- Auteur Marie Celine SOLERIEU
- Temps de lecture 9 min
Pieter Jelle De Boer : “passion, sensibilité, la base de toute musique”
Rencontre avec Pieter Jelle De Boer - Chef d'Orchestre invité à l'Orchestre Régional Avignon Provence -
Concert Symphonique autour des Passions Germaniques et Magie Française, ce vendredi 13 décembre à la Fabrica.
Au programme :
Henri Dutilleux
Mystère de l’Instant pour orchestre à cordes, cymbalum et percussion
Félix Mendelssohn
Concerto n°1 pour violon en mineur op.64
Robert Schumann
Symphonie n°2 en do majeur op.61
Un concert symphonique qui inspire des résonances autour des origines de Pieter Jelle De Boer et des passerelles entre la musique germanique et musique française
On fait souvent la contradiction entre la musique germanique et la musique française. Évidemment, ça reste de la musique. Il est vrai que la musique française a toujours eu cet aspect de clarté, de charme. Ce côté un peu magique, ce charme que l'on lui attribue. Mais ce ne sont pas des notions étrangères à la musique germanique. Quand on pense à Mendelssonn, il y a toujours le mot "féérique" qui vient à l'esprit. C'est une caractéristique de sa musique que l'on retrouve dans le concerto pour violon, dans la musique du Songe d'une Nuit d'Été, par exemple. Quant au côté passionnel, je pense évidemment à Schumann.
Passion, sensibilité, est- ce des émotions qui vous parlent ?
Absolument ! C'est à la base de toute musique. c'est une façon de s'exprimer . Ça commence par la voix, par le chant ou par le rythme, en tapant sur des choses. Une envie de s'exprimer. Quand on fait de la musique professionnellement, même avec les instruments les plus compliqués, les partitions les plus complexes, au fond c'est toujours ça . On a envie de dire quelque chose avec des moyens qui dépassent les mots.
Comment raconte-t-on un langage musical avec une baguette ?
La baguette est un outil. On peut s'en passer. Moi-même je dirige sans de temps en temps . Là, pour ce programme, plutôt avec. ce n'est qu'un outil. On fait passer la musique, en tant que chef, par beaucoup de choses. Par exemple, en répétitions, par la parole, par des instructions. Ensuite, il ya toute une partie qui se traduit par le geste, par l'attitude, par le regard aussi, qui est peut-être de l'ordre du mystère.
Ce que j'essaie, c'est de donner une cohérence, une ligne, clarifier la trame. On commence par ici, on passe par tout ça, et puis on va aller là. Essayer de mettre en accord tous les musiciens, de façon à ce qu'ils parlent d'une seule voix. Voilà ce que j'essaie de faire, en les dirigeant par certains gestes, en mettant certains accents.
Je n'aime pas trop concentrer le symbole de "pouvoir" dans cet attribut là. C'est un peu un héritage de l'époque lointaine, en quelque sorte. La baguette est un outil pour donner le langage musical avec tout un codage entre le chef et l'orchestre, que l'on comprend mutuellement .
Chef d'orchestre, pianiste, organiste ... musicien complet
C'est le même univers, mais je trouve qu'ils se nourrissent également. Je ne peux pas trop me passer de jouer moi-même, parce que je trouve que c'est très important de garder cette notion de musicien. D'avoir son instrument, devoir le travailler, d'avoir à entretenir une technique, de faire soi-même le son.
Quand on dirige, évidemment on bouge beaucoup, mais on ne fait pas de bruit, on ne fait pas de son. Et donc, la direction qui demande une vue d'ensemble de la partition, qui demande une compréhension d'une structure musicale très élaborée, je trouve que cela apporte un autre éclairage à ma façon de jouer. Dans l'autre sens, cela permet de rester humble, d'une certaine façon.
Il y a comme on dit " 99% de transpiration, et 1% d'inspiration" ! Il faut savoir où l'on va . Cela passe par l'étude d'une partition, l'étude mentale, ou l'étude physique à l'instrument. De cette façon là, on construit petit à petit une interprétation. Mais lorsqu'on travaille avec un groupe de musiciens, ce n'est pas seulement "moi ce que je veux ou ce que j'impose". C'est eux, ce qu'ils donnent, moi ce que j'ai à proposer, et ce que cela donne ensemble, sur le moment .
Il est vrai que lorsqu'on on travaille, on est toujours dans le moment présent, avec toujours cette idée en tête "il ne faut pas que je dépasse telle heure, parce que c'est la fin de la répétition, que j'oublie de travailler tel épisode parce qu'il est particulièrement compliqué..." Il y a toujours un côté de réflexion. C'est oujours une question d'équilibre.
Qu'est ce qui vous a donner envie devenir chef d'orchestre ?
Ce qui me passionne, c'est ce foisonnement d'instruments, de couleurs et aussi, la polyphonie au sens propre. Aujourd’hui, on a beaucoup l’habitude, lorsqu'on écoute de la musique, d'écouter la chanson, le truc que l’on peut fredonner, qu'on peut chanter, mais, moi ce que j’adore dans la musique, ce n'est pas le chant, mais le contre chant. Quand il y a des choses qui se passent simultanément, qui se rejoignent. Toutes ces espèces de jeux, de différentes lignes : la mélodie la plus importante, la basse, et en concordant cela, ce sera justement l'assemblage de tout ça. Décrypter, donner du sens à cela, c'est passionnant .
