- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 14 min
Sur les pas de Paul Cézanne, le père de la peinture moderne
Paul Cézanne, peintre au cœur de l’histoire du Pays d’Aix, n’a jamais su quitter sa terre natale. Il a toute sa vie travaillé à restituer ce qu’il percevait de sa nature, de sa lumière, de ses formes, de ses couleurs et riches reflets, jusqu’à la dernière minute. Qui, de Cézanne ou de l’image de la Provence, a enfanté l’autre ?
Paul Cézanne, peintre français lié au mouvement artistique de l'impressionnisme, puis post-impressionniste et cubiste, a passé sa vie à travailler la lumière au cœur de la Provence et du Pays d'Aix en Provence.
Biographie de Paul Cézanne
Paul Cézanne, ou Paul Cézanne, né le 19 janvier 1839 à Aix-en-Provence et mort le 22 octobre 1906 dans la même ville, est un peintre français, membre, un temps, du mouvement impressionniste, et considéré comme le précurseur du post-impressionnisme et du cubisme.
Il a aimé, sublimé, sa Provence, sa ville, sa montagne, sa lumière. L’histoire entre Cézanne et Aix-en-Provence a été l’histoire d’amour d’une vie. De sa terre, où il nait en 1839, Cézanne disait qu’elle avait "une beauté austère et tendre".
Cette beauté, illuminée par le soleil qui resplendit sur Aix plus de 300 jours par an, il chercha par tous les moyens à la fixer sur la toile, dans une recherche continue qui le laissait perpétuellement insatisfait, mais jamais vaincu.
Même lorsque, dans sa jeunesse, il tenta de se transférer à Paris, où les artistes comme lui se heurtaient aux refus systématiques des expositions biennales et des Salons, Cézanne sentit que son paysage et les couleurs de sa terre lui manquaient. En fait, il retourna toujours en Provence, revendiquant son provincialisme avec fierté.
Le Musée Granet à Aix-en-Provence
« Je suis le primitif d'un nouvel art. »
Les 10 tableaux de Paul Cézanne au Musée Granet d'Aix
Au Musée Granet, une place particulière est réservée à Paul Cézanne, avec dix tableaux. Cette salle présente, parmi les chefs-d’œuvre, un tableau préfigurant les versions monumentales des Grandes Baigneuses, une nature morte de jeunesse, un portrait de Madame Cézanne, une toile en hommage à Delacroix ainsi que la récente acquisition du musée Granet : Le portrait de Zola.
Ce portrait, le seul de Zola peint par Cézanne connu à ce jour, a rejoint les neuf autres tableaux du maitre d’Aix déposés au musée Granet. En 2011, la Communauté du Pays d’Aix a acquis ce portrait d’Émile Zola, autre célèbre aixois et condisciple de Cézanne sur les bancs du collège Bourbon (actuel collège Mignet). Œuvre de jeunesse, cette huile sur toile (25,8 x 20,8 cm) a été réalisée à Paris dans les années 1862-1863. Présentée en 1929 à Paris, puis en 1936 à New-York, elle a ensuite dormi pendant quarante ans dans le coffre d’Ambroise Vollard, illustre marchand d’art qui révéla Cézanne au grand public. Sa réapparition en 2010, lors d’une vente aux enchères, permet aujourd’hui au musée Granet de le posséder. Cette collection cézannienne permet de résumer le parcours du maître d’Aix en ces quelques chefs-d’œuvre (le musée détient par ailleurs six aquarelles et plusieurs dessins ou gravures en réserve).
Trois lieux de vie de Paul Cézanne
L’Atelier
C’est ici, sur la colline des Lauves, parmi les objets qui lui étaient chers, les modèles de ses ultimes natures mortes, son mobilier, son matériel de travail, que vous ressentirez avec le plus d’intensité la présence du peintre.
De 1902 à sa mort en 1906, Cézanne travaille tous les matins dans cet atelier de lumière et de silence, berceau de dizaines d’œuvres aujourd’hui conservées dans les grands musées du monde, dont les dernières Grandes Baigneuses. L’atelier, qui dispose d’une boutique-librairie, accueille régulièrement des expositions temporaires et propose des rendez-vous culturels en saison.
La Bastide du Jas de Bouffan
Aujourd’hui classée monument historique avec son parc, cette propriété familiale fut pour le peintre : un lieu de vie, un point d’ancrage, le théâtre de ses premières œuvres et un atelier de création. Autour de la bastide sont aussi révélés les points de vue que Cézanne a privilégiés pour réaliser entre 1859 et 1899 une cinquantaine d’huiles et d’aquarelles.
Les Carrières de Bibémus
Au cœur du Grand Site Sainte-Victoire, les Carrières de Bibémus dévoilent leur majesté picturale dans un parcours aménagé autour du cabanon où Cézanne entreposait ses toiles, et dormait parfois. Sur ce plateau de 7 hectares à l’extraordinaire architecture naturelle, on entre avec émotion dans le processus de création du maître (motifs, points de vue, composition, géométrisation, couleurs…). Le cubisme est né ici avec quelques œuvres de renommée mondiale. Les carrières de Bibémus sont situées sur la route de Vauvenargues, sur un plateau rocheux à la pierre blonde. Cette molasse naturellement ocre a servi à bâtir de nombreux monuments de la ville d'Aix en Provence.
