- Auteur Philippe Dejardin
- Temps de lecture 31 min
Les chemins noirs … Un oratorio très particulier pour les 30 ans du Festival d’Art Sacré d’Antibes
Ne cherchez pas le caractère religieux traditionnel d’un oratorio pour celui qui a été présenté dans la cathédrale antiboise, ce 18 septembre 2021, par Richard Galliano et le chœur d’Alain Joutard. Il faut dire que le texte de base ‘ Les chemins noirs » est un roman autobiographique de René Frégni, qualifié parfois de « mauvais garçon ». Pourtant la foi en l’humain est bien présente…
Du 12 au 26 septembre 2021, le festival d'Art Sacré d'Antibes célébrait ses 30 ans d'existence . Il est l’un des festivals les plus réputés de l’art sacré en Europe. Nous avons assisté au concert du 18 septembre, donné au coeur de la Cathédrale d'Antibes : un oratorio particulier : "Les chemins noirs" de René Frégni, mis en musique par Richard Galliano et l'ensemble vocal d'Alain Joutard.
Après l’inauguration du superbe nouveau conservatoire d’Antibes le matin, il y était en spectateur particulier car enseignant , Philippe Depétris, le flûtiste avait dû aussitôt se muer en directeur artistique du festival d’art sacré d'Antibes dont c’était la 30e édition, en cette année particulière 2021. Un rôle qu’il superpose avec celui de créateur de ce même festival qui a pour cadre principal, l’impressionnante cathédrale d’Antibes dont le véritable nom est Notre-Dame de l’Immaculée-Conception. La légende ou croyance populaire raconte que cet édifice a été construit sur les fondations d’un temple païen dédié à Diane et Minerve…
Ce qui n’est pas une légende, c’est que ce festival d'art sacré est l’un des plus réputés en Europe dans ce genre car il met en valeur également toute la richesse patrimoniale de la ville d’Antibes-Juan les Pins et de Vallauris Golfe-Juan, deux communes étroitement associées à l’événement. Dans ces lieux emblématiques, le public a pu écouter les plus belles pages du répertoire sacré et classique interprétées par des artistes de renom.
Les chemins noirs - Oratorio pour célébrer les 30 ans du Festival d'Art sacré d'Antibes
Cet oratorio "Les chemins noirs" figurera au Panthéon des œuvres jouées pour de multiples raisons . Même s’il a été crée et présenté au niveau national à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt le 30 janvier 2020, cette première création en région restera comme l’évènement musical de cette édition car elle n’avait pas été présentée depuis, pandémie en cause.
Il faut dire que nous ne sommes pas en présence d’un oratorio habituel, il a été inspiré par le roman éponyme et très autobiographique de René Frégni sur son parcours initiatique, un écrivain au cheminement pour le moins atypique comme vous pourrez vous en rendre compte dans l’interview ci- après.
Si je vous révèle que c’est le fabuleux accordéoniste Richard Galliano qui en a réalisé les musiques, orchestrations et arrangements autour d’un superbe livret en alexandrins de Francine Couturier, votre curiosité est en plein émoi.
Rajoutez y l’incroyable puissance évocatrice de l'ensemble vocal Musique en jeux magistralement et subtilement dirigé par Alain Joutard, une bonne pincée d’attachement local pour ce vieil Antibes, notamment du côté de Richard Galliano et vous avez l’assurance d’une soirée intense en émotions.
En complément de tout cela, près de deux ans pour le public et les artistes sans cette communion physique indispensable. L’attente était immense d’un côté et la demande du même acabit de l’autre
De mon côté l’occasion était trop belle et suffisamment rare de revoir le même soir René Frégni ( en dehors du festival du Livre de Mouans-Sartoux) , Richard Galliano ( de plus en plus demandé dans les différentes musiques) et Alain Joutard (depuis nos rencontres chez Harmonia Mundi)
Suivez le guide …
Sur le filage des chemins noirs ...
Philippe Depétris m’avait invité à suivre le filage, un terme que l’on emploie au théâtre ou à l’opéra et qui est beaucoup plus complet que les traditionnelles « balances » des musiciens. On déroule tous les éléments, le programme sauf que les artistes ne sont pas en tenue de scène.
Juste avant que ce beau monde rentre dans le vif du sujet, j’en profite pour en savoir plus avec d’abord René Frégni, l’auteur du roman "Les chemins noirs" à la base de cet oratorio et récitant . Ensuite je passe au « confessionnal » Richard Galliano, très heureux de faire « sa psychanalyse avec un journaliste » comme il me le confiera avant de rejoindre le groupe. Pour Philippe Depétris, pris par le filage et ses préoccupations d’organisateur, ce fut juste avant qu’il ne retourne à ses soucis protocolaires.