Quand on est un orchestre, il ne faut pas simplement juste jouer, mais aussi comprendre ce que font les autres, et quel rôle on a dans tout ça. Un sens de "min-société idéale", ou tout le monde s'écoute, ou tout le monde laisse passer les autres quand il le faut.
Que pensez vous de rendre la musique classique accessible au jeune public ? Comment y contribuez-vous ?
Je trouve que c'est quelque chose de fondamental. Surtout de se dire que la musique classique de toutes les époques, c'est peut être ce que l'on a de plus beau, de plus riche dans notre patrimoine culturel musical. C'est quelque chose qui surtout, ne doit pas effrayer, qui doit être accessible, vraiment à tout le monde. Elle ne parlera pas à tout le monde la même manière, mais c'est ce qui est beau aussi.
J'essaie toujours d'assurer un rôle de médiateur de la musique, de l'amener au plus proche du public.
Par exemple, avec l'Orchestre Régional Avignon Provence, on est déjà allé dans des lycées, en apportant la musique au plus près des gens qui n'y on pas forcément accès, ou qui ne connaissent pas forcément. La générale de ce concert symphonique est ouverte au public scolaire très large, ou je serai amené à présenter les oeuvres. Essayer de donner quelques clés par quelques paroles, isoler quelques extraits de musique.
Je suis aussi intervenu avec l'Orchestre, pour des résidences dans les lycées de la Région, où je suis amené à travailler un programme avec les élèves du lycée. Un programme souvent mi théâtral-mi musical. l'Orchestre va dans les lycées avec des mise en scène conçues par des intervenants. l'Orchestre d'Avignon se prête beaucoup à ce jeu là. C'est très touchant, ces rencontres là.
Comment s'est faite votre première rencontre avec la musique ?
C'était à la maison. Dans mon souvenir, c’était quelque chose qui était toujours là . Mon père faisait de la musique en amateur, qui en écrivait aussi. Ma mère qui écoutait tout le temps de la musique, qui enregistrait plein de choses qui passaient à la radio . C'était une partie intégrante de notre famille. C'était assez évident que je fasse de la musique moi-même et que je continue dans ce domaine.
Pieter Jelle de Boer, deux cultures musicales : Pays-Bas / France
Je suis né aux Pays-Bas, et je suis arrivé en France en 2003. J'ai passé une bonne partie de ma vie aux Pays-Bas. Puis pour mes études de directeur d'Orchestre, je suis passé par le CNSM de Paris et je me suis installé en France. je me suis marié, ma femme est française, et j'ai posé mes valises.
Comment pourriez-vous définir cette culture musicale ?
On est pas si différents que ça ! Mais c'est vrai que lorsqu'on décide de s'installer dans un autre pays, petit à petit, sans forcément que l'on se rende compte, on est imbu d'une autre culture, qui vient se greffer sur tout ce que l'on connait déjà. C'est vrai qu'il y a une certaine façon dans la culture française, d'aborder la musique, en tout cas ce n'est pas quelque chose qui est direct.
Les néerlandais ont la réputation d'être directs, carrés ... Peut-être qu'à ma façon, j'apporte quelque chose à la culture musicale française dans ce sens là. Mais c'est pour moi une culture qui m'a énormément donné des choses, et toujours énormément attiré aussi. Par exemple, d'aborder une phrase musicale de manière moins directe, moins carrée, peut-être un peu plus par la séduction.
D'autres passions que la musique ?
Oui absolument ! J'aime beaucoup mon jardin. J'aime beaucoup le jardinage. C'est quelque chose de passionnant.
Il y a quelques années, avec mon épouse, on a acheté une maison avec un assez grand jardin et il fallait s'en occuper. Et en apprenant au fur et à mesure, on apprend des tas de choses. On apprend à être patient surtout.
Planter des choses, attendre que les graines germent, voir ce que ça donne. Se rendre compte que toutes les plantes ne fleurissent pas sur tous les sols, c'est une de mes passions. Et l'autre, c'est le café ! Je torréfie mon café depuis quelques temps. J'ai toujours aimé le café et j'ai souhaité aller plus loin en commençant à faire des recherches sur internet. On découvre tout un univers de machines à café qui font des expresso. C'est une passion, ça m'amuse !
Vos projets Pieter Jelle de Boer ?
Après le concert, je vais rentrer chez moi, car j'ai beaucoup de travail au piano, parce que je vais donner plusieurs fois l'année qui vient, qui sera l'année Beethoven, le 4ème concerto pour piano, parce qu'avec un groupe d'ami, on donne les 5 concertos au piano et à l'orgue. On remplace l'orchestre par un accompagnement d'orgue. On est 5. On alterne soit en pianiste, soit en organiste accompagnateur, et on donne les concertos comme cela. C'est quelque chose de très amusant et qui marche très très bien et qui nous permet d'aborder ce répertoire magnifique d'une manière originale.
Et un enregistrement de prévu ?
Ah ! Il faudrait que je relance ça ! Bonne idée !
Liens utiles :
www.orchestre-avignon.com
www.pieterjelledeboer.com