mai au Théâtre de l’œuvre de Marseille. Sous le soleil de la cité phocéenne, Vincent Beer-Demander nous parle de sa passion pour la pédagogie, de sa conception de la composition, de ses différentes collaborations et albums à venir, et de l’admiration d’un compositeur musicien par un musicien compositeur.
Concertiste, pédagogue, compositeur, arrangeur, organisateur, directeur artistique et musical : qui voudrait embrasser la prodigieuse diversité des activités du mandoliniste Vincent Beer-Demander s’expose au risque d’un vertige inévitable. Du reste, le féroce éclectisme de ses collaborations artistiques explose, en la démultipliant, l’image d’un instrument longtemps figé dans un folklore populaire désuet. Entre ses mains, le petit luth se trouve pris dans un jeu de miroirs, dévoilant des facettes inattendues : de Vladimir Cosma à Régis Campo, d’André Minvielle à Richard Galliano, la galaxie explorée est en permanente expansion, Vincent Beer-Demander se refusant à imposer une limite à sa curiosité insatiable.
« J’ai rencontré Marseille à la fin des années 90, au tout début des années 2000. C’est une ville que j’ai en amour parce que c’est une ville où il y a un vent de liberté et que je me sens plus que jamais un artiste libre… » Vincent Beer-Demander
Centenaire de la Naissance d'Astor Piazzola
Concert imaginé par Vincent Beer-Demander
Un événement à venir le Dimanche 30 mai, 18H30 au Théâtre de l'Oeuvre à Marseille
50 musiciens sur scène pour rendre hommage à Astor Piazzola ! Le plus grand compositeur argentin du XXème siècle aurait eu 100 ans cette année et pour lui rendre hommage, Vincent Beer-Demander invite le grand guitariste Edoardo Catemario et le bandéoniste argentin Fernando Maguna pour un concert mémorable accompagné de l’Académie de Mandoline et Guitare de Marseille.
En 1921, Astor Piazzolla nait en Argentine. Il s’impose rapidement comme l’apôtre du « tango nuevo » et l’un des compositeurs les plus importants de la seconde moitié du XXème siècle. Vincent Beer-Demander, professeur au Conservatoire de Marseille et directeur artistique de l’Académie de Mandoline, imagine un hommage au maitre argentin et convie l’un des plus grands guitaristes classiques actuels : Edoardo Catemario. Ce dernier interprétera pour le public marseillais quelques-unes des plus belles pages d'Astor Piazzolla dédié à la guitare ainsi que des duos avec Vincent Beer-Demander et Fernando Maguna, bandéoniste argentin résidant à Marseille. L’Académie de Mandoline et Guitare de Marseille sera également présente pour ce vibrant hommage à celui que l’on surnommait « El Gatto » et accompagnera les solistes pour notre plus grand plaisir. Un évènement à ne pas manquer !
Vincent Beer-Demander, un mandoliniste amoureux de musique
Rencontre avec ce musicien passionné de transmission et de partage
Danielle Dufour-Verna - ProjecteurTV : Bonjour. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Vincent Beer-Demander : Je suis mandoliniste, compositeur et j’enseigne mon instrument depuis plus de 20 ans et depuis 2009 au Conservatoire de Marseille où j’ai rouvert cette classe qui avait été fermée en 1941. Je suis sur les traces de mon illustre prédécesseur Florent Fantozzi, grand virtuose italien, qui a donné ses lettres de noblesse à la mandoline marseillaise à partir de 1900. J’enseigne également au Conservatoire Royal de Liège qui est un établissement d’enseignement supérieur et je partage mon temps entre l’enseignement, la composition, l’arrangement et évidemment la création et les concerts, même si en ce moment, c’est un peu plus compliqué pour les concerts.
Danielle Dufour-Verna : Comment êtes-vous venu à la mandoline ?
