Publié le 15/11/2022

Michel Petrossian, un disque et un concert à Musicatreize. « Trois Amours » et « Chanter l’Icône »

Quand Musique Contemporaine flirte avec Antiquité . « Trois Amours » et « Chanter l’Icône » de Michel Petrossian. Sortie de disque le 9 décembre et concert le 26 novembre 2022, avec Musicatreize.

Michel Petrossian compositeur Chant d'archak gloria mundi

Le 9 décembre 2022 sort un magnifique disque signé Michel Petrossian : « Trois Amours » (label ‘Empreinte digitale’) avec l'auteur et photographe Catherine Peillon. Avec ce grand musicien, compositeur et conférencier, Musicatreize prépare une série d’évènement les 24, 25, 26 novembre 2022 à la Salle Musicatreize : rencontre avec des scolaires, deux conférences, « Pourquoi et comment composer la musique aujourd’hui », « La voix comme lien entre les siècles silencieux » ainsi qu’un grand concert « Chanter l’Icône » le 26 novembre sous la direction de Roland Hayrabedian.

Michel Petrossian, Compositeur contemporain et passionné de civilisations anciennes

« Mêler Orient et Occident, je pense que c’est essentiel » Michel Petrossian, compositeur

Attiré par le monde de l’art depuis son enfance,  ayant commencé par la peinture, puis étudiant le violoncelle et la guitare, avant de se tourner définitivement vers la composition de sa propre musique, méticuleux, passionné, talentueux Michel Petrossian est un artiste reconnu. Il se consacre au répertoire contemporain et au dialogue entre différentes formes artistiques. Entre une nouvelle musique pour le prochain film de Robert Guediguian, un opéra en chantier pour Leonardo García Alarcón, une création en mars dernier pour le Printemps des Arts de Monaco, un Grand Prix littéraire pour son livre Chant d’Artsakh (2022), la monographie qui lui est consacrée par Musicatreize vient souligner magnifiquement cette carrière fulgurante. S’il se passionne pour les civilisations anciennes et a étudié une dizaine de langues qui leur sont liées, Michel Petrossian se nourrit de la vie, qu’elle soit antique ou moderne, pour composer ses œuvres.

Trois amours .... Chanter l'Icône - Musicatreize - Michel Petrossian

Danielle Dufour-Verna/Projecteur tv – Votre disque sort le 9 décembre. Il comporte l’œuvre ‘Chanter l’Icône’ que vous jouerez à Musicatreize le 26 novembre. Vous nous en parlez ?

Trois amours cd michel petrossian musicatreize

Michel Pétrossian – Le disque s’appelle ‘Trois amours’ où il y a effectivement l’œuvre ‘Chanter l’Icône’. Pourquoi ‘Trois amours’, parce qu’il y a trois œuvres qui, chacune, parlent d’un amour particulier :

’Amours sidoniennes’

-’Amours sidoniennes’ parle de l’amour entre les êtres, une œuvre qui a un ensemble instrumental avec uniquement des voix d’hommes alors que ce ne sont que des voix pour les autres œuvres. L’œuvre est basée sur mes voyages archéologiques. En Basse Judée, en Israël, il y a un territoire où plusieurs populations, historiquement, sont venues là, et notamment des Sidoniens qui venaient du Liban. Dans l’une des caves funéraires, il y avait une inscription en grec –l’anglais de l’époque- qui avait été découverte à la fin du 19e siècle. On avait d’abord compris que c’était une épitaphe gravée par le mari sur la tombe d’une femme qui disait « Je suis couchée parmi d’autres, je ne peux ni te faire plaisir, ni souffrir pour toi, je te laisse faire ce que tu veux… ».Quelques années plus tard, on a constaté que ce n’était pas au-dessus d’une tombe. C’était dans une cave, un peu éloignée des regards et le texte disait : « Je suis couchée avec un autre mais c’est toi que j’aime. » On a constaté c’étaient plutôt des essaimés de l’antiquité. Deux amoureux séparés par un mariage forcé, elle vient écrire une phrase. Dessous l’homme répond « Ton manteau est chez moi, donc on a un prétexte pour se voir. » Et la femme répond « Moi, je suis engagée… ». Un troisième personnage a surpris leur échange : « Vous faites du bruit ici, il y a des morts. Allez faire vos affaires ailleurs. » J’ai trouvé cela tellement génial, d’abord pour le site antique, funéraire etc. Puis, en regardant de plus près on constate que c’est l’échange de deux amoureux séparés par un mariage forcé. Ils sont dans les tombes parce qu’il n’y a personne. L’échange est surpris et ça s’arrête. J’ai utilisé les deux versions, à la fois chanté en grec. Ensuite, j’utilise la traduction où l’on croit que c’est l’épitaphe funéraire, et l’autre traduction où on a l’échange des amoureux.