Pendant chaque entretien, j’ai senti une formidable connexion que ce soit entre nous mais également entre chaque partie comme si ces personnes se connaissaient depuis très longtemps. Ce n’était pas le cas entre Richard Galliano et René Frégni contrairement pour Philippe Dépétris et Alain Joutard.
Mais dès le filage, j’ai senti cette communion et déjà poindre l’émotion.
L’émotion intense de Richard Galliano, accordéoniste
A l’heure dite, la cathédrale antiboise était très bien remplie, dissipant les craintes du comité d’organisation.
Rassuré, Philippe Depétris pouvait annoncer l’invité d’honneur de cette soirée, Richard Galliano, accordéoniste-compositeur-arrangeur, visiblement très ému de se retrouver dans un lieu solennel et proche d’attaches familiales.
La soirée commence par un solo de Richard, bien assis sur une chaise et son accordéon collé au corps comme un nouveau né avec sa mère…
Il commence par un retour sur quelques titres célèbres comme Chat pitre, L’encre rouge; Barbara puis enchaine avec un meddley des thèmes de cet oratorio Les chemins noirs avant l’arrivée de l’imposant choeur de Musiques en jeux dirigé par Alain Joutard.
Le public est déjà sous le charme. Il retient son souffle quand le groupe, où les femmes sont plus nombreuses que les hommes, pénètre dans le choeur de la cathédrale en compagnie du récitant René Frégni. Une vague de tenues noires va nous submerger pendant plus d’une heure.
Tantôt un clapot ou une vaguelette qui nous bercent vocalement et instrumentalement puis soudain c’est la très forte houle.
Le choeur est à l’unisson de l’accordéoniste qui délaisse sa chaise pour venir écouter au plus près les voix, se mêler à elles dans une communion parfaite orchestrée par le chef Joutard lancé dans une chorégraphie gestuelle d’une fluidité exemplaire.
Le synchronisme est parfait entre la musique et le récitant René Frégni qui interprète physiquement aussi le texte adapté en alexandrins à partir de son roman. Chapeau car ce spectacle n’avait été présenté qu’une seule fois à La Scène Musicale de Boulogne-Billancourt!
Nous sentons bien que l’ambiance est particulière non seulement à cause du lieu (la cathédrale d’Antibes) mais aussi parce qu’un fluide spécial vient d’englober artistes et public.
Personne ne veut le rompre et notamment Richard qui distille son premier ‘bis” en solo sur Vie Violence qu’il avait écrit pour Nougaro …
Pour le second il appelle son ami et directeur artistique Philippe Depétris pour interpréter Oblivison de Piazzolla, l’occasion de rappeler qu’il est aussi un flutiste-concertiste de très haut niveau.
On termine la séance de rappels par Epiphanie.
Mais il faut que les techniciens remettent tout en place dans le choeur de la cathédrale après ce très émouvant concert-spectacle, il y a la messe du dimanche…
L’occasion était trop belle pour mieux vous faire connaître les trois personnages “clés” que sont René Frégni, le romancier et récitant, Richard Galliano, le compositeur-arrangeur-orchestrateur mais surtout accordéoniste mondialement reconnu et Philippe Depétris, le directeur artistique de ce festival créé il y a 30 ans. En me calquant sur la nature du lieu je me suis glissé dans la “peau” du confesseur…entre les épisodes du filage.
La « confession » des trois acteurs de cet oratorio ...
René Frégni, auteur et récitant "Les chemins noirs"
Projecteurtv.com / Philippe Déjardin : Bonjour René, pouvez-vous vous présenter ?
René Frégni : Je suis romancier depuis 32 ans. D’abord chez Denoël puis Gallimard depuis 12 ans. J’ai écrit une vingtaine de romans, à la fois du polar, des récits autobiographiques et des romans plus poétiques.
A priori, rien ne vous destinait à une carrière littéraire?
