- Auteur Viviane Le Ray
- Temps de lecture 8 min
Rencontre intemporelle : Lauren Bacall
Lauren Bacall est une incontestable légende du 7ème art, inoubliable dans ses rôles dans Le Port de l’angoisse, Key Largo ou encore Le Crime de l’Orient Express. Femme complète, complexe, au charme profond, elle est aussi une femme de théâtre, passionnée d’écriture. Rencontre intemporelle avec l’icône du cinéma aux yeux révolvers, The Look, un beau matin d’été des années 90 entre Mougins et Cannes.
Ce jour de juin 1990, par un bel après-midi d’été entre Cannes et Mougins, sur un plateau de tournage en forme de verte prairie, la magie flottait dans l’air… J’avais rendez-vous avec une légende vivante : À 19 ans, elle avait fait la couverture d’Harper’s Bazaar ! Lauren Bacall tournait A star for two, un film américain, avec Anthony Quinn.
Mon rendez-vous avec Anthony Quinn, était acquis ; pour Lauren Bacall, c’était une autre affaire ! Luce Bonnefous, attachée de presse du film, m’avait prévenue : « ce n’est pas du tout cuit ! » Et pourtant, elle n’avait pas lésiné, concoctant à « ma star » son menu préféré : carottes râpées, beignets de fleurs de courgettes et cocktail de fruits rouges « couleur fétiche de Madame Bacall », me dit-elle… Plus sympathique encore ma complice avait escamoté un méchant article qui circulait sur le plateau, qualifiant (si l’on peut dire) le couple Bacall-Quinn de « retraités du cinéma » !
M’armant de patience, pas très rassurée, je prenais place à une table au milieu d’une foule de villageois de comédie riant aux éclats tout de noir vêtus, devisant autour d’un déjeuner arrosé d’un p’tit rosé de pays bien frais. Mazette ! J’étais tombée en plein tournage d’un enterrement… Serait-ce un mauvais présage ? Ce rendez-vous devenait mon Port de l’Angoisse à moi !
Soudain, sortant d’une roulotte, majestueuse et terriblement belle, en dépit des rouleaux qu’elle portait sur la tête, apparut « ma légende du 7ème Art » : Key Largo, Le Crime de l’Orient Express, Le Port de l’angoisse, en filigrane Humphrey Bogart allumant une énième cigarette… La magie avait opéré. Lauren Bacall, entre deux prises, avait répondu « OUI ». « The look » me souriait détendue, charmante, disponible… Il y avait bien de la magie dans l’air : la veille un grand journaliste parisien (pléonasme !) spécialement venu de la capitale était reparti bredouille…
Rencontre intemporelle avec Lauren Bacall
"J’ignore dans quelle direction l’avenir va m’entraîner, ce qu’il me réserve, mais je suis prête à accueillir ses suggestions…"
Viviane Leray : Lauren Bacall, j’aimerais connaître votre sentiment sur le cinéma en 1990, J’entends, toujours parler de « crise du cinéma ». Qu’en est-il à vos yeux ?
Lauren Bacall : Le Cinéma a besoin, je dirais avant tout, d’écrivains. Mais il a aussi besoin peut-être de producteurs, de producteurs qui ne soient pas uniquement motivés par l’appât du gain, par l’argent facile. De nos jours c’est l’argent qui mène la danse, une attitude que je déteste.
V.LR : Ne manque-t-on pas également de grands acteurs, plus encore de stars, dans le sens noble du terme, qui fassent rêver ?
Lauren Bacall : Les bons acteurs existent, si ce n’est plus « comme avant » c’est que d’une part on a pratiquement fermé les grands studios, et que d’autre part il n’y a plus vraiment de bons sujets ce qui est un gros problème précisément pour les bons comédiens. La télévision a aussi largement contribué à tuer le cinéma. Les acteurs sont trop connus, trop vite et ne durent pas. Leur vie est donnée en pâture, étalée dans les journaux. Ils ont perdu leur mystère. A la télévision on fait une « carrière » entre guillemets, de façon fulgurante : « on fait de l’argent », la chute est souvent brutale et rapide. Faire de l’argent, être connu n’est pas suffisant. La presse, elle aussi, a contribué à tuer le mystère donc les « stars », elle a tué le rêve. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’accorde de moins en moins d’interviews…
V.LR : Le public ne serait-il pas souvent meilleur juge que les critiques qui pensent posséder la science infuse, se croyant détenteurs de la vérité, ils se veulent seuls habilités à émettre un avis péremptoire : « faisant et défaisant », en quelques mots, une carrière, un réalisateur, un film ?