‘Horae quidem cedunt’

-‘Horae quidem cedunt’, une phrase de Cicéron : « Père, les jours s’en vont, les semaines, les mois et les heures. Ça ne peut ni faire revenir le passé, ni prédire l’avenir. » C’est vraiment le temps qui s’écoule. C’est l’amour pour la terre. J’ai utilisé des Géorgiques de Virgile qui parle de la terre. C’est le lien du villageois à sa terre, en vis-à-vis avec le film de Pelechian. Roland Hayrabedian cherchait depuis longtemps quelqu’un qui pourrait dialoguer avec ce film. Il m’a commandé cette œuvre et c’est le début d’une collaboration vraiment très active. Roland Hayradedian et Musicatreize aiment bien les longues collaborations. Souvent dans le monde de la musique contemporaine, on passe des commandes, on fait deux répétitions, un concert et on passe au suivant. C’est comme dans une histoire d’amour, ce n’est pas comme cela que ça marche, qu’on se connaît, qu’on épanouit les êtres. Musicatreize est dans la logique d’approfondir le lien avec les nombreux compositeurs avec lesquels ils collaborent. Nous nous sommes trouvé des atomes crochus et j’ai fait quatre œuvres avec eux : ‘Le Chant d’Archak’, un opéra oratorio, un livret de Laurent Gaudé. Sur ce disque ‘Trois Amours’ on a gravé, un peu, notre parcours avec Musicatreize.

‘Chanter l’Icône’

MICHEL PETROSSIAN chanter l'icone
« En Toi se réjouit toute la création » Franghias Kavertsas (actif de 1615 à 1648), Crête.

-‘Chanter l’Icône’, c’est l’amour spirituel. C’était une commande du Petit Palais qui inaugurait une nouvelle salle dédiée aux christianismes orientaux. Nous avons peu d’icônes en France. Là, ils recevaient à la fois une dotation pour construire une nouvelle salle et une collection remarquable d’icônes. Dans cette collection, il y avait une icône absolument extraordinaire, d’un peintre crétois, Franghias Kavertsas, ‘En toi se réjouit toute la Création’, une icône dédiée à Marie. A l’origine, l’icône était une musique sur laquelle le peintre a peint. C’est très rare. Je suis allé à Londres. J’ai rencontré le plus grand spécialiste de la musique byzantine qui s’appelle Alexander Ligas. Grâce à lui, j’ai retrouvé cette musique ancienne de l’icône et je l’ai utilisée pour composer mon œuvre. Nous l’avons fait avec la Conservatrice du Petit Palais, Raphaëlle Ziadé. Un vidéaste filmait l’icône, la faisant apparaître par petits morceaux avec un morceau de musique qui lui correspondait. A la fin, toute l’icône se révélait. Une expérience avec un immense succès. C’est un mélange : une œuvre littéraire, picturale, musicale.

DDV– Est-ce que votre origine arménienne influence vos compositions et si oui, de quelle manière ?

Michel Petrossian – Certainement, mais pas de la manière dont on pense. Je résiste un peu à cette notion selon laquelle une identité, c’est du folklore. L’Arménie, c’est la pluralité des mondes que l’on peut accueillir et elle s’exprime dans cette dimension sur la crête entre l’Orient et l’Occident. Une des trois pièces du disque est en vis-à-vis avec le film documentaire *‘Les Saisons’ d’Artavazd Pelechian qui, lui, a filmé dans les années 73 un des villages les plus reculés d’Arménie où ils avaient appris seulement dans les années 30, la révolution bolchévique. C’est cette notion des racines très anciennes, d’humanité un peu archétypale, le lien avec la nature dans cette pièce qui s’appelle Horae quidem Cedunt. Dans l’un des morceaux, il y a un moment avec des voix d’hommes, des voix qui ressemblent un peu à la musique liturgique arménienne, une émission de sons très particulière, très droite, très sonore. Cela s’exprime de plein de manières différentes mais pas du tout de manière folklorique, avec un matériau musical précis. Pour moi, c’est plutôt cet accueil des mondes très vastes, conscience de la civilisation de l’Orient et ce plaisir de retrouver un peu les racines anciennes de l’humanité tout entière. J’ai eu ce sentiment en Ethiopie, en Iran, en Israël, en Palestine et dans d’autres pays où on sent ce souffle.