Cela va être le propos de l’oratorio. J’ai raté toute ma scolarité. Je refusais de mettre des lunettes même si j’avais une très mauvaise vue.Tout le monde m’a viré à Marseille, les écoles, les collèges et les lycées. J’ai fait les 400 coups dans les rues, mon enfance a été déchiquetée. Je n’allais jamais à l’école et je me suis arrêté au BEPC. Je suis arrivé avec trois mois de retard à l’armée, bien entendu je suis passé devant un tribunal et on m’a envoyé six mois en forteresse ! Pendant ces six mois, plutôt que de rester face à un mur, j’ai commencé à lire… J’ai ouvert le premier livre de ma vie à 19 ans et j’ai lu tout ce qu’il y avait dans cette petite prison. Peut-être deux cent livres en six mois et j’ai commencé ce voyage immobile, un livre à la main.Tous les jours je m’évadais dans des collines, au bord des rivières, dans les bras des femmes. J’ai voyagé pendant six mois et puis on m’a versé dans une caserne disciplinaire.Je ne me suis pas adapté. A nouveau j’ai déserté et je me suis mis à tourner autour de la Méditerranée avec un livre dans la poche. Avec ce double voyage, celui des chemins autour de Mare Nostrum et quand j’ouvrais un livre, l’imaginaire.
Dans tout ce que vous avez lu, vos auteurs préférés ?
René Frégni : J’ai d’abord découvert Giono que je lis depuis 50 ans puis Camus, Céline Beckett puis tout le monde Dostowieski, Jim Harrison, Hemingway, Genet… J’avais de plus en plus d’auteurs dans mon sac et de plus en plus ils me nourrissaient.
Et votre rencontre avec Richard Galliano ?
Je vois la lumière des façades, je revois ma grand-mère en train de cuisiner
René Frégni : Un beau jour, iI y a deux ans, Richard Galliano m’appelle et me dit “ Je lis tous vos livres et quand je les lis j’ai l’impression d’être en Italie. Je vois la lumière des façades, je revois ma grand-mère en train de cuisiner. J’aimerai vous rencontrer”.
J’ai sauté dans ma voiture. Quand un accordéoniste comme lui appelle…
Quand je suis arrivé dans le Vieux-Nice, il m’attendait avec son accordéon sur le ventre et il m’a ouvert la porte.
Tout de suite il m’ a dit “ Voilà ce que ‘j’entends quand je lis vos livres” , Il m’a joué quelques notes et brusquement il m’a tutoyé” Qu’est-ce que tu en penses?”
La musique nous avait rapprochés et je lui ai dit” Moi quand j’écris je n’entends pas l’accordéon mais c’est beau” .Il m’a répondu “On va faire ensemble un oratorio”.
A partir de votre roman “ Les chemins noirs”… Comment s’est fait le choix de ce roman, il aurait pu en prendre un autre ?
"Mon évasion de la prison puis mon voyage autour de la Méditerranée avec un livre dans la poche"
René Frégni : Il aurait pu choisir n’importe quel roman mais celui-ci est une espèce de “ road movie”, un roman picaresque qui raconte ce que je viens de relater. Mon évasion de la prison puis mon voyage autour de la Méditerranée avec un livre dans la poche. C’est un jeune homme qui arrive illettré dans cette prison et qui ressort avec des mots, des émotions, avec une culture. Cette culture va me suivre toute ma vie. Le fil rouge, c’est l’histoire d’un jeune homme un peu perdu, déserteur, enfermé et qui découvre le monde des lettres, la littérature. La littérature contre la solitude, la barbarie, la bêtise dans la vie. C’est un peu un roman sur la rédemption. Comment quelqu’un qui a tout déchiré dans sa jeunesse, fait pleurer sa mère, rentre dans un monde de mots et transforme sa vie?
Les mots sont très importants pour vous car vous avez des actions en prison pour faire sortir ces mots pour les détenus, pour leur permettre de s’exprimer.
René Frégni : Exactement. Ce que j’ai découvert en prison , je le fais découvrir à ceux qui y sont. J’apporte des livres, des mots, des images. Je leurs permets de découvrir leur monde intérieur, le monde des émotions. Finalement on transforme des hommes avec cela, mieux qu’avec de la prison ou des lourdes peines..
Pensiez-vous qu’un musicien pouvait ressentir des notes de musique à travers vos romans ?
René Frégni : Oui mais je ne pensais que quelqu’un comme Richard Galliano le plus grand accordéoniste, m’appellerait, on ne pouvait pas l’’imaginer. Mais quand je lis Giono, il a une musique, Céline une autre, Stendhal c’est plus cisaillé, plus dur.
Chaque écrivain a sa musique, moi quand j’écris j’en ressens une petite qui vient des profondeurs. Chaque écrivain a la sienne. Le cinéma m’appelle, le théâtre mais jamais je n’ai pensé qu’un musicien allait m’appeler.