Vincent Beer-Demander : J’ai commencé à l’école de mandoline de Toulouse, au foyer d’éducation populaire du quartier Fontaine Lestang, le quartier de mon enfance, un quartier populaire au sens ancien du terme. C’est-à-dire qu’on était plutôt saucisse-cassoulet-accordéon. Je parle de la fin des années 80 à Toulouse. Il existe en fait à Toulouse le plus vieil orchestre de mandolines en activité de France, l’ensemble à Plectre le plectre étant le petit morceau d’écaille qui sert à pincer les cordes de la mandoline. Un de ses membres, Francis Morello, a voulu créer une classe de mandoline pour faire en sorte que son orchestre ne périclite pas comme il l’avait vu péricliter à plusieurs reprises dans le passé. Il a installé son équipement dans mon quartier. Il est venu jouer avec des amis de l’orchestre dans mon école et à la fin de leur prestation il a demandé quels étaient les enfants qui voulaient apprendre la mandoline. Et j’ai levé la main. C’était quasiment gratuit. C’était vraiment l’éducation populaire dans tout ce qu’elle a de généreux, de beau. J’ai commencé la musique à travers la mandoline et avec des bénévoles, des musiciens amateurs, passionnés, qui donnaient de leur temps, donc à la fin des années 80.
Danielle Dufour-Verna : Vous êtes issu d’une famille de musiciens ?
« J’ai dans ma lignée, on va dire, quelques musiciens dont Berlioz mais ça remonte à loin. Et Alphonse de Lamartine était l’arrière-grand-oncle de ma grand-mère ! »
Vincent Beer-Demander : Alors, j’ai dans ma lignée, on va dire, quelques musiciens dont Hector Berlioz mais ça remonte à loin. Et Alphonse de Lamartine était l’arrière-grand-oncle de ma grand-mère ! Donc, j’ai des artistes dans la famille. Mon arrière-grand-mère était bien connue. Elle fréquentait au début du XXème siècle Meyerbeer, Halévy… Mais, à proprement parler, mes parents ne sont pas musiciens, par contre j’ai un père qui est assez artiste, qui écrit, qui chante, qui est très mélomane, qui a une vraie sensibilité artistique. C’est sans-doute lui qui nous a donné ce gêne. On va dire que je suis le premier musicien des Beer-Demander mais pas le dernier puisque mon frère est chanteur, ténor professionnel, que mes enfants, ma femme, mes neveux, mon beau-frère maintenant, sont tous musiciens, des musiciens en devenir ou des musiciens professionnels.
Danielle Dufour-Verna : Beaucoup de mandolinistes sont italiens. Vous êtes-vous inspirés d’eux ?
« Je milite pour la reconnaissance d’une mandoline universelle. »
Vincent Beer-Demander : J’ai beaucoup de respect pour l’histoire des instruments mais je considère que l’histoire est toujours en mouvement. C’est-à-dire, bien que l’on associe la mandoline à l’Italie comme l’on associe la guitare à l’Espagne, je milite pour la reconnaissance d’une mandoline universelle, c’est-à-dire un instrument qui n’est pas plus italien qu’il n’est français, qu’il n’est espagnol, qu’il n’est portugais. La mandoline a cette chance d’avoir deux facettes : la facette savante et la facette populaire. Par musique savante on entend Mozart, Scarlatti, Beethoven, Verdi, Prokofiev, Boulez, les grands compositeurs qui ont composé pour la mandoline. Mais elle a aussi cette facette populaire, évidemment en Italie, c’est un instrument qui accompagne les sérénades, les tarentelles ou bien en Grèce où l’on a des mandolines, des bouzoukis, des baglamas ou bien en Amérique où l’on a le fameux bluegrass pour la country et le blues ou au Venezuela. C’est pour moi un instrument qui est universel. François de Chancy, un Français, était professeur du roi de France Louis XIII. Il jouait de la mandore qui est l’ancêtre de la mandoline. Donc, on associe la mandoline à l’Italie, une sorte de "mandolinomania", de folie de la mandoline. D’abord, dans l’Italie préclassique, de 1750 à 1780, tous les mandolinistes italiens sont venus faire fortune à Paris. A partir de 1850, c’est de nouveau une "mandolinomania" qui part de Naples et va se répandre dans toute l’Europe à tel point qu’en France, entre les deux guerres, il y a trois millions de vente de mandolines. C’est devenu, à cette époque-là, un instrument extrêmement populaire. C’est l’équivalent de ce qu’on appelle la gratte, la guitare, qu’on a dans un coin pour jouer quelques accords, avant c’était la mandoline. C’est un instrument qui a été enseigné aux institutrices à l’École Normale des Institutrices jusque dans les années 60. Au lieu d’étudier la flûte à bec, on étudiait la mandoline. C’était un instrument extrêmement populaire mais qui a été défavorisé par cette réputation qu’il avait d’être un instrument un peu du passé et la guerre n’a pas fait beaucoup de bien à cet instrument dans la mesure où la mandoline a été assimilée, quelque part, à cette Italie fasciste.