Lauren Bacall : Bien sûr que le public est meilleur juge que la plupart des critiques. Mais aux États-Unis, hélas, le public suit les critiques, si le critique écrit « Il faut aller voir ce film », on y va… C’est catastrophique, pour la profession toute entière. Le public n’a plus la liberté du choix. Il est conditionné. On réalise des films dont le grand public n’entend même pas parler, donc qu’il n’ira jamais voir ! Ces œuvres sont réservées aux seuls « initiés », en conséquence ce sont des films qui commercialement ne marcheront pas. Vous voyez la suite, un désastre pour les acteurs, le producteur et le metteur en scène. Encore une fois c’est l’argent qui mène la danse du diable…
V.LR : Vous vous êtes racontée, de votre plume, dans « Lauren Bacall par moi-même », l’écriture est-elle pour vous une autre passion ?
Lauren Bacall : Un autre livre m’attend, quelque que peu délaissé pour tourner ce film « A star for two », l’écriture est une autre sorte de passion, avec mes enfants que je vois souvent. Je ne suis pas sportive, mon seul sport c’est la promenade. Je voyage beaucoup pour mon métier, mais jamais en touriste. En fait mon loisir favori demeure l’écriture. En réalité je n’ai pas assez de temps pour faire ce que j’aime !
V.LR : On parle beaucoup de Lauren Bacall « Star du 7ème Art », mais on parle moins de Lauren Bacall, comédienne, je crois savoir que le théâtre tient un grande place dans votre carrière ?
Lauren Bacall : La dernière fois que je suis montée sur les planches c’était en Amérique, en 1987. Le problème est qu’une bonne pièce est aussi difficile à trouver qu’un bon scénario. Je veux jouer dans des pièces nouvelles, je ne veux pas éternellement être l’héroïne d’un « remake ». Écrire une pièce ce n’est pas mon métier. J’aimerais que quelqu’un écrive un rôle pour moi, « sur mesures ». Comme tous les comédiens j’attends « LA » pièce "LE" rôle… Et comme je n’ai pas un tempérament qui me pousse à attendre, je fais autre chose ! Je dois bouger, en un mot : vivre. J’aime tout particulièrement travailler avec les anglais, j’éprouve une véritable passion pour le théâtre d’Harold Pinter.
V.LR : Jeanne Moreau pense que pour être acteur il faut être « sage », Gassman, en revanche m’a affirmé qu’il fallait être « fou ». Qu’en pense Lauren Bacall ?
Lauren Bacall : J’admire, cela va sans dire, ces deux grands acteurs, mais à mon sens il faut être fou et sage à la fois. C’est l’essence même de notre profession, la condition de l’acteur, son choix, un besoin aussi. Nous jouons moitié pour le public moitié pour nous…
V.LR : Certains ont peut-être ressenti plus que d’autres cette fragilité de l’acteur, ont eu peur de sombrer. Garbo n’a-elle pas été « sage » en se cachant, en fuyant la presse impitoyable, mais aussi les sunlights ?
Lauren Bacall : C’était sa décision, Garbo n’aimait pas du tout ce qui entoure ce métier, les interviews, les photos. Et pourtant elle était la plus belle femme du monde, la plus originale aussi, très en avance sur son époque dans le « look » et l’esprit. Je l’ai vue une seule fois dans ma vie, lors d’une soirée chez Col Porter, à New York. J’arrivais, elle partait, ce fut comme une apparition, un visage qu’on ne peut oublier. Il n’existe pas deux êtres comme Garbo. Greta Garbo était vraiment une création « Divine » !
V.LR : Pour conclure cette conversation, j’aimerais vous demander si cela vous « étonne » ou si cela vous « choque » que je ne vous ai pas posé de questions au sujet d’Humphrey Bogart ?
Lauren Bacall : « Ça m’étonne » et je vous suis reconnaissante de cette délicatesse. Bogart était présent… c’est l’important. Il n’était pas nécessaire d’en parler, ce que vous avez compris…
La « chute » de cette rencontre magique, je la confie à Lauren Bacall parlant elle-même dans son livre* : « J’ai commis des erreurs, d’innombrables erreurs. Et j’en commettrai d’autres. Mais je paie et je revendique ces erreurs. Je suis demeurée vulnérable, romantique, idéaliste autant qu’à mes 15 ans, lorsque, assise dans un cinéma, je me prenais pour Bette Davis. Je n’ai pas honte de moi, ni de ma vie. Dans mes plus graves moments de détresse jamais je n’ai songé au suicide. J’attache bien trop d’importance à l’existence. Je crois avoir une tâche à accomplir. Je ne suis pas un simple objet. Jamais je ne serai satisfaite, mais nul n’est parfait. J’ignore dans quelle direction l’avenir va m’entraîner, ce qu’il me réserve, mais je suis prête à accueillir ses suggestions… »
* « Lauren Bacall par moi-même » (Stock, 1979, Paris)
Photo à la une : Lauren Bacall au Festival du cinéma américain de Deauville en septembre 1989 © Roland Godefroy