Vos romans sont quasi tous adaptables à l’écran ?
René Frégni : Le cinéma m’a appelé pour dix romans, malheureusement ils ont acheté tous mes romans en option mais on n’a pas trouvé les quatre ou cinq millions d’euros pour déboucher sur un film. On n’a pas trouvé de producteur. Il y a dix réalisateurs qui sont venus chez moi pour acheter les droits pour un an, une option de 3 à 4000 euros, pour avoir le roman sous le coude pour un an ou deux. Il y a plein de projets mais rien de fait encore.
Un nouveau roman ?
“Minuit dans la ville des songes”
René Frégni : En janvier, j’en publie un chez Gallimard qui s’appelle “Minuit dans la ville des songes”. Un récit relativement important, plus de trois cent pages, que j’ai écrit tout l’hiver en profitant de ce confinement pour rester dans ma chambre. J’ai travaillé encore plus que d’habitude les mots, les phrases et les chapitres. Je suis rentré dans un bain de mots, je me suis régalé, je n’ai fait qu’écrire pendant six mois.
Son thème ?
René Frégni : Je reprends un peu le thème de ma vie et les grands moments qu’ont été mes rencontres avec les grands écrivains comme Camus, Dostowieski. Je raconte comment ces gens m’ont sauvé de passages difficiles dans ma vie et qui t’aident à chaque carrefour, quand tu es percuté par une météore comme une passion amoureuse qui tourne mal, le décès d’une mère, une grande solitude. Tu prends un livre, tu découvres un écrivain qui te donne la ressource, les mots pour continuer, te donne une clé, t’ouvre la porte dont tu as besoin au moment où tu le lis.
Parmi ces grands écrivains, en avez-vous rencontré physiquement ?
René Frégni : Ni Camus, Giono ou Dostowieski mais d’autres écrivains comme Modiano, Le Clezio, Pierre Le Maître, je les vois régulièrement. Pour les premiers cités, ils ont réorienté ma vie. A chaque fois que j’ai eu besoin d’un penseur, d’un écrivain, j’ai trouvé ce qu’il me fallait car les écrivains peuvent t’aider dans ces moments difficiles. Ils racontent un peu ton trouble, ce que tu es en train de vivre et comment leurs héros s’en sortent, ils te donnent des clés.
Richard Galliano, accordéoniste
Bonsoir Richard, pour les personnes qui ne vous connaissent pas, qui êtes - vous ?
Richard Galliano : Je suis accordéoniste et j’ai étudié la musique avec mon père, un grand professeur, un magnifique musicien et compositeur qui a dirigé l’école de musique de Mouans-Sartoux. C’est lui qui m’a donné le virus de la musique et de l’accordéon en particulier. J’ai fait beaucoup de concours internationaux lorsque j’habitais ici.
Je suis né au Cannet, juste à côté de Cannes et je suis parti à Paris à l’âge de 20 ans après mes études au Conservatoire de Nice où j’ai travaillé aussi l’écriture, le trombone avec un prix également au trombone à coulisse.
J’ai tout de suite travaillé dans le métier grâce à d’autres accordéonistes et notamment Joss Baselli. C’était l’accordéoniste le plus populaire aux Etats Unis. Il a eu un oscar pour cela sous le nom de Jo Basile (son vrai nom) dans les années 60. Ensuite il est retourné à Paris pour accompagner Reggiani, Barbara (c’est le premier accordéoniste de Barbara).
Je l’ai remplacé d’abord avec Reggiani puis j’ai été sollicité par Nougaro et je sais que Joss m’a aidé, m’a appuyé.
Nougaro ça été une de mes plus belles rencontres. D’abord j’étais le benjamin de l’orchestre, après ils ont su que je jouais du trombone et je passais d’un instrument à l’autre, trombone, accordéon puis à l’orgue. Jusqu’au jour où Claude m’a proposé de monter ma propre formation et j’ai fait appel à me amis niçois, il y a de très bons musiciens. Je dirigeais l’orchestre, c’était dans les années 80. Puis j’ai commencé à faire des chansons avec lui, la première c’était Des voiliers, ensuite Allée des brouillards, c’est une ruelle à Montmartre et qui a une histoire… et la dernière c’est un tango Vie-Violence que j’ai fait pour Nougaro.
Nous sommes dans les années 80, on s’est séparés avec Nougaro en 83 et c’est à ce moment là que j’ai rencontré Astor Piazzolla, une autre rencontre importante.
"Un musicien doit jouer ce qu’il joue le mieux, la musique de sa terre…"
Un déclic dans votre carrière?