« Quand Vladimir Cosma écrit son concerto, il n’écrit pas pour la mandoline, il écrit pour la musique. »
Je m’inspire évidemment, de grands artistes. Il y a beaucoup de grands mandolinistes italiens à commencer par notre marseillais Laurent Fantauzzi qui, je le rappelle, est né à Latina, dans la province de Rome, mais aussi Raffaelle Calace, Marucelli, Leonardi, de grands noms qui ont contribué à enrichir considérablement le répertoire de la mandoline. Mais je pense qu’aujourd’hui, on est passé à un stade différent. Les compositeurs de mandoline ne sont plus exclusivement des compositeurs de mandoline mais il y a de grands compositeurs qui écrivent pour la mandoline. Et seuls, pour moi, les grands compositeurs -des gens dont c’est le métier à plein temps- peuvent transformer un instrument et faire oublier justement que c’est une mandoline. Quand Vladimir Cosma écrit son concerto, il n’écrit pas pour la mandoline, il écrit pour la musique. Il utilise la mandoline comme un outil de sa musicalité et bon nombre de compositeurs qui s’y sont intéressés ont, pour moi, transcendé l’instrument.
Danielle Dufour-Verna : Vous préparez un concert hommage à Astor Piazzola. Est-ce que vous essayez de vous attacher au son du bandonéon ou faire autre chose de sa musique ?
« Astor Piazzola fait partie des grands génies de l’histoire de la musique. Il restera, au même titre que Prokofiev, que Stravinsky, que Vivaldi, que Bach et Beethoven. »
Vincent Beer-Demander : Astor Piazzola fait partie des grands génies de l’histoire de la musique. Il restera au même titre que Prokofiev, que Stravinsky, que Vivaldi, que Bach et Beethoven. C’est un immense compositeur qui puise son inspiration dans les racines de son pays et de la musique de son pays, le tango et l’Argentine. Mais pour autant c’est un compositeur totalement universel. Dans Piazzola, il y a de la fugue, il y a du Bach. Dans Piazzola, il y a du Stravinsky, mais il y a surtout du Piazzola, c’est-à-dire qu’il a fait siennes les musiques des autres. C’est cela pour moi le génie. Donc, je ne veux surtout pas chercher à imiter le bandonéon qui est un instrument extrêmement éloigné de la mandoline par sa sonorité. Pour autant, j’ai beaucoup étudié la musique d'Astor Piazzola et je veux honorer sa musique, sa pensée musicale et faire en sorte qu’avec les mandolines, les guitares, on ne trahisse pas sa pensée. Les fondamentaux, le respect de son style, qui est un style particulier, avec beaucoup d’ornementations, avec un background jazz qui est vraiment une mise en place très jazz, que ce soit respecté, que ses tempi, le tempo de ses musiques soit respecté, sa façon de phraser une mélodie… Chez Astor Piazzola, comme chez beaucoup de compositeurs, la pulsation reste immuable : 1.2.3.4 et 1 et 2 et 3 et 4. Donc l’orchestre, l’accompagnement, c’est-à-dire le piano, la contrebasse, la guitare, ce qu’on appelle la rythmique, ne bouge pas. Elle est stable. Mais par contre la mélodie, le bandonéon, lui, est libre. Ça donne une espèce de liberté dans la phrase, dans une structure qui reste immuable. Ça c’est la force de Piazzola. C’est une caractéristique de son style. Quand beaucoup de musiciens classiques qui font ce qu’on appelle du rubato, c’est-à-dire des ralentis des accelerando, l’accompagnement suit. Il ne faut pas ça. Cela fait partie des fondamentaux. J’ai 40 disques de Piazzola, j’ai mis les mains dans la cambouille, j’ai fait beaucoup d’arrangements. Quand vous avez assimilé cette technique, c’est quelque chose que vraiment vous respectez.