DDV –Mêler Orient et Occident de nos jours, est-ce encore possible ou est-ce seulement un vœu pieux ?

Michel Petrossian compositeur conferencier
Michel Petrossian compositeur, conférencier

Michel Petrossian –Mêler Orient et Occident, je pense que c’est essentiel. Je distingue l’Orient de la civilisation de l’Orient des barbares. Il y a cette notion que plus on va vers le soleil, plus les gens sont nonchalants. C’est un peu les orientalismes qui, à la fois, berçaient l’imaginaire mais qui avaient une image un peu décadente. J’estime que notre civilisation vient de l’Orient. Toutes les religions qui marquent notre monde pour l’Europe en particulier, mais l’Occident au sens large, les Etats-Unis, les trois religions viennent de l’Orient, d’un territoire relativement restreint. L’Orient a toujours irrigué l’Occident. Aujourd’hui, certes, il y a une image de l’Orient un peu déplorable mais cette dimension-là cache tout ce que l’on doit à l’Orient. Je pense que je n’oppose pas les deux, j’essaie de faire la synthèse. Dans notre monde, par la présence même des gens en Europe, l’Orient est présent. A cet égard, le projet avec Roland Hayrabedian résume sept ans de collaboration entre nous. Ce disque aurait dû sortir un peu plus tôt, c’est la COVID qui l’a retardé. Une chose très importante par exemple, pour le chant choral, on est très marqué par ces traditions occidentales. La grande découverte de la musique occidentale, c’est la polyphonie, c’est l’harmonie, c’est-à-dire le fait de superposer des voix, d’avoir des accords. C’est vraiment le propre de la musique occidentale. Mais toute la musique orientale, jusqu’en Inde, jusqu’en Extrême Orient, est plutôt monodique, plutôt basée sur une ligne.

"Pour la musique arabe, la musique persane, en partie la musique turque aussi, la musique arménienne, il y a une sorte d’appartenance."

Aujourd’hui on oppose beaucoup musulmans-chrétiens, mais les gens de l’Orient ont une identité très ancienne. Si je reviens au chant choral, on a cette idée que l’idéal du chant choral, ce sont les chœurs scandinaves ou les chœurs allemands ou hollandais où les voix sont extrêmement égales entre elles. On cherche vraiment l’égalité. Or, l’ensemble Musicatreize est quand-même à Marseille. Marseille, c’est le pourtour méditerranéen et c’est une approche totalement différente, c’est-à-dire, on a la conception du bouquet. C’est comme si vous faisiez un bouquet de fleurs unies ou un bouquet où chaque fleur est différente. Dans Musicatreize j’ai un peu exploré cela. On entend différemment chaque voix, je ne cherche pas l’homogénéité. C’est une autre conception. On ne peut pas dire que les Scandinaves et les Allemands, c’est mieux, et la Méditerranée, c’est moins bien. C’est une autre vision, une autre proposition qui vient renouveler un petit peu la manière d’écrire le chant choral. J’utilise les deux parce que, par exemple dans la pièce Horae quidem cedunt, j’ai douze voix réelles, six hommes, six femmes, chacun chante sa partie. C’est une vraie polyphonie. C’est le vrai héritage occidental à cet égard et en même temps, les couleurs, la manière de chanter, cette espèce de conception du bouquet, est plutôt méditerranéenne. C’est plutôt le sud, l’orient, que le nord, les pays scandinaves. Je n’oppose pas du tout les deux mais je résiste à l’idée de dire la civilisation, le côté supérieur, c’est l’hémisphère nord, là on sait faire, on est mieux organisé et l’orient grosso modo c’est le désordre. Il y a des ressources, il y a des choses et en tant qu’artiste on est obligé de les explorer. C’est très important de trouver ce que l’un apporte à l’autre.