Richard Galliano : Oui, parce que j’étais musicien accompagnateur de studio, d’arrangements mais j’étais monté à Paris pour me réaliser. Ma timidité a été, non pas un frein, mais elle a ralenti les choses. Mais ce n’est pas plus mal, j’ai appris étape par étape. Nous étions très amis avec Astor avec nos épouses respectives. Il a été comme un second père pour moi, m’a donné des conseils, non pas pour jouer sa musique. Il faisait des parallèles entre son histoire , le bandonéon, l’Argentine et le tango avec la France, le musette et l’accordéon.
Je ne savais pas par quel bout prendre le truc et me réaliser. Un jour, il m’a dit » Vous devriez faire comme moi, j’ai fait le « new -tango » faire le »new-musette » . L’idée de base était intéressante, faire un travail autour de la java. Son idée était qu’un musicien doit jouer ce qu’il joue le mieux, la musique de sa terre…
Mettre votre âme dans votre musique et non faire une copie de Verchuren, Aimable…
Richard Galliano : C’est l’histoire avec mon père qui m’a donné le goût du bon accordéon, c’est à dire l’exemple de Joss Baselli, Marcel Azzola qui s’est fait connaître par Vesoul avec Brel. Après cette rencontre décisive avec Piazzolla, ce fut Dreyfus (NDLR : Francis décédé en 2010 & arrière-petit fils du capitaine Dreyfus) qui était – entre autre- le producteur de Jean-Michel Jarre qui voulait monter un label jazz. Il a fait appel à moi et j’ai eu la chance de faire mes premiers disques sous mon nom et de mettre en application – après le décès d’Astor- ses conseils dans Viaggio, New York Tango aussi. Le bassiste avec qui j’ai enregistré à New York , New York Tango c’était Georges Mraz (contrebasse), en compagnie d’Al Foster (batterie) et de Birelli Lagrène (guitare). Ce sont les deux disque que je préfère. Après il y a Deutsche Grammophon , surtout le Bach!
Vous avez été l’un des premiers à enregistrer avec ce label classique prestigieux
Richard Galliano : Oui, il y a des accordéonistes qui ont fait des apparitions mais j’ai quand même fait quatre albums. Un « Bach » , Vivaldi, Mozart et ils m’ont demandé un hommage à Nino Rota .Ça tombais bien car j’en avais fait un quinze ans avant pour Fellini & Rota. Là j’ai fait appel à des musiciens anglais et américains.
Vous parlez d’enregistrement mais comment êtes-vous arrivé à vous intéresser à ce roman "Les chemins noirs" jusqu’à vouloir en faire un oratorio ?
Richard Galliano : C’est tout simple. L’idée ne me serait jamais venue seul, c’est mon impresario et agent Thierry Sola qui est un ami d’enfance de René Frégni. Nous avions travaillé ensemble il y a une trentaine d’années et on s’était séparés. Un jour, il était à la retraite et il m’a appelé. « Je vois ce que tu fais mais aussi partir dans tous les sens. Il te manque un manager, quelqu’un qui puisse te guider » . Moi j’arrive à 70 ans (NDLR il a fêté cet anniversaire en juillet 2020 sur la scène du Nice Jazz Festival) et il faut reposer la machine. J’en avais un peu marre de sauter d’un avion à l’autre comme le font faire d’autres agents (mais je ne crache pas dans la soupe).Je n’avais plus le temps de composer. « L’idée c’est que tu écrives un oratorio et tu sais je suis un ami d’enfance d’un écrivain René Frégni et je suis sûr que ses romans vont te séduire » .
C’est grâce à ces « gangsters » que les trois plus importants styles de musique ont existé : le jazz, le tango et le musette
En effet, j’en ai lu la plupart . Dans Les chemins noirs qui est autobiographique j’y voyais le parcours de Chet Baker. Des gens qui – comme quand je suis arrivé à Paris- ont fréquenté des voyous (pas pour, moi même si quand je jouais dans un orchestre à Toulon il y avait des bandits méditerranéens…) . C’était quelque chose, ils étaient très attachants. Il faut savoir que c’est grâce à ces « gangsters » que les trois plus importants styles de musique ont existé. Le jazz aux USA, le tango en Argentine et le musette, rue Delattre avec Jo Privat qui était un prince de l’accordéon et tout ce qu’il raconte par rapport aux macs , aux filles et aux gens qui venaient s’encanailler. (Il se rend compte qu’il s’éloigne du sujet…)
J’ai perdu le fil…
Nous parlions de ce qui vous a fait choisir ce roman Les chemins noirs. Comment s’est déclenchée cette rencontre ?
