- Auteur Viviane Le Ray
- Temps de lecture 9 min
Interview de Jean Marais en 1994 au Théâtre Princesse Grace, à Monaco
Lorsque j’étais très jeune un professeur m’a dit « Il faudrait un miracle pour que vous soyez reçu au Conservatoire », je lui ai répondu « Moi, je suis habitué aux miracles, j’en rencontre, j’en vis tous les jours » Rencontre intemporelle avec Jean Marais, Compagnon et acteur fétiche du « Prince des poètes » Jean Cocteau, souvenons-nous « Orphée », « La Belle et la Bête », inoubliable dans « L’Éternel retour » de Jean Delannoy. L’acteur et l’homme ouvrait son cœur, un beau soir de 1994, dans sa loge du Théâtre Princesse Grace… Nous avions parlé culture, nous avions parlé de la vie, nous avions parlé de l’amour. « Souvenirs d’un beau soir de 1994… en compagnie de l’acteur, du comédien et de l’homme Jean Marais à cœur ouvert…
Retour sur ce souvenir inoubliable de la rencontre d'une vie, celle d'un beau soir de 1994, au Théâtre Princesse Grace de Monaco, avec l'immense acteur de cinéma français Jean Marais, compagnon de route au cinéma de Jean Cocteau. Une interview inédite .
L'éternel retour de Jean Marais
Dès 1943, le cinéma entre dans la vie de Jean Marais avec "L’Éternel Retour", scénario de Jean Cocteau, réalisé par Jean Delannoy. En 1946, "La Belle et la Bête", lui ouvrira les portes des films de capes et d’épées. Si Jean Cocteau a été son « mentor », il ne faudrait pas oublier sa forte personnalité : fille de Francine Weisweiller, Carole Weisweiller évoquant le souvenir de Jean Marais, un jour dans la célèbre Villa Santo Sospir, me rappelait :
« Pour Jeannot la période amoureuse a été courte, elle s'est vite transformée en liens filiaux, mais on ne peut pas avoir été plus reconnaissant, il a toujours dit "Je ne serai rien, s'il n'y avait pas eu Cocteau dans ma vie". Jeannot était un enfant pour Cocteau et pourtant il était beaucoup plus fort que lui, peu de choses le touchaient ! » Carole Weisweiller
Monaco, un beau soir de 1994, au Théâtre Princesse Grace...
Ce soir de 1994, dans sa loge du Théâtre Princesse Grace, Jean Marais m’était offert à l’état brut, sculptural, quelque peu gris : déjà dans la peau du fermier du Kentucky, de la pièce de René de Obaldia « Du vent dans les branches de Sassafras ».
Alors que j’allais me retirer, à moins de quinze minutes de son entrée en scène, de sa voix reconnaissable entre toutes, je l’entendis me dire : « Restez, je ne me maquille pas, ne m’habille pas, je suis prêt pour entrer en scène ! », ponctuant cette invitation de son rire tout aussi unique…
Nous avons parlé culture, nous avons parlé de la vie, de l’amour. Ce sage que ses amis jugent « un peu fou » m’avouait alors se sentir très « inculte ». Les fameux « messages » que certains voient partout ? Il n’en a pas et n’en aura jamais… Je vous en livre cependant quelques-uns...
Lorsque je rencontre un acteur je lui rapporte la réflexion de l’un des siens : Vittorio Gassman : « Le métier d’acteur exige une part de folie ». Avez-vous, sentez-vous cette part de folie ?
Jean Marais : Je ne sens pas cette part de folie et c’est précisément ce qui me gène. Je crois en effet que l’acteur type à une grande folie en lui. Ce dont je suis certain c’est que nous avons un côté « putain », exhibitionniste. Nous aimons plaire d’où notre côté « putain » !
Viviane Le Ray : Peut-être pensez-vous comme Jeanne Moreau me l’a confié un beau jour, qu’il faut être « sage » ?
Jean Marais : Sage ? Je ne pense pas non plus qu’il faille être sage. Je ne crois pas que Jeanne ait été sage ! Je l’ai bien connue Jeanne, à ses débuts j’ai monté un spectacle pour elle, pour qu’elle devienne une vedette, entre temps elle l’était devenue, mais je ne peux pas dire qu’elle était sage !
Elle parlait, j’imagine, de son métier…
Jean Marais : L’un va avec l’autre. le métier se confond avec le tempérament qui fait qu’on est prêt ou pas à faire des folies. Moi, je ne me trouve pas assez fou. Quand je dis ça à mes copains, ils me disent « Qu’est-ce qu’il te faut ! ». Je suis trop sage, trop équilibré…
Jean Marais et Jean Cocteau ...
Cocteau a écrit « L’Art est une sorte de scandale dont la seule excuse est qu’il s’exerce chez les aveugles », y aurait-il une coupure, un fossé, entre les artistes et « les autres » ?
Jean Marais : Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec Jean. Il faut au contraire être très lucide, très clairvoyant, bondir sur l’accident, l’imprévu. Un exemple : si Picasso tout à coup fait par mégarde une tache sur sa toile et qu’il se dit « tiens je peux faire quelque chose avec cette tache », il transforme l’accident, et c’est alors que le merveilleux entre en scène. L’artiste un être réceptif qui voit au-delà des choses, bien plus loin…
A propos de Jean Cocteau, « Michel » dans » Les Parents terribles », ce n’est un secret pour personne, c’est vous ? Vous confirmez ?
Jean Marais : Le personnage de Michel a été conçu d’après moi, donc c’est moi ! J’ajouterai, ce que l’on sait moins, c’est qu’il était aussi une part de ma mère. On trouve dans le texte des phrases qui étaient les miennes dans la vie. En ce temps-là j’avais un tic de langage, comme on en a souvent, jeune. Aujourd’hui on dit « c’est cool », « génial », à l’époque je disais à tout propos « C’est formidable !»
Puisque nous parlons du « formidable » de votre jeunesse, qu’est-ce que vous voyez dans notre société, à l’aube de l’an 2000, de « formidable » ?
Jean Marais : Difficile de vous répondre sans vraiment réfléchir, mais il existe des tas de choses formidables, voire géniales. Toutes les inventions modernes m’émerveillent. Quand je vois un jeu d’échecs électronique, je trouve ça formidable, pas pensable… Imaginez un instant la tête de Louis XIV si on lui avait apporté ce jeu… Certains ont peur du progrès technologique. Je n’ai pas peur, au contraire je suis en admiration devant les inventions de notre époque. A mes yeux ce sont des sortes de miracles ! Lorsque j’étais très jeune un professeur m’a dit « Il faudrait un miracle pour que vous soyez reçu au Conservatoire », je lui ai répondu « Moi, je suis habitué aux miracles, j’en rencontre, j’en vis tous les jours » . Le téléphone, la télévision, marcher sur la lune, lancer des fusées, tout cela ce sont des miracles, des miracles pensés, réalisés par et pour les hommes, donc des inventions véritablement « géniales ».
Autre miracle l’amour… Jean Marais, vous voulez bien me parler de l’amour ?
Jean Marais : Vous parler de l’amour ? Oui, mais alors aussi de la jalousie. Il existe un grand malentendu sur l’amour et la jalousie. La jalousie est à l’opposé de l’amour. L’amour est un sentiment de générosité. Les jaloux disent que c’est une preuve d’amour, je pense le contraire… Si l’être aimé tombe amoureux on ne doit pas lui faire des scènes, pas même une… On doit l’aider à être heureux. J’en parle parce que je l’ai vécu. J’ai pris dans mes bras un être qui me quittait, je lui ai dit « Si tu étais malade je te soignerais. L’amour est une espèce de maladie, aussi je dois te soigner, t’aider ». J’ai souffert deux ans mais j’ai préféré que l’un de nous deux soit heureux... J’avais 46 ans…
Jean Cocteau, toujours lui… a écrit « Le corps est le parasite de l’âme », l’a-t-il été pour vous ?
Jean Marais : Je vais vous citer un poème de Jean : « Batterie »
« Le nègre dont brillent les dents
Est noir dehors, rose dedans
Moi je suis noir dedans et rose dehors… »
« Le tact dans l’audace c’est de savoir jusqu’où on peut aller » : Jean Marais, vous reconnaissez-vous dans les homosexuels qui défilent dans les rues avec des pancartes ?
Jean Marais : Ah Non ! Alors ça pas du tout ! L’homosexualité fait partie de mon être. J’ai écrit un livre précisément par ce qu’on me mariait, me fiançait (dans les journaux à scandales) tous les six mois ! On me téléphonait « on vous a vu avec une jeune femme, plusieurs fois à des générales, des soirées, peut-on en parler comme de votre fiancée ? » Je leur répondais « Cela ne vous arrive jamais de sortir avec une femme sans coucher avec elle ? » « Oui » répondaient-ils régulièrement, je rétorquais alors « Eh bien, moi aussi ! » Lorsque mon fils était au régiment, il m’arrivait (pour les lui garder) de sortir avec ses maîtresses, les journalistes s’empressaient de titrer « Jean Marais est fiancé ».
Alors j’ai écrit. J’ai écrit parce que j’avais l’impression que j’étais aimé (c’est présomptueux de dire qu’on est« aimé » !) sur un malentendu, qu’on aimait un être que je n’étais pas véritablement. J’ai voulu dire qui j’étais en démontrant que je n’étais pas un « p’tit Jésus ». J’ai cru qu’après la sortie de ce livre, à la lecture de tout ce que je racontais de moi, les gens ne me parleraient même plus. C’est le contraire qui est arrivé… En fait les gens aiment la sincérité, même les plus mythomanes, même les plus menteurs !
Dans la vie, quel est le sentiment le plus important pour Jean Marais ?
Jean Marais : Celui du bonheur, qui est pourtant tout relatif. Comment vouloir que le monde entier soit heureux : les guerres, les massacres, la famine, la maladie, font qu’on ne peut être pleinement heureux. Pour être heureux il faut posséder un grand pourcentage d’égoïsme, c’est comme cela que je parviens, moi, à l’être… Je suis un égoïste, je l’avoue. Je suis comme l’autruche je mets ma tête sous mon aile pour ne pas voir le malheur… C’est un peu honteux ! On ne peut admirer quelqu’un qui agit de la sorte, mais c’est plus fort que moi, mon instinct m’impose de lutter pour mon bonheur. Mais attention, j’ai une ligne de conduite qui fait que je n’embête pas les autres. Je ne pourrais pas être heureux si je savais que je nuisais vraiment à quelqu’un… Je suis amoral, mais j’ai ma morale : ce que l’on doit faire ou ne pas faire. Ma seule morale est ne pas nuire à autrui…
La chute de cette belle rencontre, je l’ai puisée dans un livre signé Jean Maris : « L’Inconcevable Jean Cocteau » :
« La vérité est que je suis resté un cabot. Savez-vous qu’il m’est arrivé de me dire au milieu d’un grand chagrin : « Tiens ! Je n’ai jamais aussi bien joué au théâtre ! » Jean Marais