Danielle Dufour-Verna : Mon autre question était : Quel regard le compositeur et le musicien que vous êtes pose-t-il sur Astor Piazzola compositeur et musicien. Vous y avez répondu mais voulez-vous ajouter quelque chose ?
« Piazzola fait partie des cinq compositeurs qui m’ont le plus inspiré dans ma musique et ma façon de vivre la musique »
Vincent Beer-Demander : Non. J’ai vraiment beaucoup d’admiration pour lui. Ce que je peux rajouter, c’est que Piazzola fait partie des cinq compositeurs qui m’ont le plus inspiré dans ma musique et ma façon de vivre la musique. Il est dans la tête de liste des compositeurs qui m’ont marqué, qui m’ont bouleversé même. J’ai eu des émotions immenses en écoutant la musique de Piazzola et des émotions encore plus grandes en la jouant. Ça fait partie des fondamentaux de mon parcours musical.
Danielle Dufour-Verna : On dit que Piazzola, et c’est vrai, a révolutionné le tango. Est-ce qu’on peut dire que Vincent Beer-Demander révolutionne la mandoline ?
« J’ai conscience aujourd’hui que le travail que j’ai fait apporte une pierre de plus à l’édifice de la mandoline. »
Vincent Beer-Demander : Vous pouvez le dire, pas moi ! (rires) J’ai conscience aujourd’hui que le travail que j’ai fait apporte une pierre de plus à l’édifice de la mandoline. Je le dis simplement parce que je n’ai eu de cesse depuis vingt ans de susciter de nouvelles œuvres chez les compositeurs. J’ai travaillé avec des compositeurs contemporains de tous horizons, de tous styles confondus. J’ai commandé des pièces à Régis Campeau, à François Rossé, à Frédéric Martin, des compositeurs de musique dite contemporaine, c’est-à-dire avant-gardistes. J’ai commandé des œuvres à Vladimir Cosma... à Claude Bolling, des compositeurs qui écrivent de la musique tonale, dans la tradition de ce qu’écrivait Gabriel Fauré, c’est cette école. Je n’ai pas de parti pris esthétique. Je n’ai qu’un critère : quand la musique est bonne, qu’elle me plait et qu’elle me semble bonne, je la joue et je la défends et selon les critères qui sont subjectifs, certes, mais qui respectent quand-même ma formation. Je suis compositeur. J’ai fait des études de composition, d’orchestration, d’écriture. Je sais quand une pièce est bien dans sa forme aussi bien que dans ses idées, son développement. Je pense participer aussi, modestement, à avoir une nouvelle vision de la mandoline, comme un instrument capable de s’adapter à toutes les musiques d’aujourd’hui, du 21e siècle, soit dans la musique que j’écris pour moi, pour la mandoline solo, qui est une façon d’écrire qui m’est bien familière, soit en l’intégrant dans des musiques comme le rock, la variété, le rap, qui sont des genres musicaux à part entière que je respecte et dans lesquels j’essaie de glisser quelques notes de mandoline.