Richard Galliano : René Frégni a une manière d’écrire. Il me fait penser à un mélange. J’adore Giono et Simenon et René a ce côté de dramaturgie que j’aime C’est Thierry qui nous a mis en contact et c’est vrai que je ressentais de la musique en lisant. Je voyais un film. En fait je n’ai pas vraiment écrit, lui c’était son premier roman. Moi j’avais des compositions et ça été comme un phénomène de synchronicité. C’étaient des morceaux qui attendaient et auxquels j’ai repensé lorsque j’ai lu le roman. Quand il est venu à Nice, je lui ai fait écouter ces enregistrements et ça collait vraiment, sauf que c’était instrumental…
Le contact avec René il est tellement simple et naturel. On s’est tutoyés rapidement et comme disait Nougaro « on a senti que l’on était de la même tribu » .
Elle s’est passée quand cette rencontre ?
Richard Galliano : Oh il y a bien quatre ou cinq ans. Ensuite il y a eu le temps pour l’écriture, ensuite pour l’arrangement, l’orchestration, je n’avais jamais écrit pour des chœurs.
Après cela, Marion, ma fille avec qui je travaille et qui est l’assistante de Thierry m’ a invité à aller écouter un concert d’Alain Joutard et son ensemble dans l’église de Biot. On s’est rencontré et pareil. Dans la vie, les choses se font naturellement, on s’attire comme des aimants. De suite on voit si cela va marcher ou non. Il n’y a pas eu de difficulté à mettre cela en forme.
Francine a fait un très beau travail en transformant les textes en alexandrins.
On aurait pu rester avec les écrits de Frégni, on s’est posé la question.
Je ne voulais pas d’un oratorio trop lourd. C’est autour de cinq chansons avec les interventions de René, simplement. Il s’est approprié les poèmes.
Parfois l’oratorio est un peu pompeux, c’est long, il y a les solistes...Moi je suis un homme de chansons, j’ai appris à les faire avec Nougaro. La première qu’il m’a proposée c’est Le diable et le bon Dieu , je me suis cassé le nez, je voulais faire trop d’ instrumentaux.. C’est à la fois simple et compliqué de faire des chansons..
Précisément, vous conseillez aux jeunes musiciens de jouer avec le cœur plutôt que technique, c’est faire passer l’émotion ?
Richard Galliano : Et puis après le sens de la mélodie. Moi ça m’est venu après. Je suis tombé dans le bain avec Reggiani même si j’écoutais de loin. Les paroles ne me parlaient pas comme elles le font aujourd’hui mais Nougaro c’est pareil. Après Moustaki puis Barbara. Je n’étais pas son accompagnateur attitré. J’ai fait surtout Lilly Passion mais elle m’a appelé pour que je participe à son dernier disque, son accompagnateur c’était Roland Romanelli. Il y a eu aussi Juliette Greco.
Après le conservatoire, je me suis vraiment formé à la chanson. Si je n’ai pas un texte pour composer, je suis un peu « à sec ».
Que nous réserve Richard Galliano dans les prochains mois ?
Richard Galliano : Il y avait ce disque très important Piazzolla for ever qui était accompagné par un DVD . Mais quand il y a des images, on fait moins attention à la musique. Alors le label BMG a décidé de ressortir l’enregistrement audio du concert que nous avions fait aux Bouffes du Nord il y a quinze ans. Sortie prévue le 19 novembre avec un double vinyl et double CD, un gros truc !
C’est bien avec le centenaire (NDLR naissance le 11 mars 1921), tout le monde s’est jeté dessus. Moi l’hommage je l’ai fait il y a vingt ans pour Astor parce que j’éprouvais le besoin. Il était assez malheureux, quelque temps avant de mourir, il me disait « Les gens ne comprennent pas ma musique, » . Il se sentait incompris car on résumait un peu sa musique avec Libertango alors que c’est beaucoup plus large.
Ensuite il y a une tournée au Japon, fin novembre, le New Morning en décembre.
Et j’ai eu une révélation, en discutant avec René, du parallèle entre un comédien et un écrivain ou entre un interprète (concertiste) et un compositeur.
