- Auteur Danielle Dufour-Verna
- Temps de lecture 13 min
Ève Ruggieri , “Un Festival Lacoste 2021 dans le souvenir de Cardin”
Ève Ruggieri est une productrice d’émissions de télévision, productrice d’émissions de radio, présidente de société et écrivain. C’est en sa qualité de Présidente du Festival de Lacoste, prestigieux festival d’art créé par Pierre Cardin que nous l’avons rencontrée.
À la rencontre d'Ève Ruggieri qui nous raconte l'Histoire du festival de Lacoste, sa programmation 2021 et l'essence même de la passion des hommes et des femmes qui participent à ce haut lieu de culture en plein coeur du Luberon.
Interview d'Ève Ruggieri, présidente du Festival de Lacoste
Festival de musique, de danse, de théâtre, d'opéra et de cinéma au coeur du Luberon
Danielle Dufour-Verna/Projecteur tv - Vous êtes la Présidente du Festival de Lacoste qui est orphelin cette année parce que son créateur, Pierre Cardin, nous a quittés. Comment envisagez-vous le Festival cette année, marqué par l’absence de cette immense figure qu’était Pierre Cardin ?
« Avec la bénédiction de Pierre Cardin »
Ève Ruggieri – Pour moi c’est à la fois déchirant parce que nous nous connaissions depuis l’année 1974. J’ai fait le Festival avec lui au début, nous avons travaillé vingt ans ensemble jusqu’à l’année dernière. J’ai eu le privilège et le chagrin aussi de le voir, un mois avant sa disparition, en compagnie de son neveu Rodrigo. C’est une histoire un peu miraculeuse. Je connaissais Rodrigo sous le nom de Basilicati mais je ne savais pas du tout, alors, qu’il était le neveu de Cardin. On s’est rencontré il y a dix ans dans un concert qu’il donnait. Il avait participé au Concours des grands amateurs de piano à Paris. Il avait très bien joué. J’étais allée le féliciter à la fin. Et quand je l’ai retrouvé il y a quatre ans au Festival de Lacoste, je lui ai dit que c’était gentil d’être venu et lui ai demandé ce qui l’amenait là. Il m’a répondu « Mon oncle ! ». J’ai dit « qu’est-ce qu’il fait votre oncle ? », -« C’est Pierre Cardin. » C’est comme ça qu’on s’est retrouvé dix ou quinze ans après dans ce Festival, avec la bénédiction de Pierre Cardin.
« Le festival de Lacoste devenu accessible au plus grand nombre. »
Rodrigo Basilicati m’a demandé si je voulais continuer à présenter la seconde partie de ce Festival puisque la première partie est consacrée au cinéma qui est très intéressante et présentée par Patrick Poivre d'Arvor. Rodrigo a fait une chose que j’ai trouvée très bien, il a considérablement baissé le prix des places, qui vont maintenant de 30€ à 70€. Ça devient beaucoup plus accessible au plus grand nombre et je pense que c’est une très bonne idée.
« Une très belle programmation 2021 »
On va pouvoir, cette année, découvrir du jazz, réécouter ce conte merveilleux du Petit Prince, assister à un spectacle extraordinaire, « Danse des Galaxies », qui va réunir un très grand danseur étoile italien à Pietragalla et des projections qui ont été faites à la NASA. Ça c’est un spectacle extraordinaire parce qu’il est construit sur les recherches d’un cosmonaute très sérieux qui a eu accès à toutes les projections dans l’espace des découvertes qui ont été faites. Il y aura donc un ballet dans un décor extraordinaire puis nous aurons du piano qui va jouer tout ce qu’on aime, des standards, l’hommage à Piazzolla que j’ai bien connu. Il va y avoir mes camarades les chanteurs classiques qui ont beaucoup d’humour et qui vont faire cet « Opéra low cost », c’est-à-dire l’opéra des fous en quelque sorte. Ce sont d’excellents chanteurs classiques. J’ai travaillé avec certains d’entre eux. On terminera avec ce ballet Khmer classique qui est époustouflant dans la beauté des costumes et dans le savoir-faire extraordinaire des artistes. Cette programmation du Festival de Lacoste 2021 est très ouverte sur tous les genres, du jazz au ballet khmer en passant par la danse classique, ce monde fou de l’espace qui est mis en scène. C’est vraiment une très belle programmation et je suis très heureuse de présenter cela dans le souvenir de Pierre Cardin qui avait vu les propositions de Rodrigo et qui était très heureux que ce soit son neveu qui continue, il le lui avait demandé. Et qu’il continue avec moi aussi. Donc je suis contente.