A l'époque de Cézanne, les carrières étaient pratiquement à l'abandon. Le peintre y louait un petit cabanon où il pouvait mettre ses toiles à l'abri et même y coucher au besoin. Il y peindra 11 huiles et 16 aquarelles au milieu de ce paysage où minéral et végétal se complètent. Outre le point de vue sur la Sainte-Victoire et la nature présente dans les toiles du peintre, le site comprend le motif si singulier des roches orange, aux formes géométriques, dont Cézanne a tiré des œuvres saisissantes qui annoncent le cubisme et dont la renommée est mondiale. C’est un site exceptionnel en pleine nature. Cette promenade ponctuée de reproductions gravées dans le gré émaillé, permet de comparer le motif original du peintre, particulièrement la Sainte-Victoire, aux richesses de ce site préservé.
La Route Cézanne, classée aux Monuments Historiques
La Route Cézanne est la seule route de France classée Monument Historique, c'est un patrimoine d'exception. Elle relie Aix-en-Provence au village du Tholonet. Certains l'appellent encore la D17, d'autres l'ont connue sous le nom de petite route du Tholonet, mais depuis 1959 c'est la "Route Cézanne".
Ce site protégé est connu du monde entier, grâce à l'extraordinaire beauté de ses paysages et à celui qui les a immortalisés : Paul Cézanne.
Une fois par an l'association Route Cézanne du Tholonet ferme la route et propose des animations culturelles depuis Aix-en-Provence jusqu'au Tholonet. La route est donc réservée aux piétons avec des parkings gratuits à chaque extrémité.
Paul Cézanne, le Peintre Ouvrier
La peinture fut pour Cézanne un travail d’ouvrier, un travail solitaire, sauf à de rares moments, presque pénible, pratiqué sans interruption. De même le dessin, dont on oublie trop souvent qu’il s’agit d’un élément essentiel de son processus créatif.
Décrié à ses débuts, et encore assez tard dans sa vie, Cézanne est aujourd'hui une figure capitale de l'histoire de l'art.
Sa participation au mouvement impressionniste, somme toute relativement mineure, compte moins que la place qu'il occupe entre le XIXe et le XXe siècle, entre d'une part le romantisme de Delacroix et le réalisme de Courbet, qui le marquèrent si fortement à ses débuts, et, de l'autre, les mouvements de la peinture contemporaine depuis le cubisme qui, à des degrés divers, se réclamèrent tous plus ou moins de lui.
Cézanne fit toutes ses études à Aix, acquérant une solide culture classique et se liant d'une profonde amitié avec quelques-uns de ses camarades de collège, au premier rang desquels Émile Zola, alors son confident le plus intime.
Son père le destinait au droit, et il s'inscrivit à la faculté d'Aix en 1858. Sa vocation artistique était pourtant déjà suffisamment affirmée (il avait suivi les cours de l'école gratuite de dessin depuis 1857) pour qu'il songe à aller étudier la peinture à Paris. Il rencontre Pissarro et Guillaumin, mais échoue au concours d'entrée à l’école des Beaux-Arts.
Il revient à Aix travailler dans la banque paternelle, mais repart un an plus tard pour Paris où il se réinscrit à l'Académie Suisse. C'en est désormais fini des faux départs, des hésitations sinon du découragement devant les difficultés du métier : Cézanne, définitivement, a décidé d'être peintre.
Les années suivantes, où il alterne les séjours parisiens, les retours à Aix et les voyages en Provence, le voient suivre le chemin d'un étudiant indépendant, mais aussi respectueux de l'apprentissage traditionnel. Il travaille sur le modèle à l'Académie Suisse, fréquente le Louvre où il remplit de nombreux carnets de croquis d'après les maîtres et copie plusieurs tableaux.
Il continue à fréquenter Zola, qui le soutient dans ses efforts, intellectuellement, moralement et même financièrement, et fait aussi la connaissance de Bazille, Renoir, Monet, Sisley. Par l'intermédiaire de Zola devenu l'ami de Manet, il rencontrera celui-ci en 1866. En 1869, Cézanne rencontre Hortense Fiquet, un modèle qui va devenir sa compagne, mais craignant que son père, un être particulièrement borné et sévère, ne désapprouve cette liaison et remette en cause sa pension, Cézanne la lui cache donc, de même que plus tard la naissance d'un fils, Paul, en 1872, dont l'existence ne sera découverte par son père, fortuitement, qu'en 1878. Cette situation bancale durera en fait jusqu'au mariage, en présence des parents, en 1886. Si Cézanne se rapproche d'un des principes fondamentaux de l'impressionnisme, qui consiste à se consacrer totalement sur la vision, il ne veut pas en rester à fixer seulement l' "impression" qui en résulte, mais bien "quelque chose d'aussi solide et durable que l'art des musées".