"Moi je compose de 7 h du matin jusqu’à 7 h du soir et je me bois un petit whisky mais je jette aussi la moitié de ce que j’écris"
A un moment donné il faut choisir ou par période car on ne peut pas être à la fois interprète et compositeur ni acteur et écrivain. René, qui a écrit son dernier livre de 300 pages a passé plusieurs mois, en écrivant tous les jours, matin et soir, ça continue même la nuit. C’est le seul moyen. Pour cet oratorio, j’ai puisé dans des compositions qui n’avaient pas encore eu d’écoute mais dans lesquelles je croyais. Je sais que si je veux écrire de la musique, il faut que j’arrête mes tournées. Comme Astor me disait « Moi je compose de 7 h du matin jusqu’à 7 h du soir et je me bois un petit whisky mais je jette aussi la moitié de ce que j’écris » . Il y a aussi de l’autocensure.
Philippe Depétris, responsable du festival d'art sacré d'Antibes, flutiste-concertiste
Bonjour, quelques mots pour vous présenter ( attention de bien prononcer le « S » de son nom)
Philippe Depétris : Je suis né à Nice en 1956, flutiste, directeur de ce festival d’art sacré d’Antibes, journaliste musical également, plusieurs « casquettes »
Vous avez accompagné un certain nombre de solistes
Philippe Depétris : J’ai eu la chance de faire beaucoup de concerts avec Alexandre Lagoya qui m’avait pris en amitié à l’époque, avec Alain Marion. J’ai pu faire des rencontres formidables.
Quelle est la rencontre qui vous a le plus marqué ou déterminante dans votre carrière ?
Philippe Depétris : Toutes ont été déterminantes, dans mon cœur elles sont toutes importantes. Il se trouve que j’ai effectué des études Lettres, kagne- et hypocagne, je suis allé jusqu’à la maîtrise tout en faisant de la musique. A un moment donné, j’ai dû faire un choix à la sortie du service militaire…
Qu’est-ce qui vous a décidé ?
"L’important quand tu joues, si les gens s’arrêtent et dressent l’oreille, ils se moquent complètement que tu aies passé ou non des concours"
Philippe Depétris : J’ai voulu me remettre en « selle »au niveau de la flûte même si j’avais fait mon service dans la musique (un peu particulier malgré tout) et j’ai rencontré Robert Hériché. Il était soliste de l’Opéra de Paris et suppléant de Jean-Pierre Rampal au Conservatoire de musique de Paris quand celui-ci allait faire ses tournées qui étaient nombreuses. En discutant avec lui, je lui dit que j’avais fait des études de lettres et que j’allais logiquement passer le concours à l’École Normale Supérieure pour me diriger vers un poste de professeur, peut-être faire du journalisme…
Il me répond « Il ne faut pas que tu fasses cela, tu as une telle sonorité à la flûte, il faut que tu deviennes flûtiste ! »
Je lui dis « oui mais je n’étais pas parti pour être flutiste professionnel, pas suivi les filières » « Les filières, on s’en fiche, je n’ai pas passé de concours internationaux . L’important quand tu joues, si les gens s’arrêtent et dressent l’oreille, ils se moquent complètement que tu aies passé ou non des concours. Ecoutes, si tu veux ,je vais te prendre en main, tu vas venir passer des week-ends à Paris chez moi . Je t’héberge avec mon épouse, on s’occupe de tout, tu viens à peu près toutes les trois semaines pour un week-end de travail » m’a-t-il répondu.
Nous avons fait comme cela, je me suis lancé et j’ai pris un poste de professeur au conservatoire de Saint-Raphaël, une classe de flûte qui n’existait pas et que j’ai créée. Au total, j’aurai créé six classes de flûte dans six conservatoires différents.
Je me suis aperçu que j’aimais ce contact avec le public.
C’est ce qui vous a amené à créer des festivals ?
Philippe Depétris : Bien sûr que ça m’a amené mais le cheminement est un peu différent. Personne ne me connaissait ni me m’attendait et je n’ai pas eu d’autre choix, si je voulais jouer et m’exprimer en public, que d’organiser mes propres concerts. Je me suis organisé mes concerts et les choses ont pris. Il faut croire que j’ai quelques capacités d’organisateur car beaucoup de collègues musiciens m’ont sollicité pour leur organiser des concerts. C’est ainsi que sont nés un certain nombres de festivals, qui étaient des embryons avec un , deux ou trois concerts que je ne fais pas moi-même – un sur trois- mais j’invitais des musiciens. Petit à petit, ces embryons sont devenus des grands festivals. Il y a eu les soirées musicales des Templiers à Saint-Raphaël qui ont duré 26 ans. Celles de l’abbaye de La Celle durent encore, on va fêter les 25 ans l’année prochaine. Pour les soirées de Grimaud, nous fêterons les 20 ans. Entre temps, je me suis installé à Antibes où j’ai créé la classe de flûte au conservatoire et ce festival d’art sacré, qui fête ses 30 ans, avec Jean Léonetti, jeune conseiller municipal.