Danielle Dufour-Verna : Quels sont, malgré la Covid, votre actualité et vos projets ?
« J’ai créé avec mon ami Maxime Vagner un label musical qui s’appelle "Label Maison Bleue" »
Vincent Beer-Demander : Je vais vous faire une confidence : je n’ai jamais autant travaillé que cette année. La semaine où on a appris la pandémie, ça m’a laissé, comme beaucoup, sans voix. Très rapidement, j’ai réagi en réinventant ma pédagogie, c’est-à-dire en travaillant énormément sur les médias, en envoyant tous les jours des partitions, en faisant des recherches, en faisant de la recherche pédagogique adaptée, des tutos… J’ai fait mon premier concert direct Youtube, Facebook, un concert live. Très rapidement, dès qu’on a pu en avoir l’autorisation, j’ai travaillé sur l’aspect studio et enregistrement. J’ai créé avec mon ami Maxime Vagner un label musical qui s’appelle Label Maison Bleue riche déjà de 25 disques. J’ai également publié moi-même de nombreux enregistrements que j’avais déjà faits et qui étaient dans les cartons et j’en ai profité pour le compléter de cinq nouveautés. Ça a été un travail colossal et ça a été quelque chose de très salvateur pour moi. Je n’ai jamais autant fait de mandoline et de musique que ces derniers temps. J’étais au studio trois fois par semaine. J’ai beaucoup produit. J’ai beaucoup composé. J’ai répondu à quelques commandes. J’ai composé pour moi.
Danielle Dufour-Verna : Et ces albums donc ?
« J’ai 5 albums en cours. Je prépare un album avec l’orchestre symphonique de Cannes, enregistré en février dernier. »
Vincent Beer-Demander : J’ai cinq albums qui sont en cours. Je prépare un album avec l’orchestre symphonique de Cannes, enregistré en février dernier. J’ai un album qui va sortir chez Universal qui s’appelle Mandoline World, un disque de jazz avec Claude Palmieri avec la mandoline comme instrument de voyage entre l’Irlande, les États-Unis, l’Argentine, le Pérou ou la France ; un disque avec mon ami accordéoniste Gregory Daltin qui va être consacré à Ennio Morricone qu’on préparait avec le maestro quand malheureusement il est décédé ; j’ai deux disques avec piano… J’ai beaucoup d’actualités et d’albums dont la sortie va s’échelonner entre mai-juin 2021 et mai-juin 2022. Sur une année on va sortir 6 ou 7 disques. On en a besoin. Le label a besoin aussi de proposer un catalogue fourni et varié et on a mis les bouchées doubles. J’ai aussi beaucoup travaillé sur la structuration de ma nouvelle compagnie : VDB & Co. Cette compagnie est administrée par mon ami Maxime Vagner. C’est quelqu’un de très important dans ma vie, qui a contribué à recentrer mon activité, à la réorganiser, à lui donner plus de visibilité et surtout à lui donner une reconnaissance auprès des institutions puisque ma compagnie aujourd’hui est soutenue par l’État français, la Région, le Département et la Ville. Cela, on le doit vraiment au travail acharné de Maxime Vagner qui est le directeur de l’Agence Artistique Prodigue Art.
Danielle Dufour-Verna : Après vous avoir vu en concert, j’ai remarqué une attention, une relation, une entente, une écoute particulière avec les jeunes mandolinistes.