"Ma vision d’artiste, c’est tendre les passerelles"

Il y a beaucoup de choses à faire. L’orient a toujours nourri l’occident. Ce n’est pas en s’opposant mais en voyant quelles sont les attentes, quels sont les rapports de l’un à l’autre, sans mépris, trouver des choses. Je trouve cela très fertile. C’est ce que je fais et je trouve que, même sociétalement, c’est important.

DDV – Vous vous intéressez aux langues et civilisations antiques. Vous êtes polyglotte. Vous connaissez l’Araméen, l’Hébreux, le Grec, l’Arménien etc. et l’Egyptien dans tout cela ?

Michel Petrossian – C’est intéressant comme question. L’Egypte c’est quand même un monde à part, c’est un monde en soi. On est bien placé en France puisque l’égyptologie française était l’une des plus importantes au monde pour des raisons historiques. J’étais intéressé par le monde, d’une part sémitique, d’autre part européen, j’avais un intérêt spirituel pour les langues parabibliques. J’ai fait toutes les langues à l’Institut catholique sauf l’Arabe, malheureusement, car je me suis arrêté avant. C’est le lien avec les textes bibliques et parabibliques qui m’ont intéressé et comme l’Egypte, c’était un monde, on ne peut pas faire les deux.

Michel Petrossian, du Chant d’Archak à Gloria Mundi

DDV – Vous avez composé la musique du merveilleux film Gloria Mundi de Robert Guédiguian.

Michel Petrossian – Je viens de composer la musique de son prochain film. J’étais justement avec lui, on finissait le mixage.

"Et la fête continue" le prochain film de Robert Guédiguian - Musique Michel Petrossian

DDV – On peut connaitre le titre ?

Michel Petrossian – ça s’appelle ‘Et la fête continue’. L’autre option était ‘A Marseille, il n’est jamais trop tard’, mais je pense que ce sera ‘Et la fête continue’, toujours avec la même bande. Gloria Mundi était le premier film que j’avais fait pour lui et dans lequel, d’ailleurs, je jouais du piano. Celui-ci est un film avec beaucoup de lignes narratives. Quand Robert m’a rencontré il m’a dit : « Il faut musicaliser tout ça ». Il a voulu que la musique prenne un rôle très important. Nous avons enregistré 27 morceaux. On a pris un gros orchestre avec le magnifique chef d’orchestre Léo Margue.

DDV –A part vos origines communes, qu’est-ce-qui vous rapproche de Guédiguian, l’humanisme, le fait que lui aussi aime l’orient et l’occident ?

Michel Pétrossian – (rires) C’est une bonne question. Les films, ce sont souvent les équipes. Cela fait longtemps que nous nous connaissons. Comme je suis compositeur contemporain, c’est très important, car on pense que c’est un sous-genre, il y a une sorte de mépris de classe. Il y a un film qui vient de sortir sur Ennio Morricone ‘Ennio’ où l’on voit que Morricone était dans les deux mondes. Il venait du monde de la contemporaine. Il tenait beaucoup à cette dimension et, en même temps, il a fait parmi les plus belles musiques de films qui soient, à la fois, originales et populaires. Guédiguian, c’est un cinéma d’auteur. Nous avons eu un va et vient incessant. Je suis allé à Marseille, on a bossé ensemble à Paris.

DDV –Une demande pour clore cette interview : quelle est votre propre conception du bonheur ?

Michel Petrossian : Je ne crois pas au bonheur comme un état statique. Au mot bonheur, je préfère le mot joie. Ce qui est important, c’est d’avoir des moments de joie. On ne possède pas le bonheur comme si on avait un compte en banque. C’est plutôt un état, une attitude

DDV - Vos moments de joie, c’est au moment de la composition ou lorsque vous l’entendez

Michel Petrossian - Les deux. Mais par exemple, pour ‘Chanter l’icône’, je me souviens très bien, quand j’avais terminé l’un des morceaux, j’avais la conscience que j’avais réussi quelque chose que j’imaginais. Un bonheur qui ne ressemble à rien d’autre quand vous-même êtes un peu dépassé par ce que vous faites. Vous maitrisez ce que vous faites, etc. mais il y a cette étincelle. Quand je compose, que je finis et que je suis pleinement satisfait, c’est une joie très intense.

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