Si on regarde les festivals dont vous assurez la direction artistique qui ont plus de vingt ans, ce n’est pas courant de voir une telle longévité . Est-ce plus fréquent dans le classique que pour d’autres musiques ?
Philippe Depétris : Je ne sais car je ne pose pas de questions. J’essaie de créer des évènements, des rencontres, des synergies entre les musiciens et le public.
Il y aussi les Heures Musicales de Biot dont je suis le fondateur et que j’ai laissées ensuite car on ne peut pas être partout . L’important c’est la rencontre et de partager.
Comment faîtes-vous pour choisir les invités du programme musical ?
Philippe Depétris : J’écoute énormément de musique et je continue à faire du journalisme musical pour Nice-Matin, j’ai fait de la radio où j’ai animé des émissions et je me déplace pour des concerts. Ensuite ce sont des affinités comme avec Richard…
Pour les 30 ans de votre festival, vous faites venir précisément Richard pour cet oratorio, "Les chemins noirs"
"Avec cette œuvre, je crois que l’on plonge au plus profond des ses racines familiales, musicales, ses inspirations."
Philippe Depétris : C’est venu naturellement puisque nous sommes issus du même conservatoire.Vous connaissez sa carrière internationale, nous nous étions croisés très souvent sans avoir eu le temps de beaucoup se parler. Il y a deux ou trois ans, on s’est retrouvés dans une soirée et nous avons pu discuter. Une rencontre musicale et amicale plus profonde, des atomes crochus d’où sont nés des projets. Lorsqu’il a évoqué ce projet d’oratorio, il m’a dit qu’il allait le créer à la Scène Musicale avec Alain Joutard ( qui est un complice de notre festival depuis 25 ans) .Je lui ai dit « fais cette création à la Scène Musicale et on la fait en région à la cathédrale d’Antibes pour les 30 ans du festival d’art sacré » parc que je trouvais que « Les chemins noirs » avait une telle force .On n’est pas dans le sacré stricto-sensu mais dans le développement d’émotions, de sentiments, de foi intérieure qui fait que l’on peut n’être que bouleversé par ce parcours et sa mise en musique. Repoussé en 2020 pour les raisons sanitaires que nous connaissons, j’avais promis à Richard et René de le présenter. C’est d’autant plus touchant que la mère de Richard est née à deux rues de la cathédrale, dans ce vieil Antibes. Richard Galliano, qui est quelqu’un de très pudique, est très bouleversé. Avec cette œuvre, je crois que l’on plonge au plus profond des ses racines familiales, musicales, ses inspirations. On le sent même pendant les répétitions qui sont prenantes
Plus personnellement. Toujours journaliste pour Nice-Matin ?
Philippe Depétris : Oui. C’est un peu le combat qui n’a pas toujours été bien compris. Je pense que nous sommes à un stade où il faut parler des musiciens, du spectacle vivant. C’est le sens de mon combat et je pense que je réussis assez bien, Nice-Matin me laisse cette possibilité de parler de la musique et de ses acteurs même si certains ont estimé qu’en mettant les autres en avant, c’est moi qui est bénéficiaire. Ce n’est pas du tout mon propos . C’est important que l’on répète ce qui se fait en musique classique avec cette part de culture qui diminue. C’est ce que je tente de défendre en tant que musicien, journaliste, enseignant et comme organisateur de concerts. Ce sont les quatre as de mon jeu.
Un beau carré, bien fourni mais votre duo avec le guitariste Pascal Polidori?
Philippe Depétris : Trente ans que notre duo va fêter cette année avec une tournée qui va reprendre. C’est quelque chose qui me touche car Pascal était un élève d’Alexandre Lagoya qui m’avait conseillé Pascal pour faire des concerts car lui ne serait pas forcement disponible. Pour lui, c’était celui qui avait le mieux intégré sa sonorité. Trente ans d’amitié, on s’éclate.
Un planning très bien occupé avec cinq activités différentes?
Philippe Depétris : J’ai la chance – je crois qu’est c’est ma formation dans les classes préparatoires aux grandes écoles- d’être très organisé, de travailler assez vite, d’être bien secondé par mon épouse, rapide dans la réflexion et bien organisée également.