« J’ai gardé mon âme d’enfant…. J’ai une relation particulière avec eux parce que je les aime. J’aime enseigner, j’aime partager ma passion pour la musique. »
Vincent Beer-Demander : Déjà je pense que comme beaucoup de gens, j’ai gardé mon âme d’enfant. La musique nous aide à garder notre âme d’enfant parce que la musique, c’est un art de la sincérité, c’est un art de la spontanéité, c’est un art qui est relié aux gestes instinctifs. Il y a beaucoup d’humour dans la musique et en même temps beaucoup de sentiments mêlés : la joie, la tristesse, et la musique est un vecteur de toutes ces émotions. On sait à quel point les enfants sont sensibles. J’ai une relation particulière avec eux parce que je les aime. J’aime enseigner, j’aime partager ma passion pour la musique. J’aime voir les enfants s’émerveiller à la beauté. J’aime voir ça. Je crois, moi, à la chance de la beauté, de croire en la beauté, en l’homme et quand je vois un enfant qui s’éveille au beau je l’aide, quelque part, à aiguiser son sens de la vision du monde. On peut voir le monde de plusieurs façons, avec du beau ou avec du moche. La musique est : le voir avec du beau. Quand je vois des enfants qui passent des heures à rendre plus beau un morceau, une note, une mélodie, une harmonie, ça me touche profondément. J’ai cet émerveillement que j’avais, moi, quand j’étais petit et j’essaie de le leur transmettre. Ils me le rendent en donnant le meilleur d’eux-mêmes.
Danielle Dufour-Verna : A quel âge peut-on commencer à jouer de la mandoline ?
Vincent Beer-Demander : J’ai la chance d’avoir une femme, Cathy, qui enseigne aussi la mandoline. Elle a des enfants qui commencent à 4 ans. Moi, je dirais que je suis à l’aise à partir de 6 ans, au moment où les enfants commencent la lecture. On a cette spécificité dans la musique occidentale de se baser sur de l’écrit plus que sur de l’oral. Quand ils commencent à lire, ils commencent à lire aussi une partition et ça me va très bien parce que le solfège, la lecture des notes, le chant, sont, pour moi, des outils très importants et facilitant l’apprentissage de la musique. On peut faire de la musique sans, bien évidemment mais dans la musique classique occidentale, c’est quand-même beaucoup plus facile d’être lecteur, de savoir chanter, de savoir son solfège. Donc je suis plus à l’aise à partir de 6 ans ou 7 ans.
Danielle Dufour-Verna : Des dates de concert prévues ?
Vincent Beer-Demander : Le dernier week-end du mois de mai est consacré à Astor Piazzola au Théâtre de l’œuvre. J’ai une résidence avec un concert entre le 13 et le 17 mai à Chaillol. J’ai un concert très important où je vais créer le Cinématic Concerto de Régis Campo le 20 mars dans le cadre de Mars en Baroque. Je vais jouer aux Nuits de Nacre le 25 juin, au Festival du Thoronet le 24 juin, aux Nuits de Fourrière le 30 juin et j’ai un été, si tout se réalise, avec 22 concerts.
Danielle Dufour-Verna : Avant de vous poser ma dernière question, voulez-vous ajouter quelque chose à cette interview ?
Vincent Beer-Demander : J’ai rencontré Marseille à la fin des années 90, au tout début des années 2000. C’est une ville que j’ai en amour parce que c’est une ville où il y a un vent de liberté et que je me sens plus que jamais un artiste libre, libre de ses choix, libre dans la société, libre d’enseigner ma passion comme je l’entends. Marseille me donne beaucoup d’énergie et beaucoup d’inspiration. C’est une ville qui fourmille, qui ne s’arrête jamais. J’ai beaucoup de gratitude envers le Conservatoire National de Marseille qui a bien voulu rouvrir ses portes à la mandoline depuis maintenant plus de dix ans et c’est très important car à ce jour, Marseille a une des plus belles classes de mandoline en France.
Danielle Dufour-Verna : Quel est votre définition du bonheur. C’est quoi, pour vous, le bonheur ?
Vincent Beer-Demander : Le bonheur, c’est de pouvoir continuer à vivre en musique avec les gens que j’aime.
Cf : Théâtre de l’œuvre
Photo à la Une © Raphaël Arnaud