Le Pont de Maincy (1882-1885)
Ce tableau compte parmi les premiers chefs-d'œuvre de ce style personnel. Le traitement des couleurs des arbres, un vert profond appliqué légèrement, sans séparation nette entre ses petites particules de couleurs voisines, participe à la vision d'ensemble, quand l'organisation picturale du tableau reste bien marquée. Cézanne peint ses paysages en Ile-de-France, et dans sa Provence où il sillonne les collines autour de la Montagne Sainte-Victoire. A côté des portraits, des natures mortes, Cézanne va s'intéresser au nu dans la nature, qu'il appellera "baigneuses".
Relativement à l’écart du mouvement artistique, Cézanne travaille de plus en plus souvent et longuement en Provence à Aix.
En 1895, la rétrospective organisée par Ambroise Vollard, jeune marchand d'art de 27 ans, où 150 de ses œuvres sont exposées, allait marquer un tournant pour Cézanne, jusqu'alors rejeté au Salon et peu apprécié lors des expositions impressionnistes.
Petit à petit va naître et croître une reconnaissance, à l'origine surtout le fait de jeunes peintres, comme Émile Bernard ou Maurice Denis, qui voient en lui un maître autant qu'un précurseur, puis aussi de quelques rares critiques perspicaces, Gustave Geffroy, Thadée Natanson, Roger Marx, Rilke.
Cézanne et la Sainte-Victoire
Sa muse, une icône, son absolu
L’atelier de Cézanne, les Lauves, était totalement immergé par la nature provençale et dominé par la présence gigantesque et suggestive de la Montagne de la Sainte-Victoire, une montagne qui, vue de la mer, a été de tout temps un point de référence pour les navigateurs. Cette montagne était, pour le précurseur de la peinture du XXe siècle et précurseur du Cubisme, presque une obsession, un amour, le stimulant dans une recherche continue de son art, la peinture.
L'artiste a consacré une multitude de tableaux à la Sainte-Victoire, dont des toiles et des aquarelles, de 1896 à 1906, l'année de sa mort, survenue sous une tempête après avoir peint jusqu'à l'épuisement. Cet ensemble de roches rougeâtres, capable de se transformer en une servante blanche et lumineuse selon les moments de la journée et les rythmes des saisons, gardienne des secrets de la nature du sud de la France, représentait son « motif » constant, son essence, la circonstance où la montagne, comprise géologiquement et émotionnellement, coïncidait avec l'absolu.
Cézanne expliquait que la mission de l'artiste était de se plier à la réalité et de la représenter selon un concept rationnel, œil-cerveau synthétisé dans l'espace, la forme, la couleur. Cézanne était toujours à la recherche de la perfection, toujours insatisfait, mais constant dans sa peinture silencieuse d'ermite. Timide et misanthrope, il s'immerge complètement dans la vue de ces rochers imprégnés par le soleil méditerranéen, apercevant le but mais sachant qu'il était toujours sur la route et conscient de devoir s'arrêter le premier. Le Mont Sainte-Victoire représente dans l'histoire de l'art le dépassement définitif de l'impressionnisme, en particulier du modèle proposé par Monet où la recherche de la lumière devient une fin en soi (comme dans les répétitions obsessionnelles du jardin de Giverny) et et constitue une anticipation de ce que le cubisme fera de la décomposition de la forme.
Dans les lettres à son ami Émile Bernard, l'artiste insiste souvent sur la nécessité de regarder la nature à travers le cylindre, la sphère et le cône, éléments géométriques élémentaires capables de faciliter une simplification des formes capables de maintenir à la fois la solidité et la profondeur de la représentation. Cézanne, premier déconstructeur de la forme de l'intérieur et destructeur du point de vue unique, pose des prémisses fondamentales qui seront reprises et développées dans le cubisme analytique du début du XXe siècle.
Il était véritablement soumis à la nature, afin de lui arracher rationnellement ses secrets pour les expliquer à l'humanité à travers le caractère concret de la couleur et de la forme.
Évitant le raccourci des effets spéciaux, Cézanne s'est déplacé parce qu'il était attiré et ému par les formes, les lumières et les couleurs de cette montagne, ayant pour complice le vent, ce vent capable de secouer et d'improviser une émotion, ce vent qui arrive soudainement sans que vous sachiez d'où il vient, comme un cadeau inattendu de la nature dont l'artiste a besoin pour continuer sa recherche sans fin.
Qui, de Cézanne ou de la Sainte-Victoire a enfanté l’autre ? Si la montagne a "créé" Cézanne, elle en garde les stigmates, jusque dans son cœur. Impossible de passer devant la Sainte-Victoire sans que les tableaux du peintre viennent se juxtaposer à l’image. Essayez, vous serez surpris…
Photo à la une : La Montagne Sainte-Victoire vue depuis les carrières de Bibémus (1892-97) Musée d'art de Baltimore.