Publié le 26/03/2021

Des mots rien que pour vous… Rencontre intemporelle avec Robert Hirsch

“Le 15 novembre 2007, « Monsieur Robert Hirsch » me faisait l’honneur de répondre à mes questions, dans sa loge du Théâtre Princesse Grace, à Monaco où il allait jouer dans la célèbre pièce du dramaturge Harold Pinter, « Le Gardien », pour laquelle il avait reçu le Molière du meilleur Comédien et le Molière du Théâtre Privé”. Rencontre intemporelle avec l’acteur qui parle avec franchise, de la place du théâtre dans la Société. Un entretien exclusif en forme d’hommage au comédien qui s’est éteint en 2017. Enfin disponible !

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Robert Hisrch  – ©Viviane Leray 2007

Robert Hirsch Sociétaire honoraire de la Comédie Française, restera à jamais l'un des plus grands comédiens du théâtre français.

"Il a le théâtre en lui. Du vif argent coule dans ses veines…" Jean-Jacques Gautier

Robert Hirsch, l'étoile du théâtre français

Premier Prix du Conservatoire en 1948, Robert Hirsch entre à la Comédie Française, il en devient le 420ème Sociétaire en 1952, la quitte en 1973. Celui qui débuta sa carrière par la danse reviendra dans « La Maison de Molière » en 1976, dans le ballet-comédie « Le Molière Imaginaire » dirigé par Maurice Béjart, "L’Arlequin" de Marivaux, aux côtés de Micheline Boudet, dans une mise en scène de Jacques Charon, le propulsera en haut de l’affiche où il demeurera toute sa vie.

Le 15 novembre 2007, « Monsieur Robert Hirsch » me faisait l’honneur de répondre à mes questions, dans sa loge du Théâtre Princesse Grace, à Monaco* où il allait jouer dans la célèbre pièce du dramaturge Harold Pinter, « Le Gardien », pour laquelle il avait reçu le Molière du meilleur Comédien et le Molière du Théâtre Privé.

robert hirsch dans sa loge au TPG en 2007 © VLR
Robert Hirsch dans sa loge au Théâtre Princesse Grace de Monaco, 2007 © VLR

Rencontre avec Robert Hirsch au Théâtre Princesse Grace de Monaco, en 2007

« Le Gardien » de Harold Pinter que vous jouez au Théâtre Princesse Grace et jouerez en janvier au Théâtre National de Nice, est venu à vous ou vous y songiez déjà ?

Robert Hirsch : Il est venu à moi une première fois il y a cinq ans, dans l’adaptation jouée par Dufilho, avec un mot d’un metteur en scène très mauvais, dont je tairai le nom, me disant « ne vous fiez pas à cette adaptation je la retravaillerai » ce qui m’a paru doublement inquiétant ! J’ai relu la pièce, j’ai trouvé ça vieillot, les personnages n’avaient pas de lien entre eux, n’allaient pas au bout des choses, donc j’ai laissé filer. Cinq ans plus tard Didier Long qui voulait travailler avec moi dans ce rôle du « Gardien » m’amène l’adaptation de Philippe Djian, claire, précise, où l’on parle comme aujourd’hui, j’ai de suite été partant. C’est une pièce très contemporaine, on veut toujours intellectualiser alors que Pinter lui-même répondant à un anglais qui avait remonté la pièce et lui disait « J’ai cru comprendre que vous avez mis dans votre pièce sous une forme allégorique : Dieu le père, son fils et l’homme dans toute sa misère… » le regardant avec des yeux ronds lui avait répondu « Non ! Non ! J’ai mis en scène deux frères qui engagent un gardien. » Il n’y a pas besoin d’aller chercher ailleurs !

Vous amenez de l’eau à mon moulin : Jacques Julliard a dénoncé dans un article récent « Les Assassins du Théâtre » qui sous prétexte de « dépoussiérer », comme ils disent avec élégance, volent la vedette à l’auteur… La Comédie Française n’a-t-elle pas sa part de responsabilité ?

Robert Hirsch : Il y a des années que ça dure cette histoire de vouloir être plus grand que l’auteur avec un théâtre « réaliste » et cela a fait école, c’est en effet à la Comédie Française qu’ont commencé les « grandes gigotteries ! ». J’y ai vu un "Misanthrope" où les marquis se retournaient pour pisser dans le décor, à la télévision j’ai vu dans "Cyrano", une Roxane décoller du balcon, s’envoler quand on lui dit des vers, à trois reprises on entend le Boléro de Ravel… Qu’est-ce qu’il vient faire là ? On se le demande !

Officier dans l'Ordre des Arts et des Lettres, si l’on vous confiait le Ministère de la Culture, que préconiseriez-vous pour le théâtre ?

Robert Hirsch : On se plaint que les gens ne vont pas assez au théâtre mais on les a dégoûtés du théâtre, et c’est grave. Je ferais une sélection, qui condamnerait certains de ces spectacles, car vu le prix des places quand vous vous emmerdez (il n’y a pas d’autre mot) pendant deux heures au théâtre vous n’êtes pas prêt d’y revenir ! Le cinéma : vous n’aimez pas un film vous revenez la semaine suivante tandis que le théâtre c’est une vraie sortie, bien souvent vous soupez après, tout cela coûte cher. J’ai même vu des acteurs qui lisent les textes, qui jouent avec un micro, on ne se balade pas avec un micro sur une scène de théâtre, c’est du grand n’importe quoi !

