- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 8 min
Marie-Ange Todorovitch, la Comtesse acariâtre, Talentueuse en diable dans la Dame de Pique !
La Dame de Pique – Opéra de Tchaïkovsky – Pour interpréter la Comtesse, la talentueuse et exquise Marie-Ange Todorovitch, mezzo-soprano. Marie-Ange Todorovitch se produit sur les plus grandes scènes françaises et internationales Opéra National de Paris, Opéra-Comique, Théâtre du Châtelet, Opéra de Marseille, Montpellier, Nancy, Strasbourg, Toulouse, Festival d’Aix-en-Provence, Chorégies d’Orange, Nice, et internationales Opéra d’Anvers, Amsterdam, Dresde, Genève, Lausanne, Berlin, Liège, Pise, Dusseldorf, La Fenice de Venise, Covent Garden, Teneriffe, Festival de Salzburg, etc.
Les 3, 6 et 8 mai 2022, le splendide Opéra de Toulon donnait La Dame de Pique, chef-d’œuvre absolu de Tchaïkovski, un opéra en trois actes adapté de la nouvelle de La Dame de pique d'Alexandre Pouchkine. Cette coproduction de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, Arsud, de l'Opéra de Toulon, de l'Opéra de Nice, de l'Opéra Grand Avignon, de l'Opéra de Marseille s'exaltera dans la grande Maison d'Opéra de la Cité des papes, les 27 et 29 mai 2022. L'occasion de découvrir une distribution d’envergure, dont la mezzo soprano Marie-Ange Todorovitch, que nous avons rencontrée.
S’inspirant une fois de plus de Pouchkine, le compositeur livre un ouvrage extraordinaire. Rarement dans un opéra se mêlent des ambiances et climats aussi variés. La noirceur, le fantastique, la morbidité prédominent mais sont souvent éclairés par des scènes de genre très réussies et des moments de pur divertissement comme le lumineux pastiche mozartien de la scène du bal. Une fois de plus, Olivier Py livre une mise en scène autant inspirée que décapante.
La dame de pique - Opéra de Toulon
Rencontre avec Marie-Ange Todorovitch, mezzo soprano
Elle est la Comtesse dans "La Dame de pique", une mise en scène d’Olivier Py
Danielle Dufour Verna/Projecteur TV – Vous êtes Anna Fedotovna, la Comtesse dans le chef d’œuvre absolu de Tchaïkowsky, La dame de Pique, à l’opéra de Toulon , puis à l'Opéra d'Avignon. Vous l’avez déjà chanté à l’Opéra de Marseille.
Marie-Ange Todorovitch – Oui, à Marseille et à Nice en version concertante. Là on reprend la production de Nice. C’est une co-production en fait.
DDV –Entre version concertante et version jouée, vous avez une préférence ?
Marie-Ange Todorovitch – Moi, je suis plutôt une bête de scène comme on dit, j’aime le théâtre. La musique est géniale, le chef-d’œuvre est extraordinaire évidemment, mais de le jouer en scène, c’est une autre dimension que ne donne pas la version de concert.
DDV – J’imagine, surtout avec une mise en scène d'Olivier Py car on dit de lui qu’il exalte l’action théâtrale…
Marie-Ange Todorovitch – Complètement ! On est loin des choses très classiques. On est d’un seul coup dans un autre univers qui est le sien et tout est beaucoup plus fort, tout est accentué. Pour nous, à jouer, c’est exceptionnel car on va chercher loin dans l’interprétation.
DDV –Avez-vous déjà joué sous la direction d’orchestre de Jurjen Hempel ?
Marie-Ange Todorovitch – Pas du tout. C’est la première fois et c’est une très belle collaboration. C’est vraiment une découverte ce chef. Il est adorable, charmant, compétant et talentueux. En même temps, comme tous les gens talentueux, très simple. Cela se passe se passe avec efficacité et en douceur. C’est bien.
DDV –Vous aimez tout ce qui est théâtral, vous faites très jeune et vous jouez la Comtesse, une vieille dame acariâtre de 87 ans. Un beau rôle pour vous donc, difficile ?
Marie-Ange Todorovitch – Non, ce n’est pas difficile. Je n’ai pas d’exemple autour de moi de femme acariâtre, ma mère c’est un bonbon, elle a 87 ans mais d’une douceur extrême, mais je peux imaginer à travers ce que j’ai vu, ce que j’ai lu. On se nourrit évidemment de tout ce qu’on peut lire et de tout ce qu’on peut voir au théâtre et au cinéma. Jouer une vieille acariâtre, évidemment c’est facile puisque les mots nous portent, la musique porte aussi. Quand elle dit aux filles « ça suffit maintenant, sortez de là ! », la façon dont s’est écrit musicalement, c’est très facile à interpréter.
DDV –Vous aimez le répertoire de Pouchkine au niveau littérature ?
Marie-Ange Todorovitch – Il y a trente ans, à l’opéra, je jouais Pauline à l’époque. Je ne pouvais pas imaginer qu’un jour je jouerais la Comtesse. En fait, quand on a 30 ans, on ne se projette pas sur ce que peut devenir l’évolution de la voix et des personnages. On croit que la carrière va s’arrêter. J’ai chanté aux côtés de Dame Felicity Palmer qui jouait la Comtesse.
DDV – C’est un très beau rôle, un beau personnage.
Marie-Ange Todorovitch – Oui, très beau.
DDV - Parmi tous les opéras que vous chantez, italiens, français, allemands etc. Avez-vous une préférence ?
Marie-Ange Todorovitch – Il y a aussi l’opéra tchèque ; il y a des opéras en anglais. J’ai zéro préférence parce qu’en fait je préfère toujours ce que je suis en train de faire sur l’instant. Heureusement d’ailleurs parce que c’est comme cela qu’on entre dans la peau des personnages et qu’on est heureux de les jouer, de les interpréter. Je n’ai jamais dit « Qu’est-ce-que je fais là ». J’ai apprécié ce que je faisais à chaque fois.
DDV –Vous êtes une passionnée ?
Marie-Ange Todorovitch – Oui ! Je suis une lionne déjà, née en août.
DDV – Vous qui êtes donc une passionnée, vous est-il arrivé de suggérer au metteur en scène une optique différente de la sienne ?
Marie-Ange Todorovitch – J’allais dire pratiquement jamais. En fait, si jamais je trouve que le metteur en scène ne me donne pas ce que je veux, je le donne mais sans le dire, en fait. Je n’ai pas besoin de le dire. Je ne dirai jamais ‘je ne suis pas d’accord’. J’ai pu le dire musicalement, mais théâtralement jamais.
DDV – Si je vous demandais de parler de vous très succinctement ?
Marie-Ange Todorovitch – Ce que je suis ? Je dirais que je suis une femme épanouie parce que j’ai réussi à combiner, au moins à équilibrer dans la mesure du possible ma vie de famille et ma vie d’artiste. C’est vrai que j’ai plus chanté qu’élevé mes enfants, mais aujourd’hui j’ai mes enfants qui sont venus vivre avec moi, c’est qu’on forme une vraie famille. Le métier m’a privé d’eux quand ils étaient plus jeunes et que j’étais plus jeune mais maintenant j’ai cette chance d’avoir une grande maison et d’être avec eux. Donc tout cela c’est une réussite pour moi parce que certains réussissent leur vie privée et pas leur vie professionnelle.
DDV – Comment êtes-vous venue à l’Opéra ?
Marie-Ange Todorovitch –Parce que mes parents chantaient en amateurs, l’opéra, l’opérette. Toute petite j’ai fait du piano, puis de l’orgue, puis du chant. Pour nous, chanter, c’est l’atavisme à travers les arts. J’ai un frère qui est dans le chœur de l’Opéra de Montpellier, une sœur qui fait du jazz en amateur, on a trouvé sa voie en parcourant les voies de la vie. On est tous liés par ce don de dieu de la voix.
DDV – Un don de dieu difficile à conserver sans travail…
Marie-Ange Todorovitch – Bien sûr. Le don n’existe pas sans travail.
DDV – Vous êtes passionnée par l’enseignement, pour la transmission ?
Marie-Ange Todorovitch – Oui, je donne des master class. Déjà, de toute jeune, je donnais des cours de piano et des cours de chant maintenant. La transmission de mon art est essentielle. Tout ce que j’ai appris à travers les chefs d’orchestre, les metteurs en scène, les collègues, tout cela est un énorme plus que ne peuvent avoir ceux qui ont des diplômes et ne sont pas passés par la case scène.
DDV – Vous avez rencontré Sting…
Marie-Ange Todorovitch – Oui, c’était rigolo mais très intéressant. C’est toujours intéressant de mélanger les genres.
DDV – A part l’opéra, qu’aimez-vous comme musique, et comme littérature ?
Marie-Ange Todorovitch – J’aime le jazz. J’aime aussi toutes les musiques actuelles sauf le Métal, ça fait trop de bruit pour moi (rires). J’aime la littérature classique et moderne. Je m’intéresse à beaucoup de choses, au symbolisme, à plein de choses qui peuvent me nourrir et faire que je m’élève un peu.
DDV – Une question clin d’œil en rapport avec ‘La dame de pique’, vous jouez aux cartes ?
Marie-Ange Todorovitch - Non, pas du tout ! J’ai horreur du jeu. Je ne sais pas ce que c’est de m’asseoir à une table de casino.
DDV – Vous avez déjà chanté à l’Opéra de Toulon.
Marie-Ange Todorovitch – La dernière fois c’était dans Katia Kabanova. Je jouais Kabanicha, la belle-mère acariâtre. Que l’on soit acariâtre à 87 ans ou à 70 ou à 50, c’est la même chose. Le caractère aigri, on l’a dès le départ. Les gens qui sont positifs restent positifs tout au long de leur vie. Mais cette vieille Comtesse de la dame de pique n’est pas si méchante que cela dans le sens qu’elle sent bien qu’Hermann ne l’aime pas. Il est là pour avoir le secret des cartes et gagner au jeu. Elle a bien saisi que c’était lui aussi un oiseau de mauvais augure.
DDV – Mais quelle vengeance ! Si je vous demande une Diva ou un Divo qui vous est cher particulièrement ?
Marie-Ange Todorovitch – Pour moi sans hésiter, et qui n’était pas diva du tout dans le sens du côté péjoratif de la Diva ...
DDV – Je l’entends au sens noble du terme…
Marie-Ange Todorovitch – Je dirais Teresa Berganza et Cécilia Bartoli, Roberto Alagna en Divo.
DDV - Vous me donneriez votre conception du bonheur ?
Marie-Ange Todorovitch – c’est déjà s’il pouvait y avoir la paix partout. La paix en famille, c’est déjà une grande chose, et moi, j’ai la paix autour de moi et de l’amour. Mais quand on voit la misère dans la rue et les soldats qui meurent, forcés de protéger leur pays, d’aller au combat, les enfants qui meurent, partout dans le monde, ça c’est terrible.
DDV – Voulez-vous ajouter quelque chose à cette interview ?
Marie-Ange Todorovitch – Juste dire combien je suis heureuse de rechanter à l'Opéra de Toulon, de reprendre cette production. J’ai une pensée pour les trois collègues qui auraient dû être avec nous mais qui sont malheureusement bloqués à Moscou et qui ne viendront pas. Mais on est loin d’avoir perdu au change. On a des chanteurs extraordinaires qui sont là, des chanteurs d’un très haut niveau et talentueux et en plus tellement gentils. On forme vraiment une très belle équipe. Merci à cette co-production. J’ai pu faire les quatre, Nice, Marseille, et là il y aura Toulon et on continue sur Avignon. C’est très agréable quand on peut le rejouer plusieurs fois.