- Auteur Sophie Bauret
- Temps de lecture 8 min
Mathilde Monnier, Chorégraphe : Une rencontre pour les Hivernales
Mathilde Monnier inscrit son mouvement chorégraphique depuis les années 80 dans le paysage de la danse contemporaine.
Elle y occupe une place de référence avec la création de plus d’une quarantaine de pièces chorégraphiques présentées sur les plus grandes scènes comme Le Festival d’Avignon, le Théâtre de la Ville de Paris mais aussi à l’étranger, New-York, Berlin, Londres…. En 1994, elle est nommée à la tête du Centre Chorégraphique de Montpellier Languedoc-Roussillon et entame de nombreuses collaborations avec des personnalités du monde artistique. Citons pour exemple Jean-Luc Nancy, Philippe Katerine, Christine Angot, La Ribot, Heiner Goebbels, Alan Pauls…
En 2014, Mathilde Monnier est nommée à la direction générale du Centre national de la danse à Pantin et ce jusqu’en juin 2019.
Rencontre avec Mathilde Monnier, une personnalité majeure de la scène dansée
« Je ne me souviens pas d’une vie sans danse »
Projecteur TV - Sophie Bauret : Comment la danse s’est-elle invitée dans votre vie ?
Mathilde Monnier : Elle a toujours été là, présente, je ne me souviens pas d’une vie sans danse, d’une vie où je ne pensais pas à la danse. Mon premier souvenir date peut-être de l’âge de 2 ans ! J’ai toujours dansé, pas dans une école mais à la maison, dans le jardin, une danse à l’état naturel.
Nous vivions au Maroc et quand j’avais 14/15 ans mes parents sont rentrés en Alsace. Un jour, j’ai accompagné ma sœur à un cours de danse et là j’ai compris que j’étais chez moi. J’ai le souvenir de quelque chose de très familier, quelque chose qui m’appelait et delà tout est devenu plus réel… Ma mère m’a inscrite dans un cours privé, une petite école. J’étais trop âgée pour être danseuse classique mais il y avait un cours de danse moderne contemporaine ce qui était assez rare à l’époque. Mon professeur s’appelait Madame Oswald, c’est elle qui m’a prise en charge.
Projecteur TV - SB : A quel moment avez-vous senti que ce « loisir » allait devenir votre vie ?
MM : Cela a mis un peu de temps. J’ai été faire ma terminale à Lyon et il y avait un studio de danse juste derrière mon lycée, j’ai eu envie d’essayer et c’est là où j’ai rencontré Didier Deschamps, actuel directeur du Théâtre de Chaillot (Théâtre national de la Danse depuis 2011). Il y donnait des cours de danse moderne. C’est lui qui m’a soutenue, qui m’a permis de croire que quelque chose était possible pour moi dans la danse. J’ai passé 4 ans à Lyon et j’ai assez vite été engagée dans une compagnie professionnelle, j’étais salariée ! Ensuite je suis partie à Angers pour travailler avec une chorégraphe américaine, Viola Farber qui était invitée au CNDC pour diriger le lieu et l’école. Je suis restée dans la compagnie pendant 2 ans.
« La chorégraphie, ce n’était pas un projet de carrière ! »
Projecteur TV - SB : Comment s’est produite la bascule entre « interprète » et « chorégraphe » ?
MM : Cela s’est fait avec un peu de difficulté, comme toujours avec moi. Je ne me suis pas dit « Je veux être chorégraphe ». Je suis partie à New-York avec plein d’envies mais il est très difficile de danser dans une compagnie si vous n’avez pas de papiers, de carte verte… Avec Jean-François Duroure on s’est dit qu’on allait faire quelque chose tous les deux, un peu par hasard, ce n’était pas un projet de carrière !
Projecteur TV - SB : Et delà les choses se sont enchaînées ou il vous a fallu vous accrocher ?
MM : C’est un métier où il faut beaucoup de ténacité, il faut poursuivre sa route, s’accrocher, les choses ne sont jamais données… J’ai fait beaucoup de pièces, j’ai fait mon travail de chorégraphe toute seule ou avec d’autres. Il faut beaucoup croire en soi, avec une grande confiance en soi et en les autres évidemment.
« Je suis arrivée à un moment particulièrement propice pour la danse »
Projecteur TV - SB : Et vous vous en êtes bien sortie…
Mathilde Monnier : Il faut dire que je suis arrivée à un moment particulièrement propice pour la danse. Les années 80 ont été des années d’ébullition, avec un ministère de la culture à l’écoute d’une discipline en train de naître, des moyens, des lieux, des possibilités de voyages à l’étranger…
Projecteur TV - SB : Est-ce que des chorégraphes vous ont marquée, influencée ?
MM : Bien sûr, Pina Bausch, Trisha Brown, Merce Cunningham, mes idoles ! Et puis Régine Chopinot, Catherine Diverrès, Bernardo Montet, Hideyuki Yano, François Verret… J’ai toujours beaucoup regardé, beaucoup vu de spectacles, je suis hyper attentionnée au travail des autres !
Projecteur TV - SB : Est-ce que cela veut dire que vous irez voir tous les spectacles des Hivernales ?
MM : Tous, non, parce que j’en ai déjà vu certains ! Mais oui, bien sûr je vais aller voir des spectacles.
« Please, please, please », la dernière création de Mathilde Monnier
Projecteur TV - SB : Il est temps de nous parler de votre dernière création : « Please, please, please »…
MM : On va présenter une toute nouvelle version aux Hivernales. Nous avions créé cette pièce en octobre dernier au Festival d’Automne, mais le travail n’était pas achevé. Nous venons avec un nouveau texte et le spectacle a été modifié. Aux Hivernales, ce sera comme une première !
Projecteur TV - SB : Vous co-signez cette pièce avec la chorégraphe (Maria) La Ribot (*) et le metteur en scène Tiago Rodrigues (**), c’est un exercice que vous faites régulièrement…
MM : Je fais beaucoup de collaborations, comme la plupart d’entre nous, sauf que chez moi c’est plus visible car j’aime la cosignature, cela met les artistes au même niveau. Très souvent ce sont les gens qui viennent me chercher, comme Philippe Katherine par exemple. Là c’est différent, avec Maria (La Ribot) on s’est rencontrées dans les années 80, depuis le courant de la Movida qui a émergé suite à la fin du franquisme. Nous avons déjà dansé ensemble. Tiago Rodrigues, c’est nous qui l’avons appelé. L’idée du texte était très importante pour nous, il y a aussi cette façon dont Tiago dialogue avec le public que l’on retrouve dans son écriture, une simplicité de parole, cette espèce d’agora où le public est très présent. Avec Tiago on a toujours cette sensation d’une adresse très directe, très simple, avec beaucoup de sens.
« L’enfant sait qu’il naît dans un monde difficile, catastrophique… »
Projecteur TV - SB : Dans « Please, please, please », il est question de catastrophe écologique annoncée, d’humanité qui court à sa perte…
MM : Oui mais le sujet parle plutôt du lien entre deux générations qui ne se comprennent plus. Deux générations qui ne portent plus le même regard sur le monde. La mère est dans une sorte de monde rêvé, idéal. L’enfant sait qu’il naît dans un monde difficile, catastrophique, où il va falloir se battre, faire des sacrifices. C’est l’enfant qui prévient la mère, il est plus lucide, plus clairvoyant qu’elle. Il est comme un ange qui délivre un message sur le monde. C’est plutôt ça le thème, que l’écologie. C’est cet aspect visionnaire de l’enfant qui m’a beaucoup intéressée.
Projecteur TV - SB : Trois artistes sur un même projet, ce n’est pas évident. Comment avez-vous travaillé sur le texte par exemple ?
MM : C’est essentiellement Tiago qui a écrit le texte, mais on l’a beaucoup repris, on doit en être à la 7ème ou 8ème version. On travaille à la table, Tiago nous envoie des choses, on se renvoie des choses, on coupe, on développe… Trois artistes ensemble c’est peut-être difficile, mais on a un peu dépassé nos égos ! Nous sommes tous les trois exigeants, quand nous travaillons ensemble c’est comme une sorte de confrontation d’exigences. Tiago est quelqu’un de très ouvert, adorable, prêt à faire des expériences. Maria et moi avions l’envie de travailler sur un texte mais nous n’avions pas forcément les outils.
Projecteur TV - SB : Comment avez-vous travaillé sur le mouvement chorégraphique ?
MM : Maria et moi avons une méthode de travail assez simple, on se copie ! On se regarde, on fait, on recommence, on se fait des retours. On voit vite les défauts et les qualités. On est souvent d’accord. L’une fait quelque chose, l’autre l’augmente un peu. En général on a des matériaux communs, on travaille vite, on est un peu comme des jumelles.