« Attaché à la culture et très cultivé »
Ève Ruggieri – Rodrigo Basilicati Cardin est un homme attaché à la culture et très cultivé. Il est architecte de formation et en même temps c’est un excellent pianiste qui pourrait faire une carrière de concertiste. Donc, le Festival reste dans les mains d’un artiste après Pierre et dans le souvenir de Pierre. Rodrigo est très attaché au souvenir de son oncle. On s’est retrouvé tous les deux à l’enterrement. Il y en a eu deux, celui fait par la famille. C’était bouleversant et c’était très touchant. On m’avait demandé de parler de Pierre, ce que j’ai fait avec beaucoup d’émotion comme Jean-Pascal Hesse qui était lui aussi présent. Puis il y a eu l’autre enterrement qui était pour tous les gens qui connaissaient le nom de Pierre Cardin en l’église de la Madeleine.
DDV –Avez-vous votre mot à dire sur la programmation ?
Ève Ruggieri - Bien sûr ! J’ai évidemment beaucoup parlé de Marie-Claude Pietragalla avec laquelle j’ai travaillé l’an dernier qui avait fait ce merveilleux ballet où elle était seule en scène. Elle était exceptionnelle. Mais pour le reste, Rodrigo a fait ça très vite car rien ne nous laissait penser que Pierre Cardin n’allait pas être présent. Quand on aime les gens on ne les voit pas mourir. On était persuadé qu’il serait encore là cette année. Il y a eu beaucoup de choses, beaucoup de fatigue. Il y a eu la COVID qui avait compliqué beaucoup les choses. Ça ne s’est pas passé comme on le souhaitait mais Rodrigo envisage de refaire peut-être de l’opéra dans la prochaine édition. Je serais peut-être plus présente, mais je souhaite surtout rester un peu sur le côté de tout cela parce que moi, ce que je sais faire, c’est vraiment de l’opéra. J’avais déjà fait des comédies musicales pour Pierre qui avait envie d’aller vers autre chose. Elles ont très bien marché, ça a été un succès, Eva Peron comme Joséphine Baker J’ai fait de mon mieux, mais ce n’est pas tout-à-fait mon domaine. C’est vrai que je suis plus à l’aise dans le classique. C’est ce que je fais dans mes autres festivals, c’est ce que je fais à Saint-Malo. Donc, si on inclut de l’opéra, des concerts classiques, dans ce festival, je le ferai avec plaisir. Pour l’instant je reste dans cette programmation qui est de qualité. Je suis contente d’être là pour découvrir ce qui a été programmé par Rodrigo avec beaucoup de talent et surtout la volonté que ce soit accessible au plus grand nombre.
Le Château de Lacoste et ses carrières, un lieu magique
DDV –Vous connaissiez ce lieu magique, Lacoste ?
« J’ai été sidérée par l’acoustique parfaite du lieu. »
Ève Ruggieri – Pas du tout ! Je l’ai découvert grâce à Pierre Cardin et à Jean-Pascal Hesse qui avait suggéré à Pierre Cardin de me donner la direction artistique du Festival. Donc je l’ai découvert avec Pierre parce que j’avais demandé, avant de donner mon accord, à faire un essai de l’acoustique. Il m’avait parlé d’un opéra en pierre, un univers très minéral et j’étais très inquiète sur la manière dont les voix allaient passer. En fait, j’ai été sidérée de voir qu’il y avait une acoustique parfaite, c’est miraculeux vraiment. J’ai dit oui tout-de-suite évidemment. Et c’est tellement beau. C’est un décor tellement inimaginable qui a été sauvé par Pierre Cardin, complètement ! Qui aurait pu penser que cet espèce de trou avec des murs en pierres et des falaises à pic allait devenir une salle que Rodrigo a perfectionnée cette année puisqu’il la couvre par un système qui est très léger mais très efficace en cas de pluie car il fallait auparavant, par temps de pluie, se réfugier dans les grottes aménagées qui sont sur le côté, mais ce n’est pas du tout la même acoustique. Je crois qu’il a, dans ses projets, de couvrir en partie la salle comme on a fait à Aix-en-Provence. C’est-à-dire qu’elle resterait, évidemment, ouverte tout autour, mais il y aurait une toiture très légère, transparente, pour garder la lumière, mais qui mettrait à l’abri les spectateurs.
DDV – Jean-Pascal Hesse, Pierre Cardin, Rodrigo Basilicati, Marcos Marin que vous connaissez sans-doute, vous-même, êtes des personnes à l’empathie exceptionnelle, généreux et d’une infinie douceur. Et pourtant, ce magnifique festival demande rigueur et une certaine discipline. Comment concilier les deux ?
« Sans culture, c’est la barbarie qui règne »
Ève Ruggieri – Parce que je crois que la culture –c’est pour cela que je dis « Sans culture, c’est la barbarie qui règne » - la culture amène les gens à être mesurés et à s’intéresser vraiment aux autres, et non à ne s’intéresser qu’à soi. Du coup, ça fait des relations beaucoup plus sereines et beaucoup plus agréables. Et puis il y a le professionnalisme. On sait comment ça marche. On sait ce qu’on risque et qu’il faut éviter. On sait comment recevoir les gens, comment traiter les équipes qui ont beaucoup de travail, il n’y aurait pas de festival sans les équipes techniques. On les respecte, et respecter aussi les spectateurs, c’est important, pas leur proposer n’importe quoi, faire un Carmen où à la fin c’est Carmen qui tue José. Respecter les auteurs qu’on met en scène et les festivaliers qui regardent les programmes et paient pour les regarder. Rossini disait, le vrai public, c’est ceux qui paient, et il avait bien raison. Et quand on a devant soi des gens qui, parfois, ont fait des économies pour s’offrir une soirée, moi, mon dessein, c’est de bien les recevoir et de leur donner ce qu’on pense être le meilleur et ce qu’on a fait pour que ce soit le meilleur, en tout cas s’en rapprocher.
DDV – Comment avez-vous vécu cette période de pandémie COVID ?
« D’un côté, j’ai vécu ça assez mal, assez indignée, assez en colère et de l’autre côté, j’ai vécu ça dans le calme »
Ève Ruggieri – Comme je suis en train d’écrire un livre, de cette manière, ça m’a permis de travailler beaucoup à la maison ce que j’ai rarement le temps de faire. J’ai mal vécu parce que j’étais effondrée de voir autant de gens mourir dans des circonstances aussi misérables et aussi douloureuses, sans famille, sans personne. Ça m’a paru tellement cruel, tellement inimaginable à une époque où on envisage de partir pour la lune en touriste. Qu’on n’ait pas pu permettre aux familles d’accompagner leurs morts, qu’on n’ait pas prévu quelque chose. Ce n’est quand même pas la première fois qu’il y a des épidémies en France. D’un côté, j’ai vécu ça assez mal, assez indignée, assez en colère et de l’autre côté, j’ai vécu ça dans le calme parce que j’étais seule dans mon appartement. Ma fille était confinée à la campagne. Mon mari travaillait dans son atelier et ça m’a permis d’avancer mon travail, pas autant que j’aurais voulu le faire mais mieux que ce que j’aurais pu le faire avec mes activités parfois frénétiques.
DDV – Vous me parlez d’activité frénétique. Vous êtes en forme, lumineuse et éternellement belle. Vous faites ça comment ?
« Ce qu’on voit à l’extérieur ne m’a jamais profondément intéressée, peut-être parce que je n’ai pas eu le temps, ce n’est pas par vertu. »
Ève Ruggieri –Toutes les femmes regardent leurs rides, mais moi je trouve ça très bien de pouvoir garder son vrai visage, sans trop le triturer. Lumineuse ? Ce n’est pas ce que je pense parce que je vois souvent des projections et je me dis : ‘que je suis vilaine’ ! Ce qui est important, ce n’est pas ce qu’on a sur le visage, de vouloir à toutes forces rester jeune. Ce qu’il faut, c’est rester, comme je crois avoir réussi à le faire, en me servant plus de ma tête, de ce qu’il y a à l’intérieur, que de ce qu’on voit à l’extérieur. Ce qu’on voit à l’extérieur ne m’a jamais profondément intéressée, peut-être parce que je n’ai pas eu le temps, ce n’est pas par vertu. Moi je n’avais vraiment pas le temps et à l’époque il y avait des gens à la télé qui s’occupaient de ça, les maquilleuses, les coiffeurs, les éclairagistes, tout ça, donc je ne me posais pas de question. De toute façon je ne me suis jamais regardée. Maintenant que je regarde mes émissions –je suis bien obligée pour mes mémoires- je me dis « Oh la la, qu’est-ce que j’ai vieillie ! » mais ça ne me pose pas de question, vraiment.
DDV – Eve, vous m’en avez trop dit ou trop peu. Vous écrivez vos mémoires. La date de sortie est prévue ?
Ève Ruggieri – Oui, mais je pense que je serai en retard comme d’habitude. C’était prévu pour la rentrée mais je n’aurai pas fini. Donc je pense que ce sera courant mai 2022.
DDV – C’est difficile ou ça vous apaise ?
Ève Ruggieri – Non, c’est intéressant parce que ça m’oblige à rechercher. Je parle surtout de gens que j’ai rencontrés. Je parle beaucoup de mon enfance parce que je pense que c’est là où on forme le caractère. Mais après je parle surtout des gens que j’ai rencontrés et qui sont fascinants, que ce soit Karajan, que ce soit Horowitz, je pense à Mitterrand, des gens comme ça. C’est toujours intéressant. Ce sont des monstres sacrés, c’est intéressant de les rencontrer, de les voir vivre. Plus proches de nous, Natalie Dessay, Cecilia Bartoli qui a débuté en France avec moi à l’opéra de Paris, l’opéra Garnier où je l’avais invitée, etc. Il y a beaucoup de gens comme ça que j’ai fait venir pour la première fois en France et qui étaient fascinants. J’ai rencontré tout-à-fait par hasard le premier violon de Karajan à la philharmonique de Berlin, qui était absolument sidérant. Beaucoup de choses comme ça que je raconte et qui sont amusantes.
DDV –Voulez-vous ajouter quelque chose à cette interview ?
Ève Ruggieri –Non, ça me parait très complet, plus complet même que j’imaginais.
DDV –Alors, je vous pose une dernière question Eve. Quelle est votre conception du bonheur ?
Ève Ruggieri – C’est ma famille. C’est ma famille et la musique. Voilà, pour moi c’est cela le bonheur, ma famille, ma fille merveilleuse, mon petit-fils que j’adore, mon gendre qui est l’homme le plus délicieux, le plus délicat que je connaisse, Rachid qui est un grand artiste. C’est toujours bien de vivre aux côtés de quelqu’un qui a une telle sensibilité, un tel talent. Et puis tout ça enrobé de musique, avec tous mes amis musiciens, chanteurs, auteurs, metteurs-en-scène… ça fait une belle vie.