Gassman m’a dit « Pour être acteur il faut être fou », Jeanne Moreau « Il faut être sage ». Que me dites-vous, Robert Hirsch ?

Robert Hirsch : Pour être acteur, j’allais vous dire qu'il faut en avoir envie, mais pas forcément, je pense qu’il faut un don. Aujourd’hui, on se dit « j’ai raté mes études, j’ai un physique : je vais faire acteur ». Il faut quand même être allé à l’école avant ! Avoir le goût du théâtre, des mots, être allé au spectacle, à 7 ans j’allais au Théâtre du Châtelet voir toutes les opérettes, mon père avait le cinéma « Apollo », cinéma d’exclusivité de la Warner Bross. J’ai vu de 1932 à 1939 tous les films, en premier « L’Insoumise » avec Bette Davis. J’ai été nourri là-dedans ! Après il y a eu la danse…

insoumise bette davis william wyler 1938
Bette Davis dans "L'Insoumise" de William Wyler, 1938.

Votre première passion aura été la danse, puis à 25 ans vous entrez à la Comédie Française. Vous la quittez en 1973…

Robert Hirsch : Après dix ans dans des cours, j’ai passé des auditions avant de signer un engagement dans le 2ème quadrille du Ballet de l’Opéra, c’était en 1945. En 1946, je suis entré au Conservatoire. J’y suis resté cinq ans. Un choc s’est produit, j’étais en admiration devant quelqu’un que je n’avais jamais vu danser. C’était Serge Lifar, qui avait remis à l’honneur les soirées de ballets avec Yvette Chauviré. La danse avait dépassé le lyrique grâce à Lifar, j’avais lu ses livres, je lui avais écrit une lettre digne d’un fan comme on en écrit à 17 ans, où je lui disais mon admiration, que la danse était ma vie… 45 ans plus tard, quelques temps avant sa mort, il m’a envoyé la copie de ma lettre. Il l’avait gardée… A la Comédie Française, j’avais tellement été gâté durant 25 ans. On m’avait amené tout les rôles sur un plateau, je n’avais jamais eu à demander un rôle, on m’a offert Richard III, Tartuffe, Dandin, Scapin ! On m’a tout donné…

La danse, le théâtre, avez-vous pris le temps de vivre une autre passion ?

Robert Hirsch : Comme tout le monde, l’amour. Mais ça n’a jamais pris le dessus, c’était j’allais dire accessoire, mais j’ai vécu de très belles choses. Pourtant c’est le théâtre qui m’a offert mes plus grandes joies, mes plus grandes détresses aussi quand un article était très mauvais, que la pièce s’écroulait, c’était très pénible à vivre. Mais ça mis à part tout dans ma vie me vient du théâtre.

C’est cette passion qui vous insuffle cette énergie, vous apporte ce bonheur éclatant en scène ?

Robert Hirsch : En scène je ne me fatigue pas du tout (même si j’ai les genoux qui craquent !) et puis je me dit qu’à mon âge c’est peut-être la dernière fois que j’ai l’opportunité de jouer un rôle d’une telle richesse, aussi beau, aussi plein.

Robert Hirsch, vous arrivez au théâtre à 16h… Puis-je vous demander ce que vous faîtes en attendant que le rideau se lève à 21 h ? Enfin, question à cent sous : Quand on s’appelle Robert Hirsch a-t-on encore le trac ?

Robert Hirsch : Ici, à Monaco je ne bouge pas de ma chambre, avec cette vue sur la mer je suis le roi du monde. C’est le bonheur ça… J’arrive toujours très tôt parce que dans le théâtre je suis à l’abri, à moins qu’il ne brûle rien ne peut m’atteindre, je suis sur place, je suis là dans un cocon, dans chaque loge je suis chez moi. J’écoute de la musique. Là je suis intransigeant, il ne faut pas qu’on me dérange. Tout est fonction du théâtre, je ne vis que pour ça. Le trac bien sûr, toujours, je dirai même de plus en plus avec l’âge, j’ai de plus en plus de responsabilités avec cette pièce qui n’aurait pas été montée si je n’avais pas dit oui à Didier Long, donc le trac se manifeste par une tension encore plus forte.

Robert Hirsch, qui n’aimait pas du tout, comme il me le confiera, la vie de tournée, était alors sur sur les routes de France et de Navarre pour 93 représentations dans une quinzaine de villes, il concluait cette belle rencontre sourire aux lèvres : « C’est le rôle qui m’a entraîné je ne voulais pas le lâcher le Père Davis, alors je l’ai suivi! ».

* Début 2011, victime d'un AVC alors qu'il jouait à Nice, ironie du destin, il serait opéré à Monte-Carlo pour un triple pontage. Le 16 novembre 2017 le comédien s’éteint à la suite d’une chute accidentelle survenue deux jours plus tôt. Il avait 92 ans et n’avait jamais cessé de vivre sa passion…

Entretien exclusif réalisé en 2007 à